Otages, état sanitaire alarmant de l’un d’eux, rumeur sur la cargaison des navires attaqués, intérêts marocains au Gabon, soupçons d’une conspiration des Corses et alliés Algériens, obsèques du Commandent tué par des pirates, avancement de l’enquête, etc. Le Docteur Moustapha Aziz, PDG du groupe Satrammarine auquel appartient Satram Gabon, livre dans cet entretien avec Gabonreview ce qu’il sait et pense de l’attaque pirate dont ont été notamment victimes les bateaux de Satram le 22 décembre dernier. 

Dr Moustapha Aziz, PDG de Satrammarine : «Je pense que les intérêts marocains ont été visés parce qu’on avait déjà reçu des menaces dans ce sens-là. (…) Le groupe Satram est le symbole même de la coopération entre le Gabon et le Maroc. Il gène beaucoup de monde.» © D.R.

 

Gabonreview : Un de vos navires assurant la navette entre Libreville et Port-Gentil a été attaqué par des pirates dans la nuit du 21 au 22 décembre. Avez-vous une idée de ce qui s’est passé ?

Dr Moustapha Aziz : Il ne s’agit pas d’un seul navire, mais de deux navires. Un qui a été arrêté au niveau de la Pointe-Denis (Tropic Down), et l’autre, Rénovation, 2h après dans les mêmes eaux territoriales mais au niveau de l’Île Mbanié. Donc il s’agit de deux actes criminels ayant été simultanément commis par le même groupe de 15 personnes lourdement armées. De grands bateaux d’ailleurs. Ces bateaux font la liaison entre Port-Gentil et Libreville. Ils transportent le gros de la consommation des Port-gentillais. L’un d’eux fait également Libreville/Douala au Cameroun. Tout ça c’était dans la nuit du 21 au 22 décembre dernier.

On voit donc que ces bateaux transportaient des vivres et autres produits de consommation courante plutôt que des métaux précieux, ainsi que le prétend la rumeur. A-t-on une idée de ce que visaient les pirates ?

Les navires transportent des voitures, des denrées alimentaires et tout ce qui est nécessaire pour la population de Port-Gentil. L’autre bateau qui transporte environ une centaine de containers, ne contenait aucune marchandise précieuse. Ce qu’il y avait de précieux ce sont les êtres humains et on en a perdu sur le premier bateau.

Certaines indiscrétions laissent entendre que les assaillants savaient exactement ce qu’ils venaient chercher. Ont-ils emporté quelque chose en termes de butin ?

Pas du tout. Ils n’ont rien emporté sauf la vie du Commandant de bord du premier bateau, tué de sang-froid. Ce qui est arrivé est bizarre. On a l’impression que c’est un acte commandité, parce que ces assaillants sont arrivés sur le bateau et ont demandé à voir le commandant. C’est le chef technicien et le chef cuisinier qui les ont conduits là où se trouvait le Commandant. Ils l’ont amené avec eux et deux minutes après, des coups de feu ont été entendus. Ils ont quitté le bateau tranquillement et n’ont demandé à personne d’autre de les suivre. N’ayant pas trouvé le commandant adjoint, du moins ils n’ont pas cherché, ils ont cru que le bateau devait aller à la dérive et finir par se noyer définitivement. C’est un acte criminel effectué par des professionnels. Ils ont liquidé la personne sans lui poser des questions. Ils l’ont simplement identifié et ont tiré sur lui.

À ce niveau de l’enquête, a-t-on une idée de l’identité des assaillants ?

Juste après, entre 7 et 8h du matin, lorsqu’on a eu connaissance de cet acte, un conseil d’administration s’est tenu à ce sujet. Sur recommandation du Conseil d’administration, un comité de veille a été mis en place pour suivre le déroulement de cette crise en collaboration avec les autorités marocaines. Et, vraiment, tous les moyens ont été mis à notre disposition pour chercher d’une manière urgente les bateaux et les pirates ayant commis cet acte et pour déterminer les niveaux de responsabilité.

Jusqu’à présent je crois que le procureur de la République du Gabon et les autorités marocaines suivent l’affaire de très près. Ils sont très sensibles et je peux vous assurer que les attaques subies par les deux bateaux sont dirigées contre le groupe Satram qui a des intérêts totalement marocains et qui existe au Gabon depuis 35 ans. Le groupe Satram est le symbole même de la coopération entre le Gabon et le Maroc. Il gène beaucoup de monde, spécialement les intérêts allant totalement à l’encontre du Gabon et du Maroc. Depuis déjà 18 mois, nous parlons de la déstabilisation du groupe Satram : des grèves sauvages sont commanditées par des Corses et leurs alliés Algériens… tout le monde le sait. On en a parlé. Même la Lettre du Continent en a parlé. Tout le monde nous disait que le complot contre le groupe Satram vise à le mettre totalement à genou. Ils n’y sont pas arrivés jusqu’à présent grâce au travail fait par notre Direction générale et par des Gabonais restés très fidèles à l’entreprise et à celui qui a créé le groupe, Lahcen Jakhoukh. Sincèrement ce que je pense, c’est que nous étions visés puisqu’il y avait d’autres bateaux croisant dans la zone.

