À l’occasion de la célébration de la journée internationale des droits des femmes ce 8 mars, Gabonreview a tendu son micro à Wilma Sickout Assélé. Artiste, entrepreneur et mère, la patronne de Kay-Anne Galerie donne son point de vue sur le thème proposé cette année par les Nations Unies. S’intéressant particulièrement aux questions de santé mentale et de dépression, celle qui a conçu le projet « Une nouvelle vie » invite les autorités gabonaises à se préoccuper de la santé mentale des populations en cette période de crise sanitaire. Elle assure que l’après-covid sera terrible avec la dépression, particulièrement chez les femmes.

Wilma Sickout Assélé : «Ce n’est pas parce qu’on a 10 000 followers ou 150 000 likes qu’on est leader.» © D.R

 

Gabonreview : Que vous inspire le thème retenu cette année pour la célébration de la Journée mondiale des droits de la femme : « Leadership féminin : pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 »?

Wilma Sickout Assélé : Le leadership, malheureusement, est un mot qui est devenu fantaisiste. On ne donne pas aux gens sa véritable signification. Le leadership vient du mot leader et pour moi un leader doit avoir de l’expérience, un parcours évocateur pour inspirer les autres. Mais aujourd’hui, il y a des leaders qui n’ont aucun parcours, aucune expérience. Les ¾ des leaders féminins sont des leaderships fabriqués à travers les réseaux sociaux, des slogans, des coaches. Pour moi, ce ne sont pas des leaders. Le like ne définit pas un leader. Le plus triste chez nous au Gabon, c’est que les vrais leaders sont dans l’ombre. Des leaders qui ont des vécus, des histoires inspirantes sont dans l’ombre. C’est grave et c’est le mauvais côté des réseaux sociaux. Ce n’est pas parce qu’on a 10 000 followers ou 150 000 likes qu’on est leader.

Or, les femmes aujourd’hui se disent leaders sur cette base. Je trouve que le leadership est même au rabais au Gabon. On avait de vrais leaders dans ce pays. Les gens n’expriment pas des convictions réelles. Même ceux qui disent faire du social, font de la politique. Vous avez des associations qui fêtent jusqu’à 5 ans d’existence, mais qui n’ont aucune action concrète à leur actif, aucun impact dans la société.

Peut-on rêver d’un futur égalitaire dans le monde du Covid-19 ?

Pourquoi pas. Je ne me sens pas lésée par rapport au Covid-19. Cependant, je pense que les plus grandes contraintes de la femme sont les autres femmes. C’est une phrase qui choque, mais c’est une vérité. Les femmes réclament l’égalité alors qu’elles ne sont pas elles-mêmes solidaires. Or, ça va de pair. Il y a des femmes qui ont de grandes fonctions qui bloquent le processus d’arrivée des autres femmes pour des histoires banales. Les femmes doivent d’abord être solidaires de leurs sœurs pour mieux faire face aux hommes. Les hommes sont solidaires même dans les bêtises, et ce sont eux qui accompagnent même les femmes dans leurs activités.

«La plus grande des violences, c’est la violence morale. Elle abîme plus que la violence physique». © D.R

Alors que faire ?

D’être solidaire, d’être vrai, d’accompagner les plus faibles. Que la chaine de solidarité se manifeste vraiment dans le réel. C’est le seul moyen de s’en sortir. Aujourd’hui beaucoup de gens créent des fondations, des associations et ramassent le plus grand nombre de femmes pour faire croire que leurs structures font dans l’autonomisation de la femme et au bout du compte, on réalise que ce n’est pas réel, et ça a toujours un rapport avec la politique. Elles ne sont pas nombreuses ces associations qui œuvrent pour l’autonomisation de la femme. Et il faut que les femmes qui ont des moyens donnent la chance aux autres, même à travers l’écoute et la considération.

Vous vous intéressez beaucoup aux violences faites aux femmes et particulièrement aux violences morales. Pourquoi ?

Violences morales parce que j’ai eu 7 ans de dépression. Je pense que la plus grande des violences, c’est la violence morale. Elle abîme plus que la violence physique et je pense que c’est un problème à prendre très au sérieux. J’ai fait 7 ans de dépression et je sais que beaucoup de femmes subissent des violences morales à l’origine d’autres maladies. Il y a des femmes qui finissent par tomber dans des maladies mentales simplement parce qu’elles ont été trop dépressives.

De quelles violences morales parlez-vous ?

Des injures, des dénigrements et bien plus qui donnent la sensation d’être inutile. Ça peut paraître absurde chez des Africains qui ne croient pas en la dépression, mais ce sont des choses qui bouleversent des vies. Ma vie en a été bouleversée.

En Afrique où on a appris à la femme qu’elle doit se taire, pensez-vous que c’est possible de briser le plafond de verre ?

