N’étant sans doute pas au courant de la sortie du CNC quant au journal gabonais «La Loupe», Reporters sans frontières (RSF) a publié, le 12 novembre 2015, l’article ci-après reproduit intégralement.

© Gabonreview/Shutterstock

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Le ministre de la Communication accuse le quotidien La Loupe de «trouble à l’ordre public, incitation à la haine, appel au meurtre et à la désobéissance civile» et a saisi le Conseil national de la communication et la justice gabonaise. Reporters sans frontières dénonce ces mesures arbitraires qui outrepassent les responsabilités ministérielles du nouveau titulaire du poste.

Le 3 novembre, le journal privé La Loupe publiait un article relayant les conclusions d’un rapport gouvernemental d’août 2015 sur l’immigration illégale. Dans la même édition, un éditorial s’inquiétait des problèmes de gouvernance dans le pays et allait jusqu’à invoquer le recours aux armes comme possible remède. Le lendemain, un communiqué publié dans le journal gouvernemental L’Union, et signé de la main du nouveau ministre de la Communication, Alain-Claude Bilie By Nzé, décrétait que ces articles portaient atteinte à la sécurité nationale et déclarait l’ouverture d’une procédure devant le Conseil national de la communication (CNC) ainsi que de poursuites judiciaires contre le journal pour «trouble à l’ordre public, incitation à la haine, appel au meurtre et à la désobéissance civile».

«Reporters sans frontières ne cautionne pas le contenu de ces deux écrits, pétris d’opinions personnels et qui vont au delà d’un simple travail d’information journalistique, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières. Néanmoins, l’organisation s’inquiète des prérogatives que s’octroie ici le nouveau ministre de la Communication Alain Bilie By Nzé. Celles-ci font craindre qu’au delà de la rigueur journalistique, c’est le journal et la voix dissidente qu’il fait entendre, qui sont ici sanctionnées».

Le communiqué du nouveau ministre de la Communication use d’une série de raccourcis qui laissent douter de la bonne foi de la démarche gouvernementale.

Tout d’abord le communiqué qui incrimine le journal La Loupe, signé de la main du ministre, amalgame, comme s’il s’agissait d’un même article, les deux articles incriminés : le sujet sur l’immigration clandestine et l’éditorial sur les problèmes de gouvernance. Ainsi il fait tenir au journal des propos qui vont au-delà du contenu, déjà véhément, des articles.

Par ailleurs, il ne revient pas à l’exécutif de dicter au CNC ou à la justice de quelle affaire ils doivent se saisir. A ce jour l’éditeur du journal n’a reçu aucune notification de la part du CNC ou de la justice sur l’ouverture de procédures. Cette annonce a donc surtout comme impact d’intimider ceux étant associés de près ou de loin au journal. Ainsi l’imprimeur et le distributeur de La Loupe ont suspendu leur collaboration avec le journal dès le lendemain du communiqué, invoquant «le principe de précaution».

Enfin, le ministre de la Communication se fonde sur l’ordonnance 18/PR/2015 de 2015 qui remplace le Code de la Communication de 2001pour justifier des poursuites contre le journal. Or ce texte, résultant des travaux de réforme du Code de la Communication que le gouvernement gabonais a amorcé il y a deux ans est très peu connu des professionnels des médias. De plus le fait de remplacer une loi par une ordonnance, une mesure réservée dans la Constitution gabonaise aux situations d’urgence, laisse planer un doute sur la volonté de transparence annoncée par le gouvernement.

Un journal déjà dans le viseur

Quelques jours avant ces évènements, dans la nuit du 29 au 30 octobre, les locaux de La Loupe, partagés avec L’Aube, ont fait l’objet d’un cambriolage au cours duquel tous les ordinateurs et plusieurs documents importants ont été volés. Ce n’est pas la première fois que les journaux de l’éditeur Alphonse Ongouo font l’objet d’attaques mystérieuses. En septembre 2014, le journal La Loupe avait fait l’objet d’un piratage grossier, sa une contenant des articles critiques du gouvernement ayant été remplacée en dernière minute chez l’imprimeur par une autre version.

Ancien porte-parole de la présidence, Alain Billie By Nzé a été nommé ministre de la Communication début octobre. Il hérite d’un portefeuille difficile, comprenant de nombreux chantiers comme la viabilité de la chaîne Africa N°1 ou du journal Gabon Matin, qui ne paraît plus depuis le 23 octobre. Ses premiers pas dans ce poste semblent avoir déjà braqué la communauté médiatique qui lui reproche son interférence dans la programmation des chaînes publiques et ses velléités «d’encadrer la liberté de la presse».

Le Gabon occupe la 95e place au Classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

 

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Jean.jacques dit :

    Chers RSF il ne suiffit pas de crier contre led sanctions de ce journal pensez vous que la liberte est synonyme du mensonge.insitation s la violence .injure.vous devrez au moins orienter certains journaux dans leur mission.

