La conclusion de la série de tribunes de Léopold-Auguste Ngomo se penche sur l’importance d’une stratégie volontariste pour l’industrialisation accélérée du Gabon. Pour réussir, le pays devra instaurer quatre cadres fondamentaux : institutionnel, juridique et fiscal, financier et concurrentiel. Chacun de ces cadres étant indispensable pour créer un environnement propice à la mise en œuvre harmonieuse et efficace de ce programme ambitieux. L’ancien Ambassadeur de l’Union Africaine souligne que cette initiative permettra au Gabon de prendre en main son destin économique et de se protéger contre une concurrence déloyale.

« La souveraineté d’un État implique que ses dirigeants doivent avoir la capacité de déterminer le comment et le pourquoi et pour qui ils font tourner leur pays. » © GabonReview

 

Auguste Ngomo, ancien Ambassadeur de l’UA en Afrique australe, à la SADC et à la COMESA ; Directeur de l’Administration et de la Gestion des Ressources Humaines de la ZLECAf au Ghana. © D.R.

Ce dernier article marque la fin de cette série d’articles dédiées à la présentation d’une stratégie volontariste d’industrialisation accélérée du Gabon. La mise en œuvre de cette importante stratégie étatique passe inévitablement par la mise en place d’un environnement conductif pouvant assurer un fonctionnement harmonieux et efficace de tout ce système. Pour construire cet environnement, le Gabon devra mettre en place 4 cadres fondamentaux : Un cadre Institutionnel (1), un cadre Juridique et Fiscal (2), un cadre financier (3) et un cadre Concurrentiel particulier (4).

Au niveau du cadre institutionnel. En considérant l’envergure et l’impact d’un tel programme sur toute l’étendue du territoire, il est fondamental qu’en plus du pouvoir exécutif, le pouvoir législatif soit totalement impliqué. Le pouvoir exécutif aura pour mission de créer et de mettre en place une Agence Publique Nationale pour l’Industrialisation du Gabon (APNIG).  Cette dernière, en plus d’avoir une autonomie de gestion, sera dotée des moyens financiers, techniques et humains nécessaires à l’accomplissement de ses missions. Sa mission essentielle sera l’opérationnalisation de cette stratégie d’industrialisation accélérée du Gabon. Elle conduira les travaux de détermination des secteurs d’industrialisation stratégiques ; Elle veillera à la création et à l’opérationnalisation des CNS (Champions Nationaux Sectoriels) ; Elle assurera la mise en place de l’écosystème des PME/PMI qui évolueront autour des CNS. Elle gèrera un Fonds d’Investissement dédié au développement industriel du Gabon (FIDIG). Le pouvoir législatif, quant à lui, devra mettre en place une Commission parlementaire dédiée au suivi de cet important programme. Cette commission aura pour mission de veuillez au recrutement des Directeurs Généraux des CNS ; d’évaluer les performances de l’APNIG dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’Industrialisation Accélérée ; de valider et de défendre les budgets d’investissement et de fonctionnement de l’APNIG et enfin d’auditer le FIDIG et le consolider.

Au niveau du cadre Juridique et Fiscal : l’Etat devra s’assurer de l’installation d’un cadre juridique spécial à ce système. L’Etat devrait réellement innover en créant des « « Zones Economiques Spéciales virtuelles ». C’est-à-dire que l’Etat pourrait considérer que, même si les entreprises gravitant autour des CNS ne sont pas nécessairement dans le même espace géographique que l’entreprise étatique, elles font quand même partie d’un même espace économique virtuel. De cette manière ces entreprises pourraient donc bénéficier des mêmes privilèges que les entreprises et les opérateurs économiques de la zone de Nkok et de la Baies des Rois.

Au niveau du cadre Financier : Tout le monde le sait, l’argent est le nerf de la guerre. Et cette assertion est fondamentalement vraie dans le cadre de la mise en œuvre de ce programme. Il s’agira ici, non pas seulement de financer l’installation des CNS, mais aussi l’établissement ou le renforcement des PME/PMI et d’assurer le développement de nos JCI. Il est donc fondamental que l’Etat développe un système financier et bancaire dédié. Il pourrait le faire à travers la création d’une Banque de développement et d’industrialisation, d’un Fonds d’Investissement dédié au développement industriel du Gabon (FIDIG). Les prêts accordés auront un faible taux d’intérêt et une durée plus longue que les prêts classiques. Mais enfin que ce système ne soit pas une charge récurrente pour l’Etat, il devra rapidement atteindre une auto-suffisance.

