La «guignolisation» de Lanlaire

De retour d’une longue convalescence, Ika Rosira, s’attarde sur Lanlaire, vidéo-bloggeur et «plus grand des conférenciers que le Gabon ait connu en un temps record», par ailleurs annoncé comme candidat à la prochaine présidentielle. Magnificence et déficience d’un phénomène social natif du Net.

© D.R.

On a bien du mal à s’imaginer Lanlaire en tant que président mais bon qui aurait pu imaginer un président noir, disons mulâtre, à la tête des États-Unis ou encore une femme présidente d’un pays latino, africain ou d’orient. Le monde évolue non?

Lanlaire est un peu comme le Kémi Seba du Gabon, beaucoup n’aimeront pas la comparaison, parce que Kémi est clairement hétéro, 100% hétéro, indiscutablement hétéro. Mais il ne s’agit pas de comparer les sexualités des uns et des autres, c’est surtout une comparaison au niveau de l’émotivité. Si certains se souviennent des débuts de Kémi en tant que défenseur des droits et des libertés de la fierté noire, ses propos étaient extrêmement virulents, insultants, méprisants, hautains, dénigrants à l’égard des français, des blancs mais surtout à l’égard de Sarkozy, par exemple. Il ne se gênait pas pour traiter ce dernier de «nain» publiquement. Avec le temps les propos de Kémi ont commencé à être plus sobres, toujours aussi tranchants, aussi percutants mais beaucoup moins injurieux, moins émotifs, beaucoup plus réfléchis, beaucoup plus matures et c’est aussi le constat qu’on peut faire des propos de Lanlaire en très peu de temps, il a acquis beaucoup de maturité dans ses propos. Maturité peut-être que ça va paraître trop élogieux mais c’est le seul mot pour dire qu’il est bien plus courtois que dans les débuts de son «webrealityshow».

Ange Landry Mbeng, alias Lanlaire. © D.R.

C’est comme si du jour au lendemain, il avait pris conscience du fait qu’il était éloquent, qu’il était influent, qu’il était convaincant et qu’il avait une certaine capacité de mobilisation autant virtuelle que physique.

De ce qu’on sait, Lanlaire, s’est fait tout seul, excentrique, bon vivant, limite métrosexuel, sans aucune gêne, avec une désinvolture qui frise le désespoir de cause, Lanlaire a abordé les dessous de la République, dénonçant les travers, révélant des fourberies et des actes immoraux, déliant ses nerfs, sa langue et sa rage en foulant aux pieds la réputation des gens comme Blaise Louembé, Maixent Accrombessi, Frédéric Bongo, Félix Bongo, Hervé Ndong, Patience Dabany, Marie Madeleine Mborantsuo, Myboto, sans oublier Marie Akendengue à qui il voue clairement une haine viscérale et bien d’autres personnes. La liste de Lanlaire est longue, elle parait même interminable, au risque d’oublier celui qui nous sert de président, Ali Bongo Ondimba, à qui Lanlaire promet des gifles si leurs chemins se croisent (rires).

Le mieux pour lui aurait été d’écrire un livre comme l’a fait Pierre Péan et consacrer un chapitre entier à chacune des personnes dont ils dénoncent la corruption, la vilenie et l’hypocrisie légendaire, les gens en auraient fait leur livre de chevet, ce dernier aurait certainement été censuré au Gabon, mais les gens auraient pu se le procurer en ligne et le lire grâce à ces téléphones intelligents, encore appelés smartphones qui dérangent tant le pouvoir en place. Sachant que la connexion dont dispose la plupart des gabonais ne leur permet pas tellement d’écouter 3, 4 à 5 heures de conférences en ligne, en toute logique, il aurait dû réfléchir au moyen de rendre plus accessible les informations qu’il souhaite révéler au public.

Lanlaire est vite devenue la star de la web-réalité gabonaise. Et même si c’est long, chaque épisode dure une heure, sans effets spéciaux, sans publicité, sans pause publicitaire, sans commanditaire, sans animations multimédia, sans séances de dédicaces, sans projection photo ou vidéo, de la manière la plus basique qu’il soit, Lanlaire parvient à garder religieusement des personnes assises, attentives, assidues face à lui, rien que pour l’écouter parler pendant des heures. Il y a même des gens qui font le déplacement d’une région à l’autre pour l’écouter et, plus les mois passent, plus son engagement s’intensifie, plus sa détermination se sacralise, inévitablement, il s’immisce dans nos pensées, dans nos réalités, et il est devenu le plus grand des conférenciers que le Gabon ait connu en un temps record.

