[Tribune] Troubles à Moanda : simples manifestations d’humeurs spontanées ou phase finale de feu qui couve ?
Dans l’actuel contexte de tensions larvées à Moanda, ville du Haut-Ogooué au cœur de l’exploitation du manganèse, une voix s’élève pour analyser les racines du malaise. Professeur-Retraité, Djohou Boma Bernard puise dans sa connaissance intime du terrain et son expérience personnelle pour décortiquer les événements ayant récemment secoué la ville. Au-delà des causes immédiates, il explore les dynamiques complexes entre les populations autochtones, les autorités, et les intérêts économiques en jeu, tout en appelant à une réflexion profonde sur l’avenir de Moanda et de ses habitants.
Le jeudi 18 juillet des évènements graves se sont produits à Moanda ; des jeunes de la localité se sont insurgés, causant des dégâts matériels, en particulier le saccage des bureaux de la Mairie, et engageant des actions de violences à l’endroit des personnels, allant jusqu’à la séquestration des agents.
Quels que soient les causes de ces mouvements d’humeur, nos enfants auraient pu se passer de l’usage de ces actions préjudiciables à la préservation des biens acquis pour nos populations et agir de façon responsable.
Les causes immédiates
D’après les informations fournies par le média Gabon Actu, c’est le partage inégal de la manne de 30 millions offerte à la suite la tournée provinciale du Président du CTRI à Moanda ; on ignore à qui l’enveloppe a été remise et qui en a eu la charge responsabilité de la répartition du contenu ; étant donné le degré de pauvreté et la précarité de la vie des gens, n’aurait-il pas été davantage bénéfique de penser plutôt à des projets communautaires pouvant soulager la misère ?
Les causes profondes
D’après les rumeurs recueillies toujours par Gabon Actu, qui ne sont du reste pas un secret pour personne dans le milieu de nous autres natifs de Moanda, les populations autochtones de Moanda s’estiment victimes sous le régime Bongo de graves frustrations, étant souvent privées des avantages dévolus aux apparentés du clan au pouvoir, alors que la localité produit la plus grande richesse minière de notre pays, à savoir le manganèse, doté de la plus grande teneur et peut-être la plus importante réserve au monde. Depuis la mise en exploitation du manganèse à Moanda par Comilog, la localité n’a fait que connaitre des nuisances de toutes sortes : nuisances sonores des wagonnets du téléférique au tout début, nuisances écologiques dues à la pollution de cours d’eau, destruction de nos forêts, de notre faune et de nos ressources halieutiques par la pratique sans respect des règles communautaires locales en vigueur de la part des populations immigrées du fait de l’activité de la compagnie minière. Aucune mesure d’indemnisation n’a jamais été envisagée. Les retombées des ressources engrangées n’ont jamais impacté non plus tout développement dans le sens de la prospérité.
Au plan général des responsabilités au niveau national, très rares sont les ressortissants Wandzi occupant de hautes fonctions ; à commencer par les fonctions gouvernementales, les différentes nominations connues depuis la sortie de l’ex-ministre Boundono il y a près de 17 ans, n’ont fait que survoler la commune de Moanda en direction de Mounana ou Bakoumba, non sans intention malveillante de nous cogner les fronts avec nos parents de ces localités. Même en ce qui concerne les promotions dans les forces de sécurité, les quelques deux ou trois promus aux plus hautes fonctions de commandement n’ont guère jamais dépassé plus d’un an d’exercice de leurs responsabilités. La consigne de mise au ban manifeste dans la plupart des secteurs a été maladroitement dévoilée par la sortie plus qu’imprudente et condamnable d’un officier de police dit assermenté appartenant au Clan, dont je tais le nom par respect des morts, qui avait lors d’un lever de drapeau à la FOPI, osé déclarer, s’adressant à un agent : « tu portes un nom Bawandji, mais sache que tant que je serai ici aucun Bawandji ne montera en grade ». Le phénomène s’étend jusqu’au niveau local, à l’exemple du poste de Délégué spécial de la commune occupé aujourd’hui par un non autochtone, à la grande différence des autres agglomérations du pays : Libreville, Port-Gentil, Franceville, Lambaréné, Mouila, etc.
