[Tribune] Eléments de méthode pour une réforme de la CNSS
Que l’Etat, plus grand débiteur de l’organisme, solde sa dette à l’égard de la CNSS, qu’il cesse de s’immiscer dans la gestion de cette structure. Ou encore, la responsabilité de la débâcle de la caisse incombant à ses managers successifs, que des dirigeants intègres ayant le sens de l’intérêt général y soient nommés, suggère Augustin Emane* (déjà publié sur Gabonreview). Les propositions du chercheur pour sauver la CNSS se basent des exemples féconds à l’international. Elles invoquent l’impérieux préalable d’un cadre institutionnel, et le choix du type de réforme à mener.
La crise de la CNSS a connu de nouveaux développements avec le conseil des ministres du 8 juin dernier. A la suite de celui-ci, les deux annonces suivantes ont retenu l’attention de nombre de gabonais : L’institution d’une administration provisoire de la CNSS d’une part, et la mise en place d’un comité de surveillance et de contrôle des organismes de protection sociale d’autre part. L’administration provisoire est chargée, « d’assurer l’administration, la gestion et la réforme de la CNSS sur une période de 12 mois ».
Sans pour autant nier leur importance, nous ne traiterons pas des questions relatives à l’administration et à la gestion de la CNSS. Le choix clairement assumé que nous faisons est de nous concentrer uniquement sur la réforme. Celle-ci s’entend comme une des réponses apportées à la crise qui parait plus profonde qu’on ne l’imaginait. Une rumeur sourde et insistante évoque même une cessation des paiements pour la caisse, et le ministre de la santé aurait lui-même corroboré ces dires. Fondée ou pas, cette rumeur révèle une double inquiétude qui touche à la fois à l’emploi de près de 1900 salariés de la CNSS d’une part, et à la pension de retraite des assurés sociaux de la même CNSS d’autre part.
La première hantise mériterait une publication qui lui serait exclusivement consacrée avec son lot de problématiques qui ne sont pas que juridiques, mais relèvent avant tout de la gestion des ressources humaines au sein de la CNSS. Pour autant, et vu que nous avons déjà commencé à traiter du second spectre, la logique nous commande, du fait de sa complexité manifeste, de continuer à le faire, surtout au moment où le chantier de la réforme est lancé.
Plutôt que d’en débattre de l’urgence, ce que personne ne nie par ailleurs, ou du contenu qui reste à déterminer, le préalable de la définition d’une méthode est indispensable avant d’aller plus loin. C’est la raison pour laquelle, et s’agissant d’un débat qui concerne tous les gabonais, il est utile d’apporter à ceux-ci, le plus grand éclairage sur des questions qui peuvent paraître difficiles à appréhender pour le citoyen lambda.
En s’en tenant à ce qui se dit et s’écrit sur la CNSS, pour que celle-ci retrouve son lustre d’antan, deux types de mesures seraient à prendre :
- Nommer des dirigeants intègres ayant le sens de l’intérêt général, vu que dans l’entendement commun, la responsabilité de la débâcle de la caisse incombe à ses managers successifs.
- Que l’Etat solde sa dette à l’égard de la CNSS puisqu’il serait le plus grand débiteur de celle-ci. Surabondamment, il est demandé au même Etat de cesser de s’immiscer dans la gestion de la caisse.
Plutôt que de disserter sans fin sur ces solutions, notre choix est de nous appuyer sur ce qui a été entrepris dans des pays où des réformes similaires ont été menées, en insistant sur la méthode retenue. Il ne suffit pas en effet de proclamer l’urgence de la réforme, encore faut-il également respecter certains préalables. Que ce soit en Europe ou en Amérique latine, qui sont les parties du monde qui ont le plus connu des réformes des retraites au cours des quarante dernières années, il s’est toujours d’abord agi de partir du cadre institutionnel dans lequel s’inscrit le système de protection sociale. Ensuite, il y a lieu de voir ou de revoir les différentes options pour concevoir un système pérenne de retraites. C’est ce qui permet enfin d’aboutir au type de régime que l’on va choisir. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il faudra s’attaquer aux défis institutionnels qui sont de natures diverses.
