Dans cette seconde partie de sa tribune, l’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze aborde des sujets brûlants et controversés touchant à la citoyenneté gabonaise et au régime présidentiel. Il appelle à une réflexion prudente sur les conditions d’attribution de la nationalité, soulignant l’importance de l’unité et de la concorde nationale. Bilie-By-Nze critique également les propositions actuelles de réforme constitutionnelle et met en garde contre les dérives du pouvoir personnel et les manipulations politiques. Avec une attention particulière portée aux enjeux institutionnels, il exhorte les nouvelles autorités à privilégier une transition véritablement démocratique et inclusive.

«Le patriotisme ce n’est pas le rejet de l’autre parce que différent. Le patriotisme, c’est au contraire l’amour du pays qui nous a vu naître ou qