En gestation, le nouveau Code de la communication au Gabon entretient l’illusion d’une avancée et ne correspond en rien à ce qu’on pouvait en attendre en matière de liberté d’expression et de liberté des médias. Il risque même de ternir l’image du Gabon, pense, à travers le libre propos ci-après, Gilles Térence Nzoghe, conseiller membre du Conseil national de la communication (CNC). Une analyse sans complaisance du texte de loi en voie d’adoption.

Gilles Térence Nzoghe, conseiller membre du CNC. © Gabonreview

Gilles Térence Nzoghe, conseiller membre du CNC. © Gabonreview

 

Un texte fourre-tout, imprécis et lacunaire qui ne conduit pas à la mise en place d’un cadre juridique innovant, comme le voudrait une réelle réforme du code actuel. Simple reproduction du vieux code en vigueur, mais pire par tous les aspects, donc déjà voué à l’échec, ce chef-d’œuvre d’embrouille qui ne portera aucun effet nouveau en termes d’application efficace s’intitule «Projet de loi relative à l’exercice de la liberté de la communication en République Gabonaise».

Très largement inspirée des projets de textes de 2012 et 2014 élaborés par des commissions de rédaction mises en place par le Ministère de la Communication, mais qui n’avaient pas donné satisfaction, la future loi qui va désormais régir les médias au Gabon constitue un danger d’autant plus important qu’elle entretient l’illusion d’une avancée considérable à travers la dépénalisation des délits de presse et l’amorce d’une prise en compte de la presse numérique.

Le texte devait modifier la législation de 2001, mais il n’en est rien. Plus de la moitié des dispositions, du projet de loi qui compte deux cent neuf articles, soit vingt de moins que la loi en vigueur, n’ont aucun rapport avec les véritables préoccupations du moment.

En effet, le nouveau projet de texte ne correspond pas, loin s’en faut, aux standards internationaux applicables en matière de liberté de presse, de liberté d’expression et de liberté des médias. Il ignore, par conséquent, pratiquement toutes les modifications attendues par les professionnels et les observateurs du secteur en cause. Comme il ignore d’ailleurs la directive du Chef de l’Etat lors de la cérémonie de présentation des vœux à la presse en janvier 2014, qui demandait que «le code soit révisé en tenant compte d’un certain nombre de valeurs fondatrices de notre nation».

Ce manque de conformité, notamment aux instruments juridiques internationaux auxquels notre pays a adhéré et dont les plus importants sont : la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 et l’Accord de Florence de 1950 et son protocole additionnel signé le 26 novembre 1976 à Nairobi, visant tous à assurer la protection et la facilitation du travail du journaliste, risque de ternir encore longtemps l’image du Gabon, l’un des rares pays d’Afrique au sud du Sahara où foisonnent pourtant des médias dont la liberté de ton est sans égal. Une liberté qui demande cependant à être bien organisée.

© D.R.

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Malheureusement le «Projet de loi relatif à l’exercice de la communication en République Gabonaise» n’organise rien. On dirait même qu’il prépare le chaos tant il est vrai que ce texte est encore plus poreux que le code de 2001.

Désormais point n’est besoin de faire une déclaration préalable auprès du procureur de la République, un principe essentiel dans la quasi-totalité des législations modernes, pour créer et exploiter une entreprise de presse écrite. De même le casier judiciaire du directeur de la publication et même sa pièce d’état civil ne sont plus exigés dans le dossier de création de l’entreprise ; dossier que le ministère de la communication se contentera dorénavant d’enregistrer afin de délivrer un récépissé d’enregistrement et non plus un récépissé de déclaration de constitution d’un organe de presse.

Donc plus de contrôle du tout des pièces justificatives de l’existence juridique de l’entreprise, puisque la délivrance des différents récépissés est devenue quasi automatique après l’obtention d’une fiche circuit auprès du Centre de développement des entreprises (CDE).

Un autre exemple de manque : le Chef de l’Etat a donné son accord pour dépénaliser les délits de presse ; c’est-à-dire soustraire les peines privatives de liberté de l’arsenal des sanctions prévues en cas de délits de presse. Mais le projet de loi ne dresse pas un catalogue de ces délits de presse qui, par conséquent, ne sont pas expressément définis ni spécifiés pour les distinguer des délits de droit commun perpétrés par voie de presse. Pareil pour les lourdes amendes qui sont prévues pour punir les infractions diverses, alors même qu’aucune précision n’est donnée sur les juridictions compétentes et la procédure. On ne sait donc pas qui a qualité ou intérêt pour agir, qui doit attaquer pour faire appliquer la loi et devant quelle juridiction ?