Justement d’autres bateaux, notamment chinois, ont été touchés dans la même nuit. Ça pourrait laisser penser que vous n’étiez pas essentiellement visé…

Le seul chalutier qu’ils ont pris, ils l’ont mis aussi dans le bateau de Satram pour quitter les eaux territoriales du Gabon. Je ne sais pas comment expliquer l’acte contre les Chinois, mais d’autres bateaux étaient dans la même zone et n’ont pas été attaqués. Dans notre deuxième bateau il y a eu prise de deux otages : le Commandant et le chef mécanicien, emmenés avec les Chinois. D’après les témoignages, ils visaient Satram en tant que groupe. C’est confirmé par différentes sources. Jusqu’à maintenant on attend toujours l’aboutissement de l’enquête, mais il y a des éléments concordant à ce sujet. Et, je pense que les intérêts marocains ont été visés parce qu’on avait déjà reçu des menaces dans ce sens-là. Mais ces menaces, on ne les a jamais pris au sérieux croyant que c’étaient des menaces sans fondement, sans raisonnement. Mais, jusqu’à ce jour, vous pouvez voir des cercueils symboliques devant la direction de Satram à Port-Gentil. Ce qui veut clairement dire qu’on en veut à la vie des marocains.

Combien d’otages tiennent les pirates ? Y-a-t-il une demande de rançon ?

Personne ne nous a contacté. Pour le moment on attend toujours. On a un comité de veille sur la crise qui est disposé à examiner tout ça au niveau du Gabon, du Cameroun et du Maroc. Mais, on attend que les choses s’éclaircissent parce que le Commandant du bateau Rénovation était très-très malade et, sa situation ne permet pas de le garder très longtemps comme otage. On appelle vraiment toute la coopération internationale pour sauver les vies de ces personnes ainsi que la vie des Chinois qui sont également en otage. Il s’agit de pêcheurs qui étaient juste à côté de notre bateau. Ils ont été pris en otage parce qu’ils étaient à quelques mètres du bateau de Satram.

Pour revenir à Satram, que pouvez-vous dire à l’opinion pour rassurer vos clients ?

Je peux vous assurer que malgré tout ce qui est arrivé, on a assuré la liaison avec le même bateau Tropic Down. Il est arrivé à Port-Gentil aujourd’hui avec sa cargaison. On ne pas se permettre d’interrompre les choses, même momentanément. C’est le seul bateau qui fait ce trajet pour nourrir toute la ville de Port-Gentil. Donc, il continue d’assurer la liaison et, pour nous, c’est un défi pour servir le Gabon et l’économie gabonaise. Parce qu’en période de Noël et à la veille de la nouvelle année, on ne peut pas se permettre de laisser la ville sans vivres. Par ailleurs, le groupe Satram a payé les salaires de ses employés juste avant Noël pour éviter le marasme. Sur le plan social, nous voulons que le personnel et l’opinion publique sachent qu’avec toutes les difficultés, notamment les grèves sauvages condamnées par le tribunal, les adversaires de Satram continuent à mettre les cercueils un peu partout. Le week-end dernier des slip ensanglantés, indiquant les gens visés, ont été tendus sur une corde devant le siège l’entreprise à Port-Gentil.

Cela signifie qu’il y a encore des tensions sociales au sein de votre entreprise. Mais en cette fin d’année, quel bilan tirez-vous de l’activité de Satram au Gabon ?

Satram est en redressement et malgré ce redressement de 18 mois, on a pratiquement 12 à 13 mois de grève. Malgré cette situation, on a très peu d’arriérés de salaires des gens qui travaillent. Ceux qui ne travaillent pas, ont 4 ou 5 mois de retard. On est peut-être le groupe au Gabon qui paie le plus et dans les temps malgré ces grèves. Malgré tout ce qui se passe, on est sur pied et on va relever les défis parce qu’il y a des cadres marocains et des cadres gabonais qui croient en cette expérience, en cette coopération entre le Maroc et le Gabon. Ils sont disponibles même dans les moments les plus difficiles de l’histoire de Satram. On est en train de relever les défis grâce aussi à la compréhension des autorités gabonaises et marocaines. Et depuis le retour aux affaires du président Bongo on se sent plus à l’aise.

En termes d’assurance, obsèques ou aide à la famille, la société a-t-elle prévu quelque chose pour le commandant Mbina qui a été abattu ?

Bien sûr. C’est la société qui va prendre tout en charge. J’avais donné des orientations précises pour honorer cet homme qu’on considère comme un martyr et il a vraiment été un martyr. C’est quelqu’un qui avait de bonnes qualités, de très grandes qualités. C’est peut-être le premier commandant de grande qualité au Gabon et dans le groupe en tout cas, tout comme celui qui est actuellement otage. Les deux sont brillants. Pour le martyr, c’est la société qui prendra en charge ses enfants et ses funérailles. On a pris des mesures à ce sujet et nous remercions le gouvernement gabonais qui a décidé, en Conseil des ministres, de rendre un hommage national à Aymard Mboumba Mbinah, le Commandent décédé lors des attaques des pirates.

Pour conclure…

Le groupe Satram relève les défis malgré les manœuvres dilatoires de ceux qui essaient de le contrecarrer et nous parlons spécialement de ceux qu’on a déjà cité : les corses et autres. Donc, on est en train de relever les défis et nous pensons que l’acte de piraterie s’inscrit complètement dans le cadre de la déstabilisation de la société et on ne va jamais baisser les bras. C’est pour cela que nos bateaux prendront le large que ce soit à l’intérieur du Gabon ou dans la région. Nous sommes disposés à promouvoir cette région et à travailler avec les autorités gabonaises, camerounaises et guinéennes.

 
GR
 

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