Au lendemain des marches de la jeunesse pour le climat organisées à travers le monde, la journée internationale des forêts, focalisée cette année sur l’éducation et les forêts, nous invite en ce 21 mars à nous interroger sur les moyens mis en œuvre pour permettre à la jeunesse gabonaise de relever le défi de la gestion durable des forêts. Sandra Ratiarison, de la FAO, répond à nos questions.

La journée internationale des forêts est focalisée cette année sur l’éducation et les forêts. © D.R.

 

Sandra Ratiarison, Docteur en médecine vétérinaire de Maisons Alfort, Docteur en écologie forestière tropicale de l’Université Paris VI, coordonnatrice régionale du Programme Gestion durable de la faune pour l’Afrique centrale et Madagascar, basée au bureau sous-régional de la FAO à Libreville. © D.R.

Gabonreview : Quels sont les enjeux de l’éducation sur les forêts au Gabon ?

Sandra Ratiarison : Avec un couvert forestier d’environ 88% de sa superficie, le Gabon est un pays de tradition forestière. Malgré l’exode rural qui touche essentiellement les jeunes, ce lien particulier avec la forêt demeure. Les liens culturels et cultuels avec la forêt se perpétuent. Au Gabon, la forêt joue aussi un rôle économique central. D’une part, à travers l’exploitation forestière, qui représente la deuxième activité économique du pays après les hydrocarbures. D’autre part, du fait de la forte dépendance des populations rurales vis-à-vis des produits forestiers pour leur alimentation et leur subsistance en général. Or les connaissances sur les forêts tropicales restent limitées. On sait qu’un potentiel bien plus important reste probablement à découvrir et qu’une bonne compréhension du fonctionnement des forêts est le gage d’une gestion et d’une exploitation durables. Dans ce contexte, l’éducation joue un rôle essentiel pour permettre aux jeunes générations de continuer à profiter de ce capital naturel sans le mettre en péril, tout en accompagnant l’évolution de sa propre identité culturelle, en combinant tradition et modernité.

Si le Gabon souhaite que ses enfants continuent à bénéficier de la rente forestière et s’il veut s’imposer comme un acteur majeur du maintien des équilibres écologiques globaux, il est essentiel sinon urgent d’investir davantage dans l’éducation relative à l’environnement. S’il ne développe pas son capital humain, le Gabon court le risque de perdre la maitrise de son capital naturel ou de le voir soit sous-exploité, soit surexploité, au détriment du bien-être et du développement collectif à long terme.

Actuellement, comment s’organise l’éducation sur les forêts au Gabon ?

A travers sa loi forestière et sa loi sur les parcs nationaux, le Gabon s’est doté de certains outils pour réaliser la fonction éducative des forêts. Dans l’actuelle loi forestière 16/01, tout comme dans le projet de nouvelle loi forestière, l’éducation est présentée comme une des missions principales de l’administration des Eaux et forêts. De même la loi 03/2007 relatives aux parcs nationaux confère aux parcs nationaux une mission éducative. Cependant, les modalités de mise en œuvre de ces missions n’ont jamais été définies. Quand elles le sont, elles sont peu appliquées. En pratique, au cours des 18 dernières années, les missions d’éducation se sont principalement résumées à la sensibilisation et l’information sur la réglementation en vigueur. Il s’agissait d’activités entrant dans le cadre de la lutte contre l’exploitation illégale des ressources forestières, que ce soit le bois ou la faune sauvage. Cette approche, essentiellement orientée vers la répression, l’emporte sur l’approche pédagogique qui mettrait en avant la fonction éducative des forêts, décrivant leurs spécificités, les évolutions scientifiques, techniques et technologiques qui les concernent, promouvant toutes les potentialités associées aux forêts en tant qu’écosystèmes, y inclus tous les services écosystémiques fournis par les forêts, illustrant les enjeux qui leur sont associés. L’approche éducative aurait le mérite de développer l’éco-citoyenneté en mettant en exergue les droits et devoirs des citoyens vis-à-vis de ces forêts. Une telle approche aiderait à placer les forêts dans la modernité, à les rendre plus attractives, et à encourager la jeunesse à s’y intéresser davantage, à y innover et à y entreprendre.

N’y a-t-il pas eu d’expériences réussies en la matière ?

Quelques initiatives d’organisations non gouvernementales nationales et internationales ont permis de soutenir l’approche pédagogique, que ce soit en milieu scolaire ou extra-scolaire. On peut citer notamment les tentatives d’organisations telles que WWF, WCS, Aventures sans frontières (ASF) ou Jane Goodall France, qui ont essayé de soutenir l’intégration de programmes d’éducation relative à environnement dans les curricula développés par l’Institut pédagogique national (IPN).  Malheureusement, aucune de ces initiatives n’a formellement abouti. Plus localement, les programmes classes vertes initiés par ASF autour de Libreville, les caravanes éducatives de l’ONG Ibonga dans la région de Gamba, les clubs nature de l’ONG Organisation écotourisme du lac Oguémoué (OELO) dans la région de Lambaréné et bien d’autres programmes centrés sur des sites précis et bien souvent sur des périodes de temps limitées, ont eu des impacts positifs sur les jeunes générations, notamment s’agissant de l’éveil d’une certaine conscience environnementale. Les enseignants sont généralement très motivés pour soutenir ce genre d’actions, y compris à titre bénévole, en dehors de leurs horaires de travail. Ils vont régulièrement adosser leur programme éducatif classique aux activités menées autour de l’environnement. C’est encourageant mais cela reste trop limité.