Tout est parti de rien, d’un ultimatum lancé, il y a quelques mois à la famille présidentielle, une sorte de chantage. Ayant été vraisemblablement agressé, arnaqué, manipulé et volé grâce à la participation du chanteur et rappeur Mokobe français d’origine malienne, Lanlaire s’engage dans une sorte de vendetta, il décide de se faire rembourser par les gens au pouvoir au Gabon, accusant de complicité des gens qu’il a côtoyé depuis son plus jeune âge.

À presque 50 ans, Lanlaire est le gardien de bien de secrets, de mensonges, de semi-vérités et de vérités tout aussi scandaleux les unes que les autres. Fort de ses connaissances, il commence par menacer le pouvoir en place qui lui propose vraisemblablement dans un premier temps d’acheter son silence, puis se rétracte, ce qui déclenche la colère de Lanlaire et enclenche les hostilités.

Ils tentent néanmoins de minimiser l’influence de Lanlaire, en le relayant au rang de distraction populaire sans conséquence. Ils financent même une parodie de Lanlaire, imité et tourné à la dérision par le comédien Manitou qui fait bien des adeptes et qui au lieu de faire taire sa raison, le crédibilise encore plus, parce qu’universellement, dans le monde du septième Art, on ne parodie que les francs succès. Et tout dernièrement, l’État gabonais vient de créer de nouveaux emplois en finançant un site web, une page Facebook et Twitter qui a l’ambition de faire taire les critiques et mettre fin au kongossa : STOP KONGOSSA comme son nom l’indique est un nouvel outil de communication sociale mis en place pour lutter efficacement contre les révélations, entre autres, de Lanlaire et de ceux qui lui ont emboîté le pas.

Effectivement, Lanlaire a inspiré bien d’autres protagonistes comme Tata Huguette, réputée pour son franc-parler (bien que la plupart des gens la soupçonne de chercher à acquérir un statut de réfugiée aux Etats-Unis parce que, dit-on, elle n’a pas de carte de séjour). Cependant, bien qu’ils prétendent que c’est le désespoir qui la pousse à agresser les membres de la famille Bongo et compagnie, Jonas Moulenda, Lanlaire et Tata Huguette ainsi que d’autres personnes qui agissent sous pseudonyme, sont parvenus à devenir les vedettes du premier vrai reality-show-politico-social gabonais lancé uniquement sur le web avec les moyens du bord.

Évidemment, ça manque encore de structuration, de méthodologie, les propos tenus semblent être improvisés au fur et à mesure, ce qui prouve qu’ils ont un talent naturel de conférenciers, si seulement ils pouvaient s’inspirer des gens qui en ont fait leur vocation… écrire des livres, organiser des séances de dédicaces, des conférences, partout où il y a des gabonais, les invitant à œuvrer pour la libération du Gabon, parce qu’en fait de compte, quelque soit ce qui les motive, ce qui les inspire, le fait est qu’ils ont du potentiel, de la capacité, le leadership nécessaire pour constituer via le net, les prémices de la révolution de conscience qui a été amorcée depuis quelques années.

Mais pour en revenir à Lanlaire et son intention de plus en plus prononcée de se présenter aux élections présidentielles du Gabon, ça fait penser à ce pasteur dont on n’oublie le nom, qui s’était proclamé oint par l’onction de l’esprit de Dieu persuadé de remporter les élections présidentielles 2009 pour ensuite se désister quelques temps après.

On a du mal à croire que ce qui est né d’une révolte personnelle, d’un ras-le-bol total, et d’une profonde déception, puisse finir par un désir aussi présomptueux. Lanlaire en leader de la révolution, ça passe, Lanlaire en défenseur de l’homosexualité, de la bisexualité et de la transsexualité, ça passe encore, Lanlaire dans la lutte contre les injustices, contre les crimes, contre la prostitution physique, mentale et institutionnalisée, c’est super. Lanlaire dans la promotion de la culture et des arts gabonais, évidemment que ça passe, c’est quand même l’organisateur de nombreux défilés de mode et une vraie fashion victim, alors Lanlaire dans la promotion de l’entrepreneuriat, du commerce et même du leadership et du développement personnel, dans la promotion de l’éducation populaire… oui, oui, oui triple oui ! Mais Lanlaire en président de la République gabonaise, ça sonne comme un plan pour décrédibiliser totalement son mouvement révolutionnaire, ça sonne comme si certains attendaient avec impatience l’occasion d’écrire en majuscules: «le bisexuel qui rêvait de devenir président du Gabon», réduisant son combat à de la pure jalousie ou à de la pure folie.

Voilà qui est dit, on ose espérer que Lanlaire ne tombera pas, pieds joints, dans le piège qui semble faire croire à lui comme à ceux qui l’observent attentivement qu’il est beaucoup plus présidentiable qu’Ali Bongo en 2016 voire en 2017 selon certains. On lui souhaite de rester l’un des leaders (oui, oui leader !) de la révolution gabonaise.

# Bring back our country