Tribune libre : «Pour que les esclaves deviennent les maîtres»
Déjà publié ici, Noël Bertrand Boundzanga* revient avec un texte fort, cette fois consacré à la gestion de la peur pour l’instauration d’un régime de terreur, de coercition, devant assurer la permanence au pouvoir d’une dynastie. Une théorie politique à la portée de tous.
Pour que ce régime existe, il a besoin de faire peur ; de faire sentir qu’il y a une menace qui pèse sur les citoyens. Le thème de la paix fut alors servi comme écran contre des schismes qui auraient noyé le Régime s’il n’avait su faire peur en envisageant la perte de la paix. Aujourd’hui, si en arrière-fond l’idéologie de la paix fonde toujours son discours, la peur est alimentée par la menace de ne pas accéder aux biens publics et aux avantages de la modernisation. Pour ne pas laisser le séisme s’éclore parce qu’on n’en mesure pas la magnitude, le Régime achète les consciences autant qu’il menace celles, irréductibles, de la souveraineté. Or, ces derniers, d’esclaves mal enchainés, sont désormais prêts à rompre les amarres d’une histoire mal fagotée qui a conduit le pays dans son désastre actuel. On a souvent oublié de dire que Libreville fut créée par des esclaves libérés en 1859, notre histoire ultérieure n’a-t-elle pas fait de ces esclaves libérés de nouveaux captifs, une fois tombés sur la terre ferme ? Qu’avons-nous fait de ces hommes libérés et où sont-ils donc passés, eux qui, parce qu’ils respirent le souffle infini de la liberté, nous auraient libérés des turpitudes d’une histoire inféconde qui dure quarante-sept ans ?
Au Gabon, il se pose la question de la compatibilité de la liberté et de la politique, puisque la menace engendrée par la politique et qui débouche sur des sentiments réels de peur, est cela même qui prive le citoyen de sa liberté et le pays d’une alternance démocratique. On peut pourtant croire que la coercition dans un Etat de droit est nécessaire, d’où la reconnaissance d’une « légitimité du monopole de la violence de l’Etat » lorsque ce dernier a pour ultime fin le bien du citoyen. Or sommes-nous dans un Etat de droit pour que le peuple lui concède la légitimité de cette violence ?
Une dictature (1968-1990) qui s’est parée des formes démocratiques (1990-2009) trompe le peuple et trompe la démocratie. Parce que le Régime est habitué à terrifier, il n’est pas génétiquement disposé à accepter, ni pour lui-même ni pour le peuple, la démocratie. Un régime de terreur dont l’ambition est seulement le contrôle du pouvoir et qui ne vise pas le bien-être du peuple, qui viole les droits élémentaires du peuple, perd le bénéfice de détenir le monopole de la violence de l’Etat. En conséquence de quoi, puisqu’il n’est pas disposé à se fracturer lui-même, le peuple et, avant tout, les intellectuels (universitaires, artistes, journalistes) ont pour seul devoir et droit sacré de le faire tomber. Le peuple et les intellectuels se renvoient ce travail. Ce va-et-vient d’accusations et d’horizon d’attentes est le symptôme d’une peur jamais enrayée ; les intellectuels portent ainsi la responsabilité de l’échec d’alternance et le peuple est boudé parce qu’il n’est jamais capable d’assumer une colère révolutionnaire. La tentative ratée de 1990, qui a entraîné la mort de Joseph Rendjambé et de Martine Oulabou (1992), n’est pas à regretter comme moment historique où quelque chose comme le peuple tente d’exister. Les promesses trahies, et vingt-quatre ans plus tard, on peut soupçonner au sein du peuple et des intellectuels la capacité d’inverser le mouvement de l’histoire et de l’écrire autrement que par l’encre de la dynastie.