Comment pourrait-on améliorer cela ?  

Plusieurs actions peuvent être menées. La première serait de créer un cadre visant à coordonner l’ensemble des actions et des acteurs impliqués en appui à l’administration des Eaux et forêts. Il faut aussi rendre ces programmes plus systématiques et pérennes. De plus, à quelques exceptions près, par exemple le programme d’éducation environnementale de l’ONG Jane Goodall France entre 2009 et 2013, ou celui de l’ONG OELO actuellement, la majorité des programmes développés jusqu’ici ont reposé sur des activités récréatives et/ou évènementielles. Des programmes éducatifs complets avec une vision stratégique d’ensemble mériteraient d’être développés. Il s’agirait alors de mettre en exergue les différentes fonctions de la forêt afin de déterminer les opportunités induites. Pour cela, il faut aussi susciter des vocations scientifiques pour améliorer les connaissances. Pour une gestion durable et rationnelle des forêts, il faut améliorer la connaissance de la ressource et du potentiel. C’est ainsi que le Gabon pourra diversifier les essences à exploiter, mieux comprendre la régénération naturelle des essences et espèces traditionnellement exploitées et, explorer les possibilités de domestication d’espèces indigènes à forte valeur ajoutée. Les conventions internationales, telles que le Protocole de Nagoya attaché à la Convention sur la diversité biologique (CDB), ouvrent les possibilités d’une répartition plus équitable des richesses associées à l’exploitation des ressources génétiques. C’est une fenêtre d’opportunités. Si les découvertes étaient directement faites par les scientifiques gabonais, l’intégralité de la richesse générée pourrait profiter au développement du pays et à la gestion durable de ses forêts. Enfin, peu d’espaces forestiers dédiés à des fonctions éducatives, notamment les aires protégées, sont effectivement accessibles et aménagés. La création d’un tel espace au sein de l’arboretum Raponda Walker, près de Libreville, avec des sentiers d’interprétation et une passerelle dans la canopée est une belle promesse. On espère qu’elle se concrétisera rapidement. Parallèlement à cela, les compétences en matière de guidage et d’interprétation doivent être renforcées. Il faut aussi clarifier et adopter un statut des personnels en charge de ces activités.

© D.R.

De son côté, que fait la FAO en matière d’éducation au Gabon?

De manière générale, les jeunes et les femmes sont des cibles privilégiées des programmes de la FAO. Jusqu’ici, les priorités d’appuis techniques et de collaboration pour lesquels le gouvernement gabonais nous a sollicité concernent les études diagnostics pour la restructuration et la réforme de l’Ecole Nationale de Développement Rural (ENDR) d’Oyem et l’établissement d’un protocole d’entente avec l’Institut National Supérieur d’Agronomie et de biotechnologies (INSAB) pour l’accueil d’étudiants dans le cadre des mémoires de fin de cycle. Actuellement nous venons d’initier un programme de classes vertes incluant des activités extra-scolaires autour des jardins horticoles dans des écoles primaires et secondaires dans l’Estuaire et la Ngounié. Si ce programme ne concerne pas directement les forêts, l’approche pédagogique utilisée vise à maintenir ce lien entre les populations et la terre, et plus largement avec l’environnement qui doit lui permettre d’assurer sa sécurité alimentaire et nutritionnelle. Cette première expérience de classes vertes pourrait être déclinée sur les autres pans de l’agriculture au sens large (donc y inclus les forêts) que couvrent la FAO si le gouvernement en fait une priorité. Par ailleurs, nous allons lancer incessamment des études de faisabilité pour identifier dans la sous-région, y inclus au Gabon, les lacunes en termes d’offres de formation des jeunes pour le développement de l’entreprenariat autour des chaines de valeur agricoles, y inclus pour certains produits forestiers non ligneux. Ces études permettront de soutenir la formulation   d’un programme d’investissement plus important en appui à l’entreprenariat des jeunes, avec l’appui de la Banque Africaine de Développement (BAD).

Enfin, dans le cadre du Programme de gestion durable de la faune sauvage, une initiative du Secrétariat des pays ACP financée par l’Union Européenne et mis en œuvre par un consortium de partenaires comprenant la FAO, le CIRAD, le CIFOR et WCS, nous allons tester sur le site du projet autour de Lastoursville diverses approches pour renforcer les capacités des populations à exercer leurs droits et à s’impliquer dans la gestion des ressources naturelles, et notamment de la faune. La viande de gibier et le poisson des rivières sont en effet des éléments essentiels pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des populations rurales dans de nombreuses zones enclavées du Gabon. Parmi ces approches, l’éducation en milieu scolaire tiendra une part importante pour expliquer à la fois la nécessité d’une utilisation durable des ressources naturelles, tout en veillant à l’évolution des habitudes alimentaires et à la prévention des risques sanitaires liés à la consommation de produits carnés d’origine sauvage dès le plus jeune âge.

 
GR
 

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