Oui, comme je l’ai fait. Sur ma page « Au nom de la vie« , je suis suivie par près de 300 000 personnes. Je reçois énormément de courriers, mais comme je le dis, on ne va pas au combat sans arme. Ça fait 5 ans, les projets n’avancent pas ; l’hôpital de Mélen n’avance pas malgré la bonne volonté et tout le reste. Je suis déjà épuisée. À « Au nom de la vie« , je suis suivie par près de 300 000 personnes et ce n’est que pour parler de maladies mentales. C’est vous dire que c’est un sérieux problème.

Mais que faut-il répondre aux gens quand on n’a pas de cabinet, aucun endroit où les orienter, les programmes sont bloqués. On n’avance pas. Je suis convaincue que si on avait les petits moyens qu’il faut, les choses se passeraient mieux. Les gens commencent à parler aujourd’hui. Les gens mettent une maladie sur le mot dépression et commencent à comprendre.

© Droits réservés

Vous évoquez un projet Mélen. Mélen est plus grand centre psychiatrique du pays, n’y a-t-il pas de service dédié ?

Pas comme on l’entend. J’ai fait dans le cadre de « Au nom de la vie« , un projet dessus intitulé « Une nouvelle vie« , mais ça n’avance pas. Aujourd’hui avec le Covid-19, il y a de plus en plus de femmes qui vont subir des violences morales. Même pas seulement dans leurs couples. Les femmes seules qui s’occupent de l’éducation de leurs enfants et toutes les autres charges. Avec les difficultés actuelles, beaucoup vont sombrer complètement dans la dépression. Je le vois à travers les courriers et c’est une catastrophe. Une catastrophe parce qu’il n’y a pas de cellules d’appel pour pouvoir parler.

Et la dépression n’a pas de remède à part la compassion réelle, la préoccupation de l’autre. On ne parle que de Coronavirus, mais dans les autres pays, on fait des cellules d’appel parce que c’est psychologique, psychique. On parle de factures, de vaccins autant de choses qui atteignent et affaiblissent l’état mental et c’est le plus gros problème. Les femmes, même si elles se montrent robustes, ce sont les plus sensibles. Je parle en connaissance de cause. L’abandon à soi-même, je l’ai vécu pendant plus de 7 ans.

Des propositions pour permettre une meilleure prise en compte de cette réalité que vous décrivez ?

Faire avancer le projet « Une nouvelle vie« . C’est un projet qui dure depuis plus de 4 ans La seule personnalité à m’avoir écouté, à m’avoir reçu, à chercher à savoir ce que je voulais faire c’est l’actuel ministre de la Santé (Guy-Patrick Obiang) que je remercie d’ailleurs. C’est le seul à avoir signé un partenariat public/privé. Le problème c’est que ça a pris du temps.

Le Covid-19 et ce qui en découle sont arrivés, les partenaires qu’on avait rassemblés ont dû partir. Mais j’ai quand même la convention signée et j’appelle à l’aide toutes les bonnes volontés.

© Droits réservés (photo personnelle)

Quel est l’objectif de ce projet ?

L’objectif premier de ce projet est de réhabiliter Mélen. Faire de Mélen un point de chute pour toutes ces personnes. Ça permettra de mieux traiter le problème, donner une nouvelle vie à ces gens. Dans la plupart de nos familles, nous avons des malades mentaux. Certains le disent, d’autres le cachent. Récemment, je suis allée visiter une amie qui était enchaînée. Une fille qui était avec moi au Lycée. C’est choquant. Avec le Covid-19, il faut vraiment prendre ça au sérieux. Autant on cherche le remède pour le virus, il faut qu’on trouve des solutions pour les dépressions parce que c’est la maladie du siècle.

L’après-covid sera terrible avec la dépression. Une société malade psychologiquement ne peut rien produire. Après le covid, on ne pourra pas maîtriser ça parce que ça aura déjà fait des dégâts. On doit chercher des solutions maintenant avec le Covid-19, parce que les gens pètent les plombs. Vous avez des Gabonais qui descendent des voitures pour se battre. Mais quelqu’un peut prendre une arme la prochaine fois. Les gens en rigolent, mais pas moi. J’analyse tout ça. Les autres pays jugent la situation préoccupante à travers ces choses qui mettent bien en évidence que le moral des Gabonais est atteint.

Pour conclure ?

Pour conclure, j’insisterai sur la solidarité. On ne peut pas parler de leadership féminin et de monde égalitaire en temps de Covid-19, s’il n’y a pas de solidarité. Il faut une réelle mise en valeur de vrais leaders pour que les jeunes suivent ces exemples. Le leadership des réseaux sociaux ne représente en rien cette notion. Il ne faut pas que les jeunes femmes s’attardent sur le nombre de followers, des like pour s’identifier aux gens. Il faut ramener le mot leadership dans sa définition originelle. Le leadership va avec parcours, vérité, acte, expérience, etc. Il ne faut pas que ça se limite à un leadership virtuel, c’est très dérangeant.

Interview réalisée par Alix-Ida Mussavu

 
GR
 

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