I. Un préalable avant toute réforme : la détermination du cadre institutionnel
C’est une lapalissade de rappeler qu’une réforme est toujours menée dans un cadre, celui-ci renvoyant à plusieurs dimensions. La réforme de la CNSS n’échapperait pas à ladite règle avec les dimensions suivantes qui seraient identifiées :
- Une dimension juridico-normative. Elle renvoie à tous les textes participant au fonctionnement de la sécurité sociale en général et de la CNSS en particulier. On peut citer, entre autres : Les traités internationaux (Traité CIPRES ou accords bilatéraux de sécurité sociale comme celui que nous avons avec la France) ; les Conventions de l’Organisation Internationale du Travail, la Constitution (notamment dans le Titre Préliminaire) ; les lois avec notamment le Code de la sécurité sociale de 1975, et le Code de la protection sociale de 2017 ; le Décret de 2018 fixant les statuts de la CNSS. Pour mener une réforme, il faudrait avoir une connaissance certaine de ces textes, les analyser et s’interroger sur leur application.
- Une dimension organisationnelle. Elle correspond à la structure formelle de la CNSS avec ses autorités. Qu’en est-il des mandats de celles-ci ? Quid de cette caisse présentée comme relevant du droit privé, alors que le dernier épisode interroge fortement sur la réalité de cette catégorisation ? En fait, le législateur gabonais de 1975 (comme bien d’autres en Afrique francophone) n’a fait que reprendre les énoncés en vogue alors en France.
- Une dimension opérative. Elle permet de s’intéresser aux instruments de gestion de la CNSS. De même, c’est dans ce cadre qu’il faut envisager l’analyse actuarielle continue entre les droits et les contributions de diverses natures.
- Une dimension fiscale. Elle est particulièrement importante avec la prise en compte de toutes les ressources et capacités financières susceptibles d’être mobilisées par la CNSS (contributions salariales et patronales, impôts, taxes, etc.)
Une fois identifiées ces différentes dimensions, l’étape suivante conduit à se préoccuper du respect des principes en vigueur en la matière, et à partir desquels l’on refonde ou réforme le système en cause. On y relève :
- La solidarité. Elle distingue un système de sécurité sociale d’un système d’assurances privées. Elle peut être horizontale, verticale. Dans le cas de la CNSS, il s’agit de la première qui a pour caractéristique de se dérouler à l’intérieur d’une catégorie spécifique, ici ce sont les salariés. La solidarité verticale ne se retrouve aujourd’hui que dans le risque maladie à la CNAMGS.
- L’égalité, l’équité, ou l’uniformité de traitement. Ce principe implique que tous les assurés sociaux soient couverts de manière égale. Cela n’interdit pas que le traitement des bénéficiaires puisse ensuite être adapté en fonction de leurs besoins ou pour aboutir à davantage de justice sociale.
- Le caractère complet et adéquat des prestations. Elles doivent en effet viser à couvrir intégralement et en temps voulu le risque vieillesse. A l’heure actuel au vu du niveau des prestations on en est encore loin.
- L’Unité, la responsabilité de l’État, l’efficacité et la participation à la gestion. L’unité, la responsabilité de l’État et l’efficacité impliquent la mise en œuvre d’un système de cette manière, que toutes les institutions étatiques, paraétatiques ou privées, agissant en matière de couverture vieillesse le fassent dans une certaine unité et/ou coordination afin d’éviter les doubles emplois et les inefficacités de gestion. La participation fait référence au fait que les assurés sociaux soient impliqués dans l’administration et la gestion de la sécurité sociale par le biais de leurs organisations représentatives. La Convention 102 de l’OIT (non ratifiée par le Gabon) évoque de la participation des représentants des travailleurs et éventuellement des employeurs.
- La viabilité financière. La mise en œuvre d’un plan pour réformer doit se faire en fonction des ressources disponibles (cotisations, impôts, taxes, etc.).
II. Un défi à relever : le choix du type de réforme
Le choix ici doit se faire entre des réformes structurelles (ce sont des transformations qui changent la nature du système) ou paramétriques (ce sont des modifications marginales apportées à l’équation de base liant cotisations et prestations). Pour cerner parfaitement les enjeux en la matière, il y a lieu d’apporter des précisions sur la nature des systèmes.
