Poissons morts sur l’Ogooué : Le combat de Jovanie Eyenga
Inquiétée par les poissons morts sur l’Ogooué, la Commission citoyenne indépendante a récemment annoncé la gestation d’une enquête scientifique indépendante, pour déterminer les causes exactes de ce phénomène. Fils de Ndjolé (Moyen-Ogooué) et président de cette Commission, Jovanie Eyenga revient sur les contours de cette démarche citoyenne. Dans cette interview, le jeune étudiant en médecine interpelle le gouvernement sur «l’urgence de mesures palliatives», après la suspension de consommation de la carpe dans les zones.
Jovanie Eyenga (à droite) en compagnie de deux conseillers de la Commission citoyenne indépendante (Karl Elvis Nsumbu Mba et Jordan Okana), en août 2019 à Libreville. © Gabonreview
Gabonreview : La situation est-elle aussi grave pour lancer une enquête ?
Jovanie Eyenga : La situation est grave. Si le gouvernement en vient à demander aux populations de ne plus consommer le poisson pêché dans l’Ogooué et les lacs, c’est que la situation est grave. D’autant que nos confrères scientifiques du Centre international de recherches médicales de Franceville (CIRMF) confirment qu’il y a une concentration élevée d’une bactérie. Cette hypothèse scientifique nous conforte dans la position selon laquelle, la situation est grave et préoccupante.
Quelle serait l’étendue des dégâts dans le Moyen-Ogooué et les lacs ?
Parler de dégâts aujourd’hui serait mettre la charrue avant les bœufs. Parce qu’à l’heure actuelle, il n’y a que des hypothèses et nous soutenons l’hypothèse physico-chimique. Car, il y a une forte activité industrielle et minière dans Moyen-Ogooué, notamment au niveau de Ndjolé, entre le Moyen-Ogooué et le Ngounié, où travaille à Addax Petroleum. N’oublions pas qu’en 2018, la société civile gabonaise a bénéficié d’un financement de la Banque africaine de développement qui a permis d’évaluer le site industriel du Gabon. Et ce rapport complet est entre les mains du gouvernement, qui sait exactement qu’il y a pollution des eaux à Ndjolé, par exemple.
Cela suggère qu’on ne peut exclure une hypothèse physico-chimique. La bactérie trouvée dans le poisson et les eaux, par les confrères du CIRMF, est présente dans l’environnement de façon naturelle. Mais qu’est-ce qui explique que soudainement, sa consistance soit si élevée aujourd’hui ? Nous nous interrogeons ! C’est pour cette raison, en tant que citoyens et conscients de notre rôle en tant que société civile, nous avons décidé d’ouvrir une enquête pour savoir ce qu’il s’est réellement passé. La carpe, c’est notre identité culturelle. Nous devons la préserver, aussi bien pour nous que pour les générations futures.
À quels dangers s’exposeraient les populations en consommant la carpe de la région impactée ?
C’est un problème de santé publique, avec le risque d’épidémies comme la diarrhée ou pire, des décès en cascades chez les enfants de moins de 5 ans, par exemple. Dans les lacs, les populations ont des habitudes culturelles. En saison sèche, notamment, la carpe est l’un des aliments les plus prisés. En l’absence d’une communication rondement menée par les autorités sur les dangers de la consommation de la carpe, en langues vernaculaires, les populations vont continuer à consommer ce poisson. En gros, les complications peuvent être graves et dévastatrices. Il peut arriver que la zone des lacs devienne une zone rouge, voire tout le Moyen-Ogooué. C’est possible, mais nous ne le souhaitons pas. C’est pour cette raison qu’il faut mesurer l’urgence d’agir avec des mesures palliatives. Mais surtout, trouver les causes réelles de la mort de ces tilapias et y remédier de manière urgente.
Comment s’effectuerait cette enquête scientifique indépendante et surtout, qui la financerait ?
Il s’agit d’une action citoyenne. Et ceux qui doivent la financer sont avant tout les citoyens gabonais et ceux du monde. Car c’est une question environnementale, c’est la biodiversité qui est menacée. Les grandes ONG internationales, les protecteurs, les environnementalistes, doivent nous aider. En tant que scientifiques et universitaires, notre enquête permettra de savoir ce qu’il y a dans nos eaux. Le montant que nous cherchons à collecter ira aux laboratoires avec lesquelles nous sommes déjà en contact. Cette enveloppe permettrait de couvrir les frais d’analyses et les équipes qui feront le déplacement au Gabon, pour venir faire les prélèvements.
Certaines pathologies liées à ces nuisances sont-elles déjà perceptibles auprès des populations vivant dans les zones impactées ?
En tant que scientifiques, nous préférons rester modérés. Car si pathologie il y a, nous devons être en mesure de faire le lien entre celle-ci et le germe. Mais à l’heure actuelle, nous ne savons pas exactement la cause de la mort de ces poissons. Le CIRMF évoque une bactérie, qui peut entraîner une gastro-entérite (inflammation du système digestif pouvant entraîner de la nausée, des vomissements, des crampes abdominales, des flatulences et de la diarrhée, ainsi que de la déshydratation, de la fièvre et des céphalées, ndlr). Mais plusieurs bactéries peuvent provoquer cette pathologie. Il faut donc parvenir à faire lien. Nous avons suggéré au gouvernement de songer à une prophylaxie (processus actif ou passif ayant pour but de prévenir l’apparition, la propagation ou l’aggravation d’une maladie, ndlr). Car les populations ont consommé le poisson et l’eau des lacs avant l’éclosion de cette affaire. Le gouvernement doit y penser sérieusement.
Nous insistons sur l’urgence d’agir en faveur de mesures palliatives. Dans les zones des lacs, cette eau est utilisée pour préparer ou se laver. C’est pour cette raison que nous disons au gouvernement qu’il faut des mesures palliatives d’urgence concernant l’eau et l’alimentation des personnes vivant dans les zones impactées. N’oublions pas que beaucoup sont démunis et leur principal repas quotidien demeure la carpe. La Commission citoyenne indépendante est en train de travailler sur ces mesures palliatives. À l’heure actuelle, nous avons circonscrit la zone impactée, qui regroupe potentiellement 127 000 âmes. Nous avons estimé les besoins journaliers nécessaires d’une personne, en eau et aliments. Tout cela sera chiffré et nous publierons les données au fur et à mesure que nous avançons.
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