Détention de Magloire Ngambia : Roland Adjovi Sètondji explique l’Avis du Groupe de travail de l’ONU
Membre du Groupe de travail sur la détention arbitraire depuis 2014, le mandat de Roland Adjovi Sètondji arrive à terme en septembre 2020. Dans cet entretien, il explique l’Avis du Groupe de travail sur le cas Magloire Ngambia. S’il assure que ledit Groupe a imposé une réparation pour les violations en l’état actuel, il souligne cependant qu’il ne s’est pas intéressé aux accusations qui pesaient contre Magloire Ngambia, ancien ministre de l’Économie, sous mandat de dépôt depuis le 10 janvier 2017, dans le cadre de l’opération Mamba.
Roland Adjovi Sètondji, membre du Groupe de travail sur la détention arbitraire depuis 2014. © D.R.
Gabonreview : Quelles sont les missions du Groupe de travail de l’ONU ?
Roland Adjovi Sètondji : Composé de 5 experts élus par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le Groupe de travail s’occupe de la détention arbitraire à travers le monde. Il assiste le Conseil sur les questions liées à la détention arbitraire et a plusieurs outils à sa disposition. D’abord, nous visitons les pays qui le souhaitent pour une appréciation de leur droit et de leur pratique en la matière et leur recommandons les dispositions pour éviter la détention arbitraire. Ensuite, nous agissons comme un organe de règlement des différends toutes les fois où un individu nous saisit pour se plaindre que sa situation constituerait une détention arbitraire. La procédure est alors contradictoire et débouche, la plupart du temps, sur une décision appelée Avis. Le Groupe en adopte entre 60 et 90 par an. Cette procédure concerne tous les pays membres des Nations unies. Enfin, le Groupe de travail peut faire toute étude requise par le Conseil des droits de l’homme sur des questions liées à la détention arbitraire. En septembre dernier, le Conseil a ainsi demandé au Groupe d’étudier la question de la détention arbitraire dans la lutte contre la drogue.
Pensez-vous qu’il soit juridiquement pertinent d’organiser le procès de Monsieur Magloire Ngambia alors que votre Groupe de travail a constaté de graves violations des droits à un procès équitable et recommandé son indemnisation ?
La question est pertinente, car la décision du Groupe de travail est relative à la détention et non au fond du dossier pénal à la charge de M. Ngambia. En fait, la détention actuelle est devenue arbitraire, mais cela ne veut pas dire que la procédure pénale n’est pas justifiée. En clair, la détention actuelle doit cesser et l’État doit réparer le préjudice déjà subi. Mais rien n’empêche l’État de poursuivre la procédure pénale sans recourir à la détention. Et il est possible que l’une des réparations soit la réduction de peine. Il est des cas où le Groupe de travail peut être amené à dire que toute la procédure est erronée. Dans un tel cas, la poursuite n’est plus possible. C’était le cas par exemple pour M. Hervé Mombo Kinga, car, l’expression d’une opinion politique sur les réseaux sociaux ne saurait jamais constituer un délit. Dans une autre affaire qui concernait le Sénégal, le Groupe de travail avait dit que la corruption sous toutes ces formes est contraire à l’ordre public international et tout doit être mis en œuvre pour la combattre et la sanctionner, mais sans enfreindre les droits de l’accusé.
Concrètement, comment voyez-vous indemnisation de Magloire Ngambia?
La réparation peut prendre plusieurs formes et l’indemnisation ne représente qu’une forme. Le Gabon a la liberté de choisir la réparation appropriée, en procédant à une appréciation des différents éléments de l’espèce, la totalité du préjudice subi pour faire le choix. Autrement dit, le choix doit être motivé. Dans la pratique, le Groupe de travail n’entre jamais dans les détails de la réparation sauf à donner des pistes à l’État défendeur. Dans certains cas, certaines formes de réparation s’imposent. Dans l’affaire concernant M. Hervé Mombo Kinga, le Groupe de travail a par exemple demandé la garantie de non-répétition pour dire qu’il ne devrait plus être poursuivi pour la même chose.
L’Avis du Groupe de travail a recommandé la mise en liberté immédiate de Magloire Ngambia. Quel est le contenu de cette liberté ?
Cette mesure implique que M. Ngambia ne doit plus être détenu. Il doit retrouver sa liberté avec effet immédiat.
Si l’indemnisation est recommandée, la liberté totale ne serait-elle pas simplement envisagée ?