Et finalement au niveau du Cadre Concurrentiel particulier : Ici l’idée principale est de protéger, pendant une période bien déterminée nos PME/PMI d’une concurrence féroce et déloyale. Quand un secteur aura de plus en plus des produits Made in Gabon, l’Etat devra contraindre les commerçants à réduire leurs importations de produits similaires. Est-ce une distorsion concurrentielle allant à l’encontre des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce ? Oui, mais d’autres le font déjà (essayez d’exporter en Chine, en Inde ou au Japon) et surtout, nous devons savoir ce que nous voulons.  L’Etat devra aussi assurer la croissance rapide de ses PME/PMI en lui donnant l’exclusivité de certains marchés de l’Etat et des grandes entreprises internationales et paraétatiques. Cette démarche a déjà commencé pour les marchés de moins de 150 millions.

En conclusion, rappelons-nous que la souveraineté d’un Etat implique que ses dirigeants doivent avoir la capacité de déterminer le comment et le pourquoi et pour qui ils font tourner leur pays. C’est donc à nous de déterminer le paradigme économique, politique, sociétal et culturel dans lequel nous souhaitons évoluer maintenant et pour les générations futures de Gabonais. Ne pas définir notre paradigme revient à laisser a d’autres pays, d’autres institutions internationales, c’est-à-dire d’autres leaders, d’autres humains, déterminer notre vie actuelle et celle de nos enfants. Notre paradigme, se sont nos règles. C’est réellement prendre notre destin en main et ne pas le laisser entre les mains d’autres humains qui ont aussi leurs propres intérêts.

Par Leopold-Auguste Ngomo

Ancien Ambassadeur de l’Union Africaine,

Directeur de l’Administration et de la Gestion des Ressources Humaines

ZLECAF (Union Africaine) – Accra, Ghana

 

 

 
GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Quel est le taux de chômage général au Gabon? Particulièrement des 18-25 ans?Quel le taux de criminalité dans notre pays? Est-elle en hausse ces dix dernières années ? La criminalité et le chômage sont-ils des phénomènes qui évoluent en même temps ? Autrement dit, sont-ils corrélés ?

    Les jeunes diplômé.es ont-ils (elles) un potentiel de criminalité plus élevé que ceux (celles) qui n’ont pas de diplômes?

    Pour résoudre le chômage, il ne faut pas seulement créer des emplois. Il faut qu’il y ait une adéquation entre les emplois créés et les compétences des jeunes diplômé.es. Créer 1000 emplois ne signifierait pas qu’on ait réduit le nombre de chômeurs de 1000 personnes. Si on souhaite une industrialisation accélérée, il faut des technologies clefs en main. Car nous n’avons pas les savoir-faire technologiques pour les mettre en place. Et en raison d’une production énergétique insuffisante, votre modèle pourrait être compromis.

    16% de la population active au Cameroun se situe dans le secteur primaire (agriculture) Combien au Gabon? Le point de départ d’une économie est l’autosuffisance alimentaire et la construction d’infrastructures pour favoriser les circuits courts. Les effets de l’inflation mondiale sur notre économie « non-productice » sont désastreux. Au point que le pouvoir d’achat a été réduit de moitié. Sans que le salaire de référence (150000 Fcfa) ait été ajusté au niveau de l’inflation.

    Votre modèle ne tient pas compte des salaires incitatifs qui permettraient d’orienter l’économie gabonaise vers le secteur industriel. Peut-être qu’une réforme du droit du travail serait envisageable.

    Dans l’ensemble votre modèle s’appuie sur la théorie keynésienne. Votre point de départ, le postulat de votre modèle, la criminalité et le chômage. Le risque dans vitre analyse est que le « cercle vertueux » peut se transformer en « cercle vicieux ». Puisque le développement implique une croissance démographique et urbaine. Si elle n’est pas maitrisée, alors la résurgence des phénomènes que vous devriez est possible.

    Avant d’industrialiser, il faut bien se loger, se déplace, se soigner et bien manger. C’est en cela que la physiocratie trouve tout son intérêt. C’est aujourd’hui une urgence en raison de la transition écologique qui oblige de réduire les flux de transport et à consommer « local ».

    Un point essentiel de votre analyse est vous placez le capital humain au cœur de votre modèle. C’est ce concept qui a donné à l’école de Chicago toute sa notoriété avec Gary Becker (Prix Nobel d’économie) en figure de proue.

    Cordialement.

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