A. La nécessaire compréhension de la diversité des systèmes
Globalement, on distingue les systèmes bismarckiens dits d’assurances sociales (d’origine allemande) d’une part et les systèmes beveridgiens dits de sécurité sociale (d’origine britannique) d’autre part.
Le tableau suivant permet d’en saisir les grands traits :
Au-delà de cette première dichotomie, d’autres systèmes de pensions de vieillesse existent. Ils peuvent renvoyer à de la capitalisation individuelle (dans laquelle le salarié épargne pour financer sa retraite). On peut également avoir dans le même pays un système mixte qui va renvoyer à la fois à un des deux systèmes historiques présentés plus haut d’une part, et à la capitalisation d’autre part. L’autre option c’est d’avoir ces deux systèmes qui fonctionnent parallèlement ou conjointement. Enfin, le choix peut se porter sur la capitalisation en comptes notionnels. Un régime en comptes notionnels est un régime fonctionnant en répartition, qui permet d’assurer l’équilibre actuariel en niveau entre les cotisations versées et les pensions reçues par chaque génération, compte tenu des modalités particulières d’acquisition et de liquidation des droits à la retraite.
Au vu de ces différents éléments, le choix peut être fait entre une réforme paramétrique et une réforme structurelle.
B. L’option de la réforme paramétrique
De ce que l’on entend actuellement, il semble que l’on se dirige vers une réforme paramétrique. Quels sont les différents leviers que l’on peut lever en ce sens ?
Le premier levier est le taux de cotisation. Même si cela ne plaira pas au plus grand nombre, le système gabonais peut difficilement tenir, et surtout satisfaire pleinement, avec l’actuel niveau des cotisations. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les taux de cotisations de la CNSS avec ceux en vigueur dans d’autres pays africains.
Tableau comparatif des taux de cotisations dans quelques pays africains.
Modifier les taux de cotisations doit conduire également à revoir le plafond des cotisations. Rappelons que le plafond est le montant maximum de rémunérations donnant lieu au versement de cotisations. Aujourd’hui ce plafond est de 1.500.000 CFA. Dans les faits, chaque franc au-dessus de ce plafond ne donne pas lieu au versement des cotisations. A titre d’exemple/
Pour un salaire de 1.000.000 CFA, les cotisations sont de 7,5 % pour la vieillesse.
Pour un salaire de 1.500.000 CFA, les cotisations sont de 7,5% pour la vieillesse.
Pour un salaire de 2.500.000 CFA, les cotisations sont de 7,5 % jusqu’à 1.500.000 CFA, le million au-dessus n’est pas frappé par un prélèvement pour la vieillesse.
Et comme la retraite est calculée sur ce salaire plafonné, celui qui avait 1.500.000 CFA de salaire mensuel et celui qui percevait 5.000.000 CFA par mois auront exactement la même retraite. On peut imaginer la chute du pouvoir d’achat pour le second.
C’est une fois de plus la tendance à vouloir copier absolument le système français qui a conduit à adopter un plafond de cotisations. La réalité c’est que celui-ci n’est plus adapté au contexte actuel, et qu’’il est doublement insatisfaisant dans la mesure. Deux solutions se présentent ici : soit on augmente ce plafond, soit on décide de le supprimer purement et simplement en prenant soin toutefois de plafonner les pensions. Avec la première, il y aurait mécaniquement un accroissement du volume des sommes collectées par la CNSS, et ensuite une augmentation des pensions des salariés impactés par cette mesure. On pourrait également déplafonner les cotisations, ce qui aurait des effets bénéfiques sur les finances de la CNSS : 7,5 de 5.000.000 CFA c’est mieux que 7,5 de 1.5000.000 CFA. Et si l’on voulait vraiment prendre une mesure de justice sociale, il faudrait alors plafonner le niveau des pensions, comme on le fait dans d’autres pays. Du coup, l’effort pèse davantage sur les hauts revenus.