Oui, M. Ngambia doit retrouver sa liberté avec en sus une réparation pour le préjudice que les violations constatées lui ont indûment fait porter. Mais il ne faut pas confondre les choses. Il y a eu une violation procédurale (détention préventive prolongée sans ordonnance) et une violation du droit à un procès équitable avant même l’ouverture du débat au fond. À aucun moment, le Groupe de travail ne s’est intéressé au fond du dossier à charge contre M. Ngambia. La justice pénale doit se mettre en œuvre dans le respect des droits de l’homme et la décision du Groupe de travail met fin à la détention actuelle et impose une réparation, mais ne dit rien sur ce dossier au fond. Il faut bien séparer les deux choses. Comme je l’ai dit tantôt, dans certains cas le Groupe de travail exige aussi que toute procédure soit arrêtée définitivement (cf. Affaire Mombo Kinga). Il y a eu un précédent illustratif devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. C’est l’affaire Barayagwiza où les juges d’appel constatent une violation des droits de l’accusé et décident qu’il devrait recevoir une compensation s’il était acquitté, et une réduction de peine s’il était condamné.
Les juges de première instance condamneront l’accusé et au lieu d’une peine de prison à vie lui ont imposé une peine de 35 ans. En la présente espèce, le Groupe de travail a imposé une réparation pour les violations en l’état actuel, mais ne s’est pas intéressé aux accusations qui pesaient contre Monsieur Ngambia.
Le Gabon est-il tenu de respecter l’Avis du Groupe de travail ? Autrement dit, si le Gouvernement gabonais ignore cet Avis quelle serait la suite des mesures que vous pourriez prendre ?
Imaginez un instant que l’État mette en place une procédure de règlement des différends et décide de ne pas se plier au résultat de cette procédure. Logiquement donc l’avis s’impose à l’État. Par ailleurs, l’avis est fondé sur des normes obligatoires pour l’État et à ce titre, il s’impose aussi à l’État. Mais nous sommes en droit international où la police n’existe pas, de sorte que toutes les sanctions sont soumises à la politique internationale. Si le Gabon ne s’exécute pas, le Groupe de travail va rapporter la non-exécution au Conseil des droits de l’homme qui avisera de ce qu’il faut faire. Mais rien n’empêche M. Ngambia de saisir les juridictions internes ou d’autres organes internationaux pour la mise en œuvre de cet avis. Il y a un cas célèbre qui est en train de faire jurisprudence en France, c’est l’affaire Atangana. Une procédure pénale pour séquestration est engagée pour déterminer les responsabilités dans sa détention arbitraire au Cameroun pendant 17 ans. Aujourd’hui, une proposition de loi est en débat devant l’Assemblée nationale pour apporter une solution à long terme.
Le Rapporteur spécial sur la torture que le Groupe de travail va mandater visitera-t-il la maison d’arrêt de Libreville et ses détenus, dont M. Ngambia, ou il se limitera à écrire aux autorités gabonaises ?
La pratique veut que le Groupe de travail renvoie toute question ne relevant pas de son mandat à la procédure spéciale compétente. C’est ce qui a été fait ici puisque l’allégation d’un traitement inhumain et dégradant ne relève pas de la compétence du Groupe de travail. Le Rapporteur spécial sur la torture décidera comment il souhaite gérer l’affaire. Il pourrait échanger des communications diplomatiques avec le Gabon, il pourrait visiter le Gabon. À lui de décider. Mais il faut savoir que toute visite des procédures spéciales est soumise à l’approbation préalable du Gouvernement hôte et il faut espérer que le Gabon coopère avec les procédures spéciales qui demanderont à visiter le pays.
Avant cet Avis concernant M. Ngambia, le Groupe de travail avait déjà émis un autre Avis similaire concernant M. Étienne Ngoubou dans lequel étaient décriées également les conditions de détention et les mesures de détention et le non-respect des droits à un procès équitable. Peut-on en déduire que le Gabon est un mauvais élève en la matière ?
Je crois que c’est le troisième avis relatif au Gabon. Il y a eu l’Avis No. 25/2018 concernant Ngoubou. Puis, il y a eu l’Avis No. 5/2019 concernant Mombo Kinga. Il est difficile de dire qu’un État est un mauvais élève. Je dirais plutôt que le Gabon a été pris en faute. Mais tous les États violent les droits de l’homme même si les violations ne sont pas les mêmes partout. Il y a des États contre qui le Groupe de travail a rendu des dizaines d’avis. Ce qui compte, à mon humble avis, au lieu de rechercher un rang dans la classe universelle, c’est que l’État soit de bonne foi et prenne les mesures qui s’imposent pour améliorer les aspects pour lesquels une faute a été constatée. Le Gabon doit revoir sa procédure pénale et réduire la détention préventive. La détention préventive doit être une mesure motivée après que les alternatives ont été dûment prises en compte. La détention ne saurait signifier la négation de tous les droits comme le droit à la santé, le droit à une vie de famille même si des aménagements sont incontournables. Enfin, la procédure pénale n’est valable que si les droits de la personne accusée sont respectés.
