Culture et histoire : Accidenté, le «Monument aux Morts» en est-il à son crépuscule ?
Dédiée aux Gabonais morts pour la nation, l’une des plus anciennes sculptures monumentales de Libreville est sinistrée depuis un peu plus d’une semaine. Aucun empressement n’est perceptible concernant sa réhabilitation. Basile Allainmat, le père des arts contemporains gabonais, doit se retourner dans sa tombe ; Léon Mba aussi, qui gît juste à côté.
Le «Monument aux Morts» de Libreville dans les années 60. © Michel Huet/Gamma-Rapho via Getty Images
Ce n’est sans doute pas l’équivalent gabonais de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, mais c’est l’une des plus anciennes sculptures monumentales de Libreville, après le monument Charles N’Tchoréré devant l’immeuble Rénovation. Surplombant la place de l’Indépendance, voisine du mémorial du président Léon Mba à Libreville, le «Monument aux Morts» a été sinistré depuis bientôt 10 jours. Du fait d’un orage violent, sa pointe qui vouvoyait les cieux s’est brisée, victime du déracinement du bel arbre ornemental (un flamboyant) qui enjolivait le lieu. Si les services concernés – la municipalité, le ministère de la Culture ? – ont commencé à élaguer le flamboyant déraciné, les choses en sont restées à l’entame, aucune activité n’ayant plus été notée sur les lieux.
Nombreux sont ceux qui craignent que ce monument ne soit plus jamais réhabilité. D’ailleurs, la place de l’indépendance dont il constituait le cachet essentiel est elle-même négligée, signe que les dirigeants du pays manquent de conscience historique. Non seulement l’esplanade de l’indépendance a été grignotée par l’érection d’un hôtel, Le Cristal, réputé appartenir aux Bongo et n’ayant même pas été baptisé « Indépendance », mais en plus elle sert souvent de fourrière à la préfecture de police de Libreville voisine, sinon de parking aux usagers du centre-ville. Incivisme quand tu nous tiens.
À ceux qui sont morts pour le Gabon…
Le «Monument aux Morts» portait à l’origine une inscription : «À ceux qui sont morts pour le Gabon – La Patrie reconnaissante». Les couches de peinture et ravalements successifs, généralement opérés à la faveur de la fête de l’Indépendance qui amenait souvent le chef de l’État au dépôt d’une gerbe de fleurs au mausolée Léon Mba, ont fait disparaître cette inscription sans que personne ne s’en soucie. Laxisme, ignorance et incivisme quand vous nous tenez !
Réalisé par le père des arts plastiques contemporains gabonais, Basile Allainmat Mahiné, mort en juillet 2011, le «Monument aux Morts» est le fruit d’un concours organisé durant les premières années du Gabon dit souverain. La légende urbaine voudrait que son auteur l’ait réalisé avec la contribution de quelques compatriotes dont les noms sont tombés dans l’oubli. L’œuvre fut moulée en un seul bloc dans un coffrage fabriqué à Port-Gentil avant d’être transportée à Libreville. Selon le sénateur Ernest Walker Onewin, ancien élève de Basile Allainmat et ministre délégué en charge de la Culture durant le premier septennat d’Ali Bongo, le monument devait être parachevé avec les écussons des neuf provinces du Gabon. Mais l’œuvre, futuriste au moment de sa création, ne fut pas financée jusqu’au bout. Elle ne fut donc pas achevée telle qu’elle avait été conçue. Dans un pays où le devoir de mémoire est accessoire, dans un pays où les archives nationales se meurent, il doit être difficile de retrouver les plans, schémas ou dessins de l’œuvre telle qu’imaginée à l’origine.
En ces temps de vaches maigres quant au budget de l’État, y aura-t-il donc une entreprise citoyenne, un mécène, une ONG soucieuse de l’histoire et de l’art ou un généreux donateur pour financer la réhabilitation du «Monument aux Morts» ? Ce n’est pas la mer à boire. Il n’est peut-être question que de béton, mais il s’agit de l’histoire d’un pays dont l’intelligentsia a pourtant abondamment glosé sur l’incendie la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Donnera-t-on aux jeunes générations l’occasion de scander «Nigga for life» (nègre à vie), comme le chantait N.W.A, le groupe de rap américain ?
2 Commentaires
L’architecture, les monuments et l’art sont les premières choses qu’on remarque en arrivant dans une ville. La culture et les arts sont l’âme d’un peuple. Le peuple gabonais a-t-il une âme ? Dire qu’ « Un peuple sans la connaissance de son histoire, de son origine et de sa culture, est comme un arbre sans racine. » – Marcus Garvey. Nos dirigeants s’en foutent éperdument.
Bjr. A présent que la critique a été apportée « ils » vont le faire.