Déshabillage du recteur en 1994, nombre de morts en 2016, chaine de commandement militaire, responsabilités, charniers supposés, bilan économique malicieusement estropié… Refusant que son histoire soit une nouvelle fois contée par des tiers, Alain-Claude Bilie-By-Nze revient sur plusieurs événements controversés de l’ère Ali Bongo. Dans une très récente interview, il évoque la nécessité d’une Commission vérité-réconciliation afin que la lumière faite sur les «morts de 2016», «les donneurs d’ordres de cette époque», mais aussi pour redresser les perceptions erronées sur les réalisations du régime déchu, pourtant récupérées,  et en tirer les conséquences.

Alain-Claude Bilie-By-Nze, lors de l’interview circulant dans les médias alternatifs. © GabonReview/Capture d’écran

 

Critiqué, insulté voire vilipendé par les uns, apprécié et soutenu par d’autres, l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze est, en tout cas, au cœur des débats depuis la publication de son livre, «Awu m’awu, oser l’espérance pour un autre Gabon», suivi de ses sorties médiatiques et de ses prises de position contre le nouveau régime de Libreville. Et en fin de semaine dernière, dans une interview-vidéo circulant largement sur la toile, l’ex-patron de l’administration gabonaise s’est exprimé, une nouvelle fois, sur les années de pouvoir d’Ali Bongo.

Récupération : «On ment aux Gabonais»

© GabonReview/Capture d’écran

S’il évoque des réalisations palpables sous Ali Bongo, notamment la ZES de Nkok, l’usine de gaz avec Perenco à Port Gentil ou le lancement des travaux de la Transgabonaise permettant «de rouler sur cette route qui a été réhabilitée jusqu’à Nsilé», etc., il déplore la récupération de bien de projets par le CTRI : «On ment aux Gabonais quand on leur dit, en un an, on a construit des châteaux d’eau. (…) Je sais comment ça a été construit. Je sais comment ça a été lancé. C’est moi qui les ai lancés. Et ce n’est pas un an. Ça prend des 8 à 24 mois pour construire un château d’eau. Donc lorsqu’on gère l’État, on ne peut pas faire de tels mensonges

Demeurant dans la logique engagée depuis les évènements d’août 2023, il soutient : «Si nous avons commis des erreurs, nous devons tous apprendre de nos erreurs. Et lorsque j’insiste pour qu’il y ait une Commission, c’est parce qu’il y a mensonge».

Le déshabillage du recteur en 1994

S’appuyant sur le célèbre épisode universitaire portant déshabillage du recteur alors qu’il était leader étudiant, il indique n’avoir alors pas pu se défendre des accusations portées contre lui. «Je n’ai pas eu le temps et la capacité de me défendre parce que j’étais jeune à l’époque» et que parmi les 39 personnes alors exclues de l’UOB, nombreux aidés par les parents et autres pistons avaient pu s’en tirer, il martèle : «c’est une événement pour lequel je me suis dit, plus jamais ! Plus jamais je ne laisserais d’autres raconter mon histoire. Plus jamais je ne laisserais le soin aux autres de raconter ma vie »

Nombre de morts en 2016 : «Oui, j’ai mis du mien dans la manière de dire»

Le natif de Makokou, dans le nord-est du Gabon, n’entend donc plus porter le chapeau d’une autre affaire qui, jusqu’alors, reste «floue» : la crise postélectorale de 2016. Présenté par ses pourfendeurs comme l’un des principaux donneurs d’ordres lors des événements post-scrutin présidentiel de 2016, Bilie-By-Nze commence par expliciter ses déclarations d’alors : «On m’a beaucoup reproché d’avoir pris certaines positions en 2016 dans le contexte postélectoral. On a fait comme si ces positions étaient mes positions à moi. Oui, j’ai mis du mien dans la manière de dire, et peut-être cette manière de dire a pu heurter. J’en suis désolé. Si parfois j’ai pu employer des termes qui ont heurté les Gabonais, j’en suis vraiment désolé

L’homme reconnait avoir d’abord annoncé à la télévision, alors qu’il était en France, un (1) seul mort. Une déclaration conforme aux instructions reçues, notamment en ce qui concernait le bilan des morts. A son retour au Gabon, un nouveau bilan a fait état de huit (8) morts. Un chiffre, soutient-il « qui n’est pas de Bilie-By-Nze. Je n’ai pas eu le moyen, moi, en tant que Bilie-By-Nze, d’aller vérifier. Je m’en suis tenu à ce que les services de l’État, notamment les services de la police et de la gendarmerie, ont communiqué comme chiffre au ministère de l’Intérieur et qui a communiqué ces chiffres-là au porte-parole que j’étais.  Donc, ce n’est pas des chiffres de Bilie-By-Nze, ce sont les chiffres du gouvernement communiqués par les structures officielles de l’État

Commission vérité et réconciliation : «Je n’ai jamais été dans la chaine de commandement militaire »

D’où sans doute sa demande, avec accentuation, de mise en place d’une Commission vérité et réconciliation. Et de rappeler qu’«en janvier 2024, madame Missambo (actuel président du Sénat, Ndlr) à l’occasion de la présentation des vœux a demandé la mise en place de cette Commission». «Elle n’en parle plus», a-t-il noté, faisant remarquer qu’«il y a dans ce gouvernement des gens qui ont dit qu’il y a eu 500 morts, qu’il y a des charniers». Vu que ces derniers sont maintenant ministres, c’est l’occasion, estime-il, «de faire triompher la vérité puisqu’Ali Bongo n’est plus là, puisque ceux qui ont géré ne sont plus là».