L’ancien ministre de l’Économie, Magloire Ngambia, toujours en détention préventive à la prison centrale de Libreville. © D.R.Le mercredi 12 février 2020, pour la première fois au Gabon, les avocats ont lancé un avertissement au procureur de la République qui les accuse d’avoir fait circuler des fausses nouvelles par rapport aux sévices subis par leurs clients à la prison centrale. Notamment Justin Ndoundangoye, Patrichi Tanasa, Brice Laccruche Alihanga. Cette situation augure-t-elle des lendemains sombres pour le respect des droits de l’homme au Gabon ?
Ce que vous me rapportez là est hors de notre mandat au Groupe de travail. En tant que citoyen, je ne peux que souhaiter que le débat judiciaire se passe dans le respect réciproque entre les parties et dans le respect de leurs obligations professionnelles respectives. Et, en tant que citoyen africain, j’ose espérer le meilleur pour le Gabon et les Gabonais. À mon avis tout personnel, un gouvernement tirera toujours profit de l’amélioration des droits de l’homme, car un tel progrès participe de l’appréciation que le peuple, base de la légitimité démocratique, fera du régime au moment des élections.
Les familles des prisonniers politiques Bertrand Nzibi, Privat Ngomo, Pascal Oyougou…ne savent plus à quel saint se vouer pour que leurs parents soient libérés. Ils y séjournent depuis 2016 pour certains et la période de la détention provisoire est largement dépassée. Que pouvez-vous dire à ces familles en détresse ?
Je compatis à leur douleur. Nos pays ont choisi l’État de droit sur le plan interne, mais aussi sur le plan international. Les instruments des droits de l’homme sont là pour poser le cadre et il faut que l’individu s’approprie ces instruments ainsi que les mécanismes qu’ils ont créés pour rendre les règles effectives. Rien n’empêche les personnes qui estiment être victimes de violation de leurs droits de saisir les instances compétentes. Il faut juste espérer que les professionnels du droit et les organisations de la société civile seront au rendez-vous pour les accompagner dans les méandres du droit national et international.
Pour certains, la prison centrale de Libreville ressemble, à s’y méprendre, à la cuisine du camp de concentration d’Auschwitz. Des pratiques inhumaines y sont décriées. Quel est votre sentiment ?
La comparaison est forte et je n’y souscris pas dans la mesure où je ne connais pas le camp de concentration d’Auschwitz et je n’ai pas vu la prison centrale de Libreville. Mais ce qu’on en dit fait froid dans le dos. Et, si des personnes y sont détenues sans jugement et dans la durée, il est possible qu’il s’agisse là d’une violation de leurs droits. Le Groupe de travail n’a pas les moyens en pratique de s’autosaisir, sauf dans de rares exceptions. Il revient donc aux personnes victimes et aux organisations de la société civile de saisir le Groupe de travail pour une décision au terme d’une procédure contradictoire. L’État peut aussi en toute bonne foi inviter le Groupe de travail à venir visiter le pays pour proposer des mesures de redressement. Dans tous les cas, c’est une situation qui devrait préoccuper la classe politique, qu’elle soit au pouvoir ou non.
Au lieu de faire le médecin après la mort, comment la communauté internationale peut-elle faire pour éviter au Gabon, le chaos annoncé ?
Voilà une question à laquelle la communauté internationale tente de répondre tous les jours. Il est difficile d’agir sans la coopération, la bonne volonté de l’État, qu’il s’y prenne de bonne foi ou que son peuple l’y pousse. La communauté internationale, c’est l’ensemble des États et des institutions qu’ils mettent en place. Le contexte est éminemment politique et il ne faut pas en espérer une action objective positive systématique… J’espère que je ne vous apprends rien de nouveau.
Au terme de notre entretien, que doivent retenir les Gabonais ?
J’espère que les autorités gabonaises sauront prendre les décisions qui serviront l’intérêt du peuple gabonais. C’est la considération de cet intérêt qui fait la pérennité de l’individu qui gouverne aujourd’hui pour que sa mémoire soit honorée. Trop de dirigeants à travers le monde oublient malheureusement que seul cet intérêt justifie leur position. Au Gabon, en Afrique centrale, en Afrique et dans le monde, il faut qu’on se le rappelle toutes les fois que l’occasion se présente.
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