Un Régime devenu une dynastie n’a pas vocation à faire vivre la démocratie, parce que la démocratie est son principal ennemi. Il pourra toujours prétendre qu’il est légal, que son pouvoir découle d’une légalité constitutionnelle, mais lui-même le sait, et le peuple le sait, ce Régime n’est ni légitime ni légal. Il a perdu ces qualités au moment même de sa naissance en 1968, à partir du moment où le PDG est né comme dictature pour devenir la propriété de la dynastie Bongo en 2009. S’il se prévaut d’être démocratique, on lui rétorque que, en démocratie, on gouverne par la majorité du suffrage universel exprimé, non parce qu’on est déclaré vainqueur d’une course tronquée à toutes les étapes du processus. C’est une règle de la démocratie qui oblige à contester la Constitution qui a validé une telle ineptie. Ce n’est donc pas seulement la dynastie Bongo qui est illégitime, c’est aussi la Constitution gabonaise qui est illégitime parce que anti-démocratique. Et les universitaires qui ont choisi de mépriser le principe démocratique et qui cautionnent ces tromperies, parce qu’ils sont eux aussi tétanisés par la peur, doivent pouvoir se sortir de l’étau dans lequel ils vantent leur propre état de servitude, aveuglés par les honneurs terrestres de la fierté de soi. « La corne d’abondance » dont se prévaut la dynastie Bongo est en réalité une propriété de l’Etat gabonais à partir de laquelle elle offre des bombances pour des corps soumis à l’impérialisme des besoins physiologiques. Il y a donc recel au sommet de l’Etat, pour ne pas dire « mensonges et pillages au Gabon ». D’où le retard économique et la faiblesse du développement humain depuis un demi-siècle, alors que, ici et là dans le monde, on est passé des quatre dragons (Inde, Hong-Kong, Singapour, Malaisie), Bric (Brésil, Russie, Inde et Afrique du Sud), aux pays émergents sans que notre pays, malgré son potentiel, fasse partie de cette merveilleuse aventure. Comme si le seul horizon 2025, qu’on raconte aux esprits naïfs, est suffisant pour toucher une ligne d’horizon inatteignable, l’horizon étant cela même qu’on ne peut pas toucher (c’est une illusion d’optique). Là encore, la dynastie croyait bien faire, et la voici qui fait mal. La faute à sa condition de naissance, avec une maladie congénitale. Nous voici donc coincés dans un trou des pays en voie de développement d’où l’on cache difficilement notre pauvreté.
Une dictature devenue dynastie (cela va de soi), qui se prépare à se vêtir d’un autre costume de légalité (2016), n’a pas le recul nécessaire pour discerner le bien et le mal ; il ne peut donc pas savoir quand il fait bien et quand il fait mal. Tout chez lui est bien, et quand il croit avoir mal fait, ce n’est jamais suffisant pour avouer son échec. Une dynastie pense qu’elle a une responsabilité historique qui transcende les clivages et le temps. Elle pense qu’après elle, le pays tombe dans le chaos. Elle s’oblige à penser ainsi, gagnée par une auto-persuasion délirante qui l’incline à voir partout le ciel beau lorsque les orages assombrissent l’atmosphère, à la manière d’un daltonien qui ne sait pas distinguer les couleurs.
Dans la richesse culturelle née de la diversité de nos ethnies, elle y voit cacophonie et se targue d’être seule organe d’unité et d’unification de tout un pays. En ce sens, elle se voit éternelle. Et quand l’un des fils de la dynastie commence à perdre les gènes de la jeunesse, on prépare un rejeton pour lui succéder. Mais bientôt les valets se rendront compte qu’ils sont les principaux pourvoyeurs de la « Corne d’abondance ». Comme dans la dialectique hégélienne ou la perspective marxiste du prolétariat et de la bourgeoisie, les esclaves verront que la « Corne d’abondance » leur appartient et qu’ils n’ont pas à se réduire à la servitude pour un bien qui est le leur. Alors, il y aura des failles, des fissures… C’est ici, sans doute que commence cette histoire, celle des esclaves qui deviennent des maîtres. Le maître, c’est Bongo, en ses divers patronymes : Albert Bernard Bongo, El Hadj Omar Bongo, El Hadj Omar Bongo Ondimba, Ali Ben Bongo, Ali Bongo Ondimba. C’est lui la figure massive de la dictature et de la dynastie. En 1968, lorsqu’il fonde le PDG, il ignore peut-être qu’il vient de créer un terrible système de clientélisme et d’esclavagisme qui le servira ainsi que toute sa descendance. Mais comme les esclaves sont parfois récalcitrants, il fonde la dictature. Là, il fouette, encanaille, chicote et récompense à sa guise. Puis, survivant au séisme d’une faible magnitude en 1990, il étend le système en un four esclavagiste. Le PDG et ses alliés n’ont alors pour seul travail que de faire vivre le maître, de l’engraisser de belles paroles, de parcourir les confins du territoire national pour dire combien il est grand et généreux. Comme s’ils venaient d’oublier qu’ils étaient fouettés, pris dans un ténébreux syndrome de Stockholm, les voilà qui se surprennent à adorer leur geôlier.