L’analyse de l’actualité relative aux troubles récents de MOANDA nous invite à évoquer certains autres évènements aux liens de connexion évidents.
1°) Évènements des années 70 au Lycée de Franceville
Lors de l’interpellation de mes collègues Nzoghe Nguema et Marat Abila , proviseurs des Lycée Léon Mba et Lycée Technique de Libreville suite aux mouvements de grève des élèves, les autorités de l’époque, voulant contrecarrer par anticipation d’éventuels soulèvements des élèves du lycée que je dirigeais, entreprirent d’organiser une réunion nocturne des élèves par l’intermédiaire de cadres politiques de la province, laquelle réunion excluait tous les élèves originaires des zones situées en deçà de l’Ogooué, plus précisément de Moanda, Bakoumba, Mounana , Lastoursville, Koulamoutou, essentiellement peuplées des Wandzi, Batsangui, Nzebi, Adouma., ceux de Moanda étant affublés du qualificatif de « faux altogovéens ». Je me dois par ailleurs de souligner la nature rétrograde de ceux qui m’attribuaient, à moi aussi, le même qualificatif en partie parce qu’ils me reprochaient de me refuser à avantager les natifs des «vrais Altogogéens» dans mes évaluations.
Le but de la manœuvre ainsi téléguidée était de provoquer un soulèvement des élèves n’excluant pas des actes d’agression physique contre ma personne. L’entreprise dévoilée par certains élèves, fut dénoncée publiquement par moi-même dans un tract annonçant en même temps ma démission de mes fonctions.
Les faucons du régime, auteurs de cette entreprise aventureuse potentiellement génératrice de graves tensions intercommunautaires, auraient porté la lourde responsabilité d’évènements dramatiques graves si je ne m’étais pas engagé à mener des actions vigoureuses d’apaisement.
2°) Article publie dans le journal La Loupe
A la fin de l’année 2023 avait paru dans le journal La Loupe un article signé d’un compatriote dont je m’abstiens volontairement de livrer l’identité, dénonçant le fait selon lui que les deux plus hauts postes de responsabilité dans deux filiales du Groupe Eramet seraient «occupés par des personnes d’une même famille» ; allusion était faite au DG de Comilog, Leod Paul Batolo et au DG de Setrag, Chritian Magni, comme s’ils avaient été nommés en Conseil des ministres en lieu et place des Conseils d’administration de sociétés privées qui ont retenu leurs compétences. Une première remarque saute aux yeux, c’est que les individus en question sont loin d’être de la même famille, à moins que l’auteur de l’article ait voulu sous-entendre de la même ethnie.
Dans cette intervention, je me limite au cas Mr Batolo que je maitrise mieux. Ce dernier en tant que proche parent que j’avais toujours guidé au cours de son cursus scolaire, venu un jour à mon domicile me demander mon avis sur son intention de démissionner de son poste à Comilog en raison de sa mise à l’écart injustifiée des activités de la compagnie, avait suivi le conseil donné alors d’utiliser ses compétences de docteur-ingénieur pour apporter de l’innovation dans la société. Ainsi fut introduit par lui la gestion informatique de l’entreprise. Suite au constat fait par une équipe d’Eramet venue sur place, Eramet dont Comilog est une filiale, embaucha directement ce grand cadre et alla jusqu’à l’affecter dans une de ses filiales en Nouvelle-Calédonie où il exerça 5 ans durant.
3°) Évènements relatifs à la livraison de la cite de relogement de Lekolo
Récemment Comilog a construit une cité de relogement au quartier Lekolo à Moanda destinée aux populations de la zone, en activité ou retraités, en lieu et place de leurs anciennes habitations situées sur une zone cédée à Comilog pour l’exploitation du minerai de son sous-sol. Les villas de ladite cité, sont desservies en eau et électricité, contrairement à l’ensemble de leurs anciens logis, de qualité précaire.
Curieusement un groupe d’activistes parmi les bénéficiaires, arrivés en majorité d’autres localités de la province à l’occasion de l’exploitation du manganèse, ont trouvé l’occasion belle, sous des prétextes fallacieux divers, pour organiser et déclencher des mouvements d’insurrection contre Batolo, en présence du Président du CTRI.