Le troisième levier est la durée pendant laquelle on cotise pour jouir d’une retraite à taux plein. Elle est aujourd’hui de 20 années. Dans l’ensemble des pays où des réformes ont été menées cette durée a été allongée. Il ne nous appartient pas ici de nous prononcer sur le nombre d’années. Cette décision doit relever d’une négociation collective ou d’une décision des pouvoirs publics.
Le quatrième levier est celui de l’âge de départ à la retraite. Porté de 55 à 60 ans il y a une dizaine d’années maintenant, un nouveau recul de cet âge pourrait être envisagé. De ce que nous savons, nombre de travailleurs ne seraient pas opposés à une telle mesure. Il faut en effet savoir qu’en droit, la retraite est une prérogative et non une obligation. Or, au Gabon, et dans la plupart des pays d’Afrique francophone, le principe est la mise à la retraite d’office une fois que l’on attend un âge limite. Or, il peut être envisagé de repousser cet âge pour certaines professions ou même individuellement, tout cela devant relever d’une négociation collective.
C. L’option de la réforme structurelle
Une réforme structurelle peut également être envisagée en considérant un certain d’éléments qu’on ne peut pas négliger, et que l’on peut résumer ainsi.
- La nécessité d’aller vers l’universalisation. A l’heure actuelle, seuls les travailleurs et les fonctionnaires bénéficient des prestations vieillesse. Or, avec la transition démographique que connait le Gabon, il y a aura de plus en plus de personnes âgées. Pense-t-on vraiment que les solidarités familiales sauront toujours faire face aux difficultés qui apparaissent avec la vieillesse, et notamment au niveau sanitaire ? Il faudra alors penser à faire pour la vieillesse, ce que l’on a réussi pour la maladie avec la CNAMGS à savoir l’universalisation. L’idée ici est la création d’une garantie minimale d’existence pour tout citoyen gabonais.
- La nécessaire mise en place des complémentaires. Cette exigence tient au faible niveau des pensions de retraite pour un certain nombre de salariés, en particulier ceux qui ont eu des rémunérations élevées pendant leur carrière. Il conviendrait de prévoir des retraites complémentaires dont la gestion serait confiée à d’autres organismes, la CNSS n’ayant pas vocation à intervenir sur ce terrain. Ces complémentaires pourraient être obligatoires ou non.
- L’urgence de revoir la nature juridique de la CNSS. De ce que l’on entend régulièrement la CNSS serait un organisme de droit privé, or rien n’est moins vrai. Le législateur n’a fait en 1975 qu’adopter des réflexes français. Or, dans ce même pays, la seule référence au droit privé pour les organismes de sécurité sociale, concerne le personnel. Ces caisses emploient en effet des salariés de droit privé, pour toutes les autres questions de gouvernance notamment ce sont des mécanismes de droit public qui s’imposent. Le statut de droit public n’est pas une étatisation des caisses contrairement à ce que l’on peut entendre. Il suffit pour cela d’observer le fonctionnement des caisses d’assurances allemandes (qui sont dirigées par des représentants des assurés sociaux élus) pour s’en convaincre.
- Le changement des conditions d’acquisition des droits avec le passage d’un régime par annuités à un régime par points. Aujourd’hui, le droit à la retraite est ouvert à partir du moment où on atteint l’âge légal et que l’on a le nombre d’années de cotisations requises (20 ans). Avec un régime par points, il s’agirait pour le salarié d’acquérir des points de retraite tout au long de sa carrière. A la fin de celle-ci, on ferait l’opération suivante : Nombre points cumulés X Valeur du point = Pension annuelle
Ces quelques lignes sont un simple éclairage pour que chaque citoyen puisse cerner les enjeux de la réforme qui est annoncée. Si des discussions pouvaient en surgir cela ne pourrait qu’aider ceux qui sont amenés à conduire ladite réforme. Pour notre part, nous reviendrons régulièrement que ce soit dans les canaux nationaux ou dans des revues plus spécialisées prendre part à ce débat.
* Augustin Emane, Maître de conférences HDR à l’UFR Droit de l’Université de Nantes, UMR CNRS 6297, Point Sud Institute Bamako
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