Pierre Akendengue chante dans son titre Destinée : « Vivre sans vivre libre, ce n’est pas vivre ; notre destinée, c’est de vivre la liberté ». Il n’y a pas plus grand artiste gabonais qui ait fait autant écho à notre devoir d’être libre et, plus que jamais, son répertoire résonne en nous comme un appel spirituel vers notre destin. Et qui a lu Camus, qui a séjourné dans Le mythe de Sisyphe, qui a senti le gouffre de l’absurde, sait que la liberté est un absolu. De là, on comprend avec Pierre Akendengué que Poe (Considérable), était destiné à cela qui le conduit à sa mort. Mais l’artiste le répète inlassablement « Il y eut le premier, qu’on crut le dernier, puis il y a un autre… un autre qui apporte liberté ». C’est en ce sens qu’il ne faut pas céder à la fatalité eu égard à l’échec d’alternance en 1990 et 2009. Une dictature n’est jamais facile à vaincre, c’est en cela même qu’elle est une dictature. Ceux qui parviendront à se libérer des chaînes de la peur qui fonde l’esclavage sentiront ce que « liberté » veut dire ; ils compteront des victoires et ils verront comment il est possible qu’un peuple soit fier de lui. Mais d’ores et déjà, il convient de rejeter la Constitution actuelle qui ne garantit pas la démocratie ; de refuser la dynastie qui injurie le peuple ; de se sauver de la peur qui rend esclave de la dynastie et de dénoncer le monopole de la violence d’un Etat géré par une dynastie. C’est seulement dans ces conditions que les esclaves deviendront les maîtres, après avoir découvert que le maître n’est rien sans eux, et qu’il ne sera plus nécessaire d’attendre 2016, parce qu’on aura fait tomber le calendrier.
Noël Bertrand Boundzanga
* Auteur notamment de «Le miroir des toubabs» (Edilivre, 2008) et «Le malentendu Schweitzer» (L’Harmattan, 2014), Noël Bertrand Boundzanga est docteur en littérature comparée et civilisations francophones.
0 Commentaires
merci, texte profond et patriotique digne d un intellectuel.
No comment!!!!
personne ne peut rester insensible à ce récit.pathétique.
une réflexion s’impose à tous.
merci à toi Noël.
Faut pas croire, la peur a changé de camp depuis, d’où toutes ces marches, discours à dormir debout, gesticulations stériles du clan Bongo et Cie. Les gabonais ne se laisseront pas tétaniser par les menaces, les intimidations.Et désormais la mort n’est rien devant notre quête de liberté, d’alternance.
Reprenant Periclès je dirais simplement: »il n’est point de bonheur ni de courage sans liberté » avant d’ajouter « Dans la plupart des pays, les citoyens possèdent la liberté de parole. Mais dans une démocratie, ils possèdent encore la liberté après avoir parlé. »
de André Guillois. merci À TOI. Il est important pour le peuple de méditer sur ce qu’il veut vraiment.
L’empressement du pouvoir à payer les salaires des enseignants membres de l’UN suspendu depuis des années montre que la peur à changer de camp. Mais la pression doit être maintenue.