Comme on le voit sans peine, la succession des évènements évoqués se révèle comme des éruptions émanant d’une même chambre volcanique par le canal de cheminées d’apparence différente, mais dont le moulage est en fait identique.
La toute récente percée est la démarche par «lettre ouverte» signée de Mr Josselin Lebama, simple ouvrier, agissant au nom du Syndicat des industries minières et métallurgiques dont il serait le Secrétaire Général, démarche tendant à exiger le départ Mr Léon Paul Batolo de la Direction générale de Comilog.
Au sujet de cette dernière manœuvre menée en habit syndical, il apparait de la plus haute importance d’attirer l’attention de la Confédération syndicale Dynamique Unitaire sur l’exigence de respect des principes fondamentaux prônés dans la charte de l’OIT dont DU est membre.
Derrière toute cette batterie de stratégies se cache à l’évidence un double objectif :
a) Eviction par revanche d’un peuple
Tout phénomène ayant toujours une cause, l’hostilité manifestée par les tenants du régime Bongo envers le peuple Wandzi ne saurait s’expliquer autrement que dans l’histoire des peuples. En effet, les Wandzi en tant que peuple ont toujours vécu en bonne intelligence avec toutes les communautés environnantes (Ndzebi, Batsangui, Bawoumbou, Bangomo). Le seul fait historique important connu les concernant fut leur victoire dans la guerre contre les Obamba, suite à laquelle un accord de séparation fut conclu symbolisé par l’ancienne appellation de l’actuel Mont Bangombe, « Ka Bibi » en terme obamba signifiant partageons les choses.
En dehors de toutes les frustrations énumérées, l’ère « Kounabeliste » est venue imposer les chants et danses en paroles Télé/Obamba, mettant ainsi en sommeil la culture Wandzi proche de celles des peuples de Lastoursville, dans l’Ogooué-Lolo.
Comment ne pas susciter un sentiment d’assiégés auprès des Wandzi face à ce danger d’extinction culturelle et face aussi à ce rejet de la part de ceux qui les appellent « faux altogovéens » ?
b) Velléité d’évincer Leon Paul Batolo de la direction de Comilog pour s’en emparer
Sur quels critères objectifs réclamer le départ de Batolo ? Sauf mauvaise foi, Comilog ne s’est jamais aussi bien portée. Au plan des performances économiques, Batolo a doublé la production du minerai, la portant à plus de 8 millions de tonnes contre 4 millions à son arrivée. Imaginons l’accroissement des bénéfices à la grande satisfaction des actionnaires que sont Eramet et l’État gabonais. Au plan social, le personnel a vu sa rémunération et ses avantages s’améliorer considérablement, faisant de Comilog la référence dans le pays. Au plan local, Batolo a mis en œuvre une politique de RSE unique dans le pays, dont les réalisations ont contribué à changer l’image des villes de Moanda, Mounana et Bakoumba. Veut-on reprocher à Batolo d’avoir très largement fait mieux que la gestion de ses prédécesseurs ? Fort heureusement, le Président de la Transition a publiquement rendu hommage à ce bilan.
Comme il a été énoncé plus haut, Comilog est une filiale d’une société privée étrangère, Eramet, qui n’a pas intérêt à tourner le dos aux peuples autochtones de Moanda si cette société ne veut pas provoquer une situation comparable aux évènements du Delta du Niger dans un passé récent, ayant précisément pour origine les frustrations subies par le peuple Ogoni de la part de la société Shell alliée des autorités d’alors. Le soulèvement du peuple Ogoni ne peut pas ne pas évoquer le souvenir de Ken Saro Wiwa, le wongo du Delta du Niger au Nigeria, dont il est souhaitable que l’histoire ne reste plus qu’un simple souvenir.
Le moment est venu d’interpeller les Autorités de la Nation afin que soient prises des mesures sérieuses et adaptées dans le sens de l’élévation du niveau général d’éducation.
Djohou Boma Bernard, Professeur-Retraité
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