Alain-Claude Bilie-By-Nze estime que cette Commission peut permettre d’établir les responsabilités, de savoir le nombre exact de morts de 2016, de savoir s’il y a eu des charniers, de connaître les donneurs d’ordres et de dégager les responsabilités des uns et des autres. Il questionne à ce sujet : «pourquoi ne veut-on pas en parler ? Pourquoi ne veut-on pas que les Gabonais sachent ce qui s’est passé ?». Et de renchérir : «je vous dis encore une fois : je refuse de porter le chapeau. Je refuse cette fois-ci de me taire et que l’opinion publique et le Gabon retiennent que c’est les Bilie-By-Nze, non !». «Je n’ai jamais donné d’instructions. Je n’ai jamais été dans la chaine de commandement militaire ou sécuritaire de notre pays. Jamais !», a-t-il clamé.

Toute chose l’amenant à rappeler que «les militaires n’obéissent pas à un civil qui n’est pas dans la ligne de commandement directe». «Je n’étais pas dans la ligne de commandement. Je n’étais ni le ministre de l’Intérieur, ni le ministre de la Défense ni président de la République. Et au moment des événements de 2016, je n’étais pas Premier ministre. Et en 2023 comme Premier ministre, j’ai pris mes dispositions pour qu’aucun événement de cette nature ne puisse se produire», a-t-il affirmé.

Et d’interroger : «Puisque vous dites qu’il y a eu des charniers et que le chiffre que nous avons communiqué est contesté, mettons donc en place la Commission Vérité, Justice et Réconciliation pour que nous sachions ce qui s’est réellement passé. Et là, personne ne veut que j’en parle

Refusant absolument, sur les années Ali Bongo, de porter un chapeau qui n’est pas le sien comme ce fut le cas à l’UOB, Bilie-By-Nze entend s’exprimer voire se rendre dans les quartiers pour expliquer les points de vue qu’il présente et défends. «Ayant géré une parcelle de l’autorité de l’Etat, j’ai prêté serment. Je demande la Commission pour qu’à l’occasion, je sois libéré de ce serment et qu’on puisse parler», a-t-souhaité, relevant que cette structure devrait aborder la question des crimes de sang, de la répression qu’il y a eu et les crimes économiques. «Quand on a 7000 milliards de dette ou plus, mais cet argent est passé où ? Que ceux qui ont géré viennent rendre compte», a suggéré l’ex-Premier ministre.

En tout cas, Alain-Claude Bilie-By-Nze s’annonce dans les villes et quartiers du pays où il expliquera le contenu de son livre, mais également ses positions et sa vision du Gabon nouveau.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Gayo dit :

    ACBBN est impliqué dans des manipulations. Missambo n’est pas dans une dynamique de croisade contre Oligui, comme lui. Mais l’accompagne pour la réussite de la transition. Ce qui nécessite de s’accorder et d’accepter le compris tant que les bases rassurent encore. Oligui a clairement indiqué que la question de la commission vérité pourrait être abordée après la transition, ce qui n’est pas illogique. Tout le monde se réjouit de la chute d’Ali Bongo, qui faisait régner les ajeviens, la young team et la légion étrangère, tous responsables de la destruction de notre pays, comme l’a également signalé ACBBN. Même si Oligui doit répondre de certaines accusations, il a contribué à notre libération et cela ne peut que compter par rapport à son cas pour le gabonais.

    Il n’est pas resté silencieux ni n’a nié la nécessité d’une enquête. Ainsi comme beaucoup de Gabonais, Paulette ne peut pas lui opposer la même résistance et la même impatience que celles contre le régime d’Ali Bongo et ACCBN, qui n’ont jamais reconnu leurs erreurs ni montré un semblant d’engagement envers la justice, mais au contraire se moquaient des sentiments des gabonais en répondant par le mépris et le dédains. On ne peut simplement pas traité le regime Oligui qui semble montrer de l’ouverture comme la dictature guidée par les cœurs de pierre de ABO et ACBBN. Les Gabonais peuvent espérer des éclaircissements sur le rôle d’Oligui par principe, mais il est clair, qu’il a gagné l’amnistie des cœurs de la majorité. Cette amnistie est méritée, d’autant plus que les anges n’ont pas pu mettre un terme aux dérives des Bongo et du PDG, que ACCBN prétend avoir suivi aveuglément. Ce sont des hommes, avec leurs limites, qui relèveront notre pays, et non des anges, à condition qu’ils soient repentants et sincères par rapport à leur passé. Voir Oligui diriger le pays y compris avec la société civile et les défenseurs des droits humain, les représentants de l’ancienne majorité et de la société civile qui occupent les premiers postes dans sont gouvernement (Ndong Sima, Chambrier), même si des doutes peuvent subsister sont des pas en avant qui peuvent détendre le bras de fer.

    Le fait qu’ACCBN s’oppose à la transition avec une telle virulence, alors qu’il n’a jamais osé le faire contre le pouvoir quand il était dans une position de confort, laisse penser que son mea culpa est opportuniste. Dès le départ, il a parié sur l’échec du CTRI, frustré par le fait que ce coup d’État ait interrompu son ascension. Si vous doutez d’un processus qui vient juste de commencer, sans lui donner le temps de s’installer, c’est que votre priorité n’est pas de voir le Gabon évoluer, mais de vous emparer du pouvoir. Si l’on aime son pays, il faut laisser le pouvoir à celui qui a le plus de chances de rassembler pour la démocratie et d’assurer le succès. On ne manipule pas ni ne ment pour salir quelqu’un que l’on n’aime pas.

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