Comme dans le code de 2001, des lacunes récurrentes réduisent considérablement la portée de la nouvelle loi qui reste aussi muette sur de nombreux autres points de droit, qui ont trait notamment à l’organisation juridique des nouvelles entreprises de communication et à la détermination des droits et obligations essentiels à l’exercice du métier de journaliste. Autant de principes fondamentaux qui, dans tous les pays qui s’exercent à la démocratie, garantissent un encadrement juridique responsable de la profession en même temps que l’émergence d’une presse de qualité.

Visiblement, les auteurs de ce nouveau projet de loi ne se sont pas posé la bonne question de savoir quel était l’objectif principal de la réforme du mauvais code de la communication en vigueur depuis quatorze ans ? Car sur la dizaine de titres qui composent la future loi, quatre seulement effleurent à peine, mais dans le désordre, les rares points d’intérêt retenus par la commission de rédaction. Cet amateurisme est d’autant plus surprenant que la dernière mouture du texte serait le fruit d’une réflexion engagée suite aux recommandations formulées par les états généraux de la communication organisés à la fin de l’année 2014.

Si l’information est fondée, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité d’avoir convoqué ces états généraux de la communication. Les deuxièmes du genre depuis que le pays cherche à restructurer l’ensemble de la presse nationale, pour mettre fin aux dysfonctionnements et aux dérives qui se sont installés ces vingt-cinq dernières années dans le secteur de l’information et des médias.

Avions-nous besoin d’une nouvelle édition des états généraux de la communication, après le fiasco de l’édition précédente, si la plus importante des réformes attendues devait se résumer en un texte fourre-tout, pâle copie du code de 2001 dont tout le monde connait maintenant les limites ? La réponse est non. On ne convoque pas ce genre d’assises si elles ne sont pas capables de générer de nouvelles règles de base qui devront à l’avenir régir le secteur d’activités concerné.

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Certes, au Gabon et c’est spécifique, le secteur de l’information et de la communication intègre plusieurs corps de métiers qui vont du journalisme à la publicité en passant par la cinématographie. Mais qui a dit qu’un seul texte législatif, de surcroit décousu, pouvait organiser un secteur aussi chargé à l’excès de petits boulots que celui-là ?

D’ailleurs la publicité et la cinématographie qui utilisent très librement les médias comme supports pour vendre leurs produits n’ont jamais eu de soucis en termes de liberté, car elles n’ont pas pour fonctions d’informer. Pourquoi vouloir les assimiler au journalisme ? Leur présence n’a pas lieu d’être dans un texte de loi visant somme toute à réorganiser le secteur de l’information et des médias. La cinématographie et la publicité qui sont en fait des industries doivent maintenant être organisées par des textes spécifiques. D’autant plus que la Constitution de la République a finalement retiré de son article 94 qui consacre la liberté de presse la spécialité «presse cinématographique». Une fausse branche du journalisme inventée on ne sait pourquoi par les rédacteurs du code de 2001 et reprise curieusement par l’actuelle commission de rédaction.

Aujourd’hui, au regard des nombreuses difficultés avec lesquelles sont aux prises la plupart des journaux gabonais, notamment le manque de professionnalisme lié à la formation et aux conditions d’accès à la profession de journaliste, l’activité qui aurait dû être retenue en priorité dans le cadre précis de la réforme du code de 2001, c’est en effet la presse ; c’est-à-dire les hommes et les entreprises qui les emploient. C’est donc la nouvelle organisation des médias nationaux aux plans technique, économique et même politique qui devait être au centre de la réforme. Dans la mesure où celle-ci doit permettre aux organes de presse gabonais de se professionnaliser et d’exercer librement sous la protection des textes qui régissent leur fonctionnement sans aucun empiètement des pouvoirs publics.

Pour ce faire, cette réforme qui se veut démocratique, et qui doit normalement déboucher sur la mise en place d’un nouveau cadre juridique arrimé aux évolutions de notre société et aux transformations de l’environnement médiatique international, doit d’une part consacrer définitivement la liberté de presse et tous les principes sur lesquels elle se fonde dans toutes les branches du journalisme, y compris les nouveaux médias. D’autre part, pour valoriser cette liberté, la nouvelle loi doit nécessairement dresser des balises devant permettre à terme une impérative remise en ordre dans un secteur d’activités caractérisé par une indéniable anarchie.

Enfin, le texte de base qui va désormais gouverner le secteur de la presse en Gabon doit pouvoir présenter toutes les garanties requises en termes d’organisation et de fonctionnement des médias, condition sine qua non pour s’inscrire dans la perspective d’une finalité bâtie autour des termes de référence précis, que sont la modernité et le professionnalisme comme le souhaite vraisemblablement le Gouvernement.