  2. Le gabonais dit :

    Jean Jacques à quel niveau se trouvent la haine la violence l injure? La loupe est un journal sérieux et téméraire. Voilà pourquoi le pouvoir cherche à le sanctionner.

  3. NGUYEN HOANG BAO VIET dit :

    Une contribution à la mémoire des naufragés de la liberté d’expression et d’opinion

    Persécutés, menacés de mort, privés de liberté,
    Ecrivains et Journalistes sont sur les routes de l’exil.

    Nous n’oublions pas, il y a 20 ans, le 10 novembre 1995, Ken Saro-Wiwa fut exécuté par la dictature militaire nigériane parce qu’il avait dit la vérité. Et puis, l’assassinat d’Anna Politkovskaya en Russie, le 7 octobre 2006 et celui de Hrant Dink en Turquie, le 19 janvier 2007, sont les exemples les plus criants et révoltants du crime. Ou encore, au Viet Nam, PEN International déplore la mort douloureuse et injuste du blogueur et professeur Dinh Dang Dinh, survenue le 3 avril 2014 à son domicile, après avoir été condamné en août 2012 à six années de prison. Il a été amnistié trop tardivement le 21 mars 2014, alors qu’il n’était plus qu’un squelette ambulant dévoré par un cancer de l’estomac en prison. Peu de temps avant sa mort, Dinh Dang Dinh a indiqué que lorsqu’il a découvert du sang dans ses selles, il avait formulé de nombreuses demandes pour être admis dans un hôpital pour y subir des examens, mais les gardiens l’ont battu au lieu de lui procurer le traitement dont il avait un besoin urgent. Le poète de 69 ans, Nguyen Huu Cau qui purgeait une peine d’emprisonnement à vie à la place d’une condamnation à mort rendue en 1983, a également été amnistié en mars 2014 pour raisons de santé. Il souffre d’une sévère défaillance cardiaque, ne voit pas de l’oeil gauche, voit mal de l’oeil droit et est presque sourd. Nous saluons sa libération, mais il n’aurait jamais dû aller en prison pour commencer. Nous continuons de travailler ensemble pour éveiller la conscience publique à la tragédie des naufragés de la liberté d’expression.
    Pour mémoire, envoyés de la RFI au Mali, Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont été assassinés le 2 novembre 2013. Depuis leur mort atroce, le sang ne cesse de couler. Charlie Hebdo a été réduit en cendres au cœur de Paris. Elsa Cayat, Jean Cabut, Philippe Honoré, Bernard Verlhac, Georges Wolinski, Stéphane Charbonnier, Bernard Maris et Mustapha Ourrad ont été abattus injustement. Partout, la plume et le crayon continuent d’être confisqués ou brisés. Dessins, chansons, poèmes sont des cibles visées par le pouvoir politique arbitraire, le fanatisme et l’intolérance religieux, la surveillance de la police secrète, les grands crimes organisés.
    Durant les 12 derniers mois, depuis le 2 novembre 2014, selon PEN International, au moins 49 écrivains, poètes, journalistes, blogueurs, dessinateurs humoristiques, correcteurs et cinéastes ont été assassinés, en toute impunité. On déplore 8 meurtres en France (Charlie Hebdo), 6 au Mexique (José Moisés Sanchez Cerezo, Ismail Diaz Lopez, Gerardo Nieto Alvarez, Juan Mendoza Delgado, Filadelfo Sanchez Sarmiento, Ruben Espinosa), 5 au Bangladesh (Avijit Roy, Washiqur Rahman, Ananta Bijoy Dash, Niloy Chakrabarti, Faisal Arefin Dipan), 5 en Inde (Jagender Singh, Sandeep Kothari, Raghavendra Dube, Malleshappa Madivalappa Kalburgi, Mithilesh Pandey), 4 en Irak (Thaer Alali, Ammar Al-Sahahbander, Raed Al-Joubouri, Suahaa Ahmed Radhi), 2 au Brésil (Marcos de Barros Leopoldo Guerra, Evany José Metzker), 2 aux Philippines (Nerlita Ledesma, Gregorio Ybanez), 2 en Syrie (Kenji Goto Jogo, Khaled al-Asaad), 2 en Turquie (Ibrahim Abdulkadir, Firaz Hamadi), 1 en Azerbaijan (Rasim Aliyev), 1 au Danmark (Finn Nørgaard), 1 en Egypte (Shaimaa El-Sabbagh), 1 au Guatemala (Danilo Lopez), 1 au Kenya (John Kituyi), 1 en Mozambique (Paulo Machava), 1 en Pakistan (Zafarullah Jatak), 1 au Pérou (Fernando Raymondi Uribe), 1 en Pologne (Lukasz Masiak), 1 en Somalie (Abdullahi Ali Hussein), 1 au Soudan du Sud (Peter Moi Julius), 1 en Ukraine (Oles Buzyna), et 1 au Yémen (Abdul Karim Mohammed Al-Khaiwani).