Il a seulement suffit que le SNEC annonce une grève pour que tout l’argumentaire ayant permis la suspension de ces salaires tombe comme un château de carte. Dans la situation actuelle, le pouvoir ne pouvait s’encombrer d’une grève à l’Université qui aurait eu des effets dévastateurs sur le climat socio- politique.
Analysons bien les évènements et nous comprendront que ce régime ne tiens plus qu’à un fil.
Des actions concertées de la société civile, des politiques et de la population suffiraient à le faire tomber plus vite que vous ne pouvez-vous en douter. Chacun doit jouer sa partition.
comme pour le premier texte je reste béat devant un tel engagement, bonne continuation.
si tous les pseudos docteurs pouvaient rêver d’alternance comme vous, le Gabon serait à l’heure actuelle un mini Dubaï.
Merci M. Noël Bertrand Boundzanga, texte très profond, et qui éveille l’esprit d’un gabonais conscient de ce qui se passe dans son pays…, je vous invite encore et encore à écrire davantage. Je me sens dans l’obligation de le partager. Merci pour ces écrits!
Mrci pr le texte grand la peur ne sera plus dans la tete du peuple!
Finalement le peuple doit rejeter cette meme constitution à laquelle on s’appuie aujourd’hui pour dire qu’ALI doit justifier sa nationalité????
Et quand on parle d’émergence c’est ce à quoi on aspire vous vendez des illusions en disant qu’on peut pas atteindre l’horion ce qui est faux ici il est simplement dit d’ici à 2025 on devrait atteindre l’émergence, l’horison ne saurait donc etre pris dans son sens figuré. Autrement dit l’objectif c’est d’etre émergent d’ici 2025 soit il en serait ici soit pas et donc on devra attendre quelques années encore mais toujours dans les années 2025.
Et vous parler des pays comme le Brésil, etc on peut pas déjà se comparer à ses pays on fait notre bonhomme de chemin
Votre discours n’est rien d’autre qu’un plaidoyer mensonger accusateur et vendeur d’illusions malsaines, de grâce rester proche de la réalité et dites ce qu’il y’a réellement dans notre pays sans faire du fanatisme ou de la reproduction des lectures antérieures qui n’ont rien à avoir avec notre pays .
oui la réalité Tara, c’est que ton champion n’a pas d’acte de naissance donc ne nous entraine pas sur ton terrain de prédilection c’est à dire ton soutien inconditionnel à ton maitre à penser
d’ailleurs se qui nous préoccupe aujourd’hui c’est pas l’émergence pour 2025 , c’est cette affaire d’acte de naissance et d’article 10
ça ne fait rien même si en 2025 on ressemblera àIBOUNDJI, d’abord le respect de la constitution, le reste suivra.
Ce qui se conçoit bien s’énonce bien.
Cette constitution est un faux.La modification constitutionnelle de 2010 n’est pas le fait d’un referendum.
Lorsque vous vous en prenez au VRAI Docteur-ci,Monsieur Boundzanga,vous vous rendez compte qu’on ne lance des pierres qu’à un arbre qui porte des fruits.
L’imbécile heureux , il est jaloux du papier de l’autre
d’où sa frustation. Si c’était une analyse du distingué camarade, il allait
le congratuler et organiser une marche.
Aujourd’hui les institutions se sont compromises en cautionnant la forfaiture. Elles sont donc disqualifiées. A partir de cet instant on ne peut parler d’Etat de droit.
Les personnes qui sont censées les incarner ont trahi le peuple. Je dirai qu’elles ont violé le peuple.
Il en résulte que la seule chose qui reste au peuple et qui vaille, c’est de mettre fin à ces institutions (Président de la République, Cour Constitutionnelle, CENAP, Parlement, Armée….). Nous n’avons plus à nous soustraire au calendrier institutionnel. Nous devons sans aucun préalable nous donner les moyens de rentrer dans la deuxième République. La vie ou la mort, nous vaincrons. Vive le Gabon avec les vrais gabonais.