Mieux, pour être efficace le nouveau dispositif législatif devrait être complété par une bonne demi douzaine de textes réglementaires subséquents pris dans la foulée et au rang desquels : un décret fixant les nouvelles modalités de délivrance de la carte d’identité professionnelle, qui ne saurait être la même pour tous les professionnels des médias comme le prévoit la future loi. Car le journalisme, activité phare du secteur, occupera toujours une place à part. Un autre décret essentiel fixerait les nouvelles modalités de création et d’exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelles, écrites et numériques, texte qui serait axé sur la recherche des solutions se rapportant à la viabilisation de ces entreprises.

Quantité d’autres questions périphériques qui alourdissent le projet de loi en examen peuvent également être abordées dans d’autres catégories de textes et toujours dans le prolongement immédiat de la nouvelle loi. Il en est ainsi, par exemple, des dispositions du chapitre 2 concernant «Les missions de service public de la communication». Il s’agit là d’un point d’intérêt certes mais qui pourrait bien faire l’objet d’un décret ou d’un arrêté fixant les cahiers des charges de Gabon télévision ou de Radio Gabon. Des textes extrêmement importants qui auraient dû nous éclairer depuis 2001 sur les politiques de communication des médias d’Etat, mais que le Ministère de la communication n’a jamais pu initier comme le stipule pourtant l’article 103 du code de la communication en vigueur.

En tout état de cause, s’il est adopté en l’état, le «Projet de loi sur l’exercice de la liberté de la communication en République Gabonaise» ne portera aucun effet nouveau en termes d’application efficace. Et l’échec de cette réforme cruciale sera plus dommageable pour notre système général d’information que l’échec de la réforme de l’audiovisuel public, qui prive la population d’une radiotélévision nationale efficace et compétitive.

© D.R.

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Cet échec programmé, d’une réforme pourtant voulue par les plus hautes autorités du pays, aura par ailleurs pour conséquence fâcheuse de limiter définitivement la capacité du Conseil National de la Communication (CNC) à faire face aux nombreux défis auxquels il est confronté, notamment celui d’accompagner les médias dans leur lourde mission de satisfaire au droit à l’information des citoyens tout en respectant les principes qui fondent la profession.

Réduit dès sa création à recourir souvent à des artifices juridiques pour exercer ses fonctions, faute d’une bonne loi sur la liberté de l’information, le CNC éprouve depuis vingt trois ans la plus grande peine à accroitre sa visibilité dans l’appareil institutionnel national. Tout le contraire de la Cour Constitutionnelle, sa sœur ainée, qui a pu couvrir, en deux décennies, tous les domaines de compétence que lui reconnait la loi. D’où les très vives critiques, pas toujours fondées bien sûr, que suscite depuis quelque temps notre indispensable et prestigieuse institution d’appui à la démocratie, qui a plus que jamais besoin de prendre appui sur un cadre normatif lisible et rigoureux pour remplir les missions que lui assigne la loi et non celles que chacun voudrait lui prescrire.

La préoccupation fondamentale de notre jeune démocratie doit donc consister aujourd’hui à transformer l’environnement médiatique national à travers l’application d’une réglementation précise et technique permettant, entre autres, une régulation optimale ; c’est-à-dire la recherche permanente d’un juste équilibre entre les concepts de liberté et de responsabilité qui doivent encadrer les actions de communication. Afin que les médias puissent effectivement jouer leur rôle de vecteur de développement à travers leurs fonctions d’information, d’éducation, de divertissement et de maintien de la cohésion sociale.

A l’heure où l’Etat s’est engagé dans une transformation profonde des services et des organismes publics, et comme l’ont d’ailleurs suggéré les états généraux de la communication, il serait souhaitable d’inscrire rapidement dans ce processus de réformes le CNC et le Ministère de la communication. Afin de redéfinir leurs missions pour les adapter notamment aux évolutions du contexte actuel de refonte de la loi sur la presse, et aussi de clarifier les compétences entre ces deux institutions qui n’arrêtent pas de se télescoper cependant que les textes officiels prônent la coexistence pacifique.

Gilles Térence Nzoghe

Ancien Journaliste audiovisuel

Conseiller Membre du CNC

 

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Carl Nguema dit :

    Les journalistes gabonais on comme pour hobi la calomnie et l’insulte au lieu de transmettre une véritable information ils exagèrent toujours et pour la plus part du temps déforment l’information, sans pourtant qu’il n’y ai eu de sanctions sévères , la liberté des médias n’a donc jamais été remise en cause, on devrai plutôt resserrer la loi en vu de véritables sanctions en cas d’abus afin de responsabiliser les uns et les autres

  2. BABOKI dit :

    Mais de qui était constitué ce comité de rédaction? Par ailleurs, il m’a semblé que RSF avait été sollicité pour la réforme de ce code; quel a été son apport?

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