    En même termps, le Comité des Ecrivains en prison enregistre environ 900 cas d’attaques contre nos porteurs de rêves et d’aventures, témoins des réalités humaines à travers la planète. Le Congrès du PEN International à Québec, du 12 au 16 octobre dernier, a adopté des résolutions relatives à la situation très critique de la liberté d’expression, dont celles concernant le Bangladesh, l’Ethiopie, le Honduras, l’Iran, le Mexique, la Chine, le Tibet, le Viet Nam et la Turquie, entre autres. Les délégués se soucient par ailleurs du sort des femmes et des hommes de lettres parmi des milliers de leurs compatriotes portés disparus en Méditerrannée, dans l’actuel exode meurtrier vers l’Europe. Les écrivains vietnamiens en exil se souviennent aussi de la tragédie des centaines de milliers de boat people vietnamiens noyés dans les mers en Asie-Pacifique après l’arrivée des troupes communistes en avril 1975.
    Le 15 novembre 2015 sera la 34è Journée mondiale des Ecrivains en prison, juste 2 semaines après la 2è Journée internationale de la Fin de l’Impunité pour les Crimes commis contre des Journalistes.
    A l’occasion de ces Journées – Evénements, le Centre PEN Suisse Romand, l’un des 145 Centres du PEN International, vous adresse cet appel : Joignez vos voix aux nôtres, celles des milliers d’écrivains, poètes, journalistes, blogueurs, traducteurs et éditeurs, ainsi que des amis et sympathisants de PEN International, pour soutenir des victimes de la tragédie des naufragés de la liberté d’expression et d’opinion. Les cas majeurs suivants, parmi tant d’autres, nous inspirent de profondes inquiétudes:
    – Juan Carlos Argenal Medina, journaliste hondurien, assassiné le 7 décembre 2013 parce qu’il aurait eu le courage de dénoncer la corruption. Les circonstances de sa mort n’ont pas été élucidées. Pas de progrès dans les enquêtes.
    – Raif Badawi, blogueur et éditeur saoudien, condamné en 2012 à 10 ans de prison, 1000 coups de fouet, une amende, une interdiction de voyager pendant 10 ans et une interdiction de même durée de collaborer à des médias pour ‘’insulte à l’islam’’ et ‘’création d’un site internet libéral’’.
    – Amanuel Asrat, poète érythréen, critique et rédacteur en chef du grand journal Le Temps. Arrêté le 23 septembre 2001 durant une vague de répression sur les médias publics et privés. Détenu sans inculpation ni procès.
    – Patiwat Saraiyaem et Pornthip Munkong, étudiant et étudiante thailandais, arrêtés en août 2014, condamnés à 2 ans et demi de prison pour crime de lèse-majesté en participant à la mise en scène d’une pièce de théâtre à l’Université Thammasat en 2013.
    – Khadija Ismayilova, journaliste d’enquête azerbaïdjanaise, célèbre pour ses enquêtes sur la corruption au sommet de l’Etat et ses critiques, arrêtée le 5 décembre 2014 dans une affaire montée de toutes pièces. Condamnée le 1 septembre 2015 à 7 ans et demi de prison pour ‘’détournement de fonds et fraude fiscale’’.
    – Ho Thi Bich Khuong, blogueuse vietnamienne, défenseure des droits humains et auteure d’un mémoire en prison, de poèmes satiriques et d’articles en ligne. Interviewée par une radio étrangère, elle a dénoncé les abus de pouvoir à l’encontre de paysannes pauvres. En juin 2006, son mari a été assassiné dans des circonstances mystérieuses dans leur village. Elle avait auparavant été violemment agressée et soumise à de brèves détentions. Elle avait déjà purgé deux peines de prison en 2005 et 2007. Arrêtée en décembre 2010, elle a été condamnée en décembre 2011 pour ‘’propagande contre l’Etat socialiste’’, à 5 ans de prison et 3 ans de détention probatoire. Elle aurait été fréquemment mise à l’isolement pour avoir protesté contre ses conditions de détention en faisant la grève de la faim. En prison, elle a été torturée et sévèrement tabassée par des détenues de droit commun. D’autres agresseurs lui ont fracturé le bras gauche au cours de la détention précédant le jugement. Elle souffre encore d’une clavicule cassée, qui n’a jamais été traitée en raison de l’absence de soins médicaux adéquats. Elle est en très mauvaise santé.
    Nguyên Hoàng Bao Viêt,
    PEN Suisse Romand (Comité des Ecrivains en Prison)
    Genève le 2 – 15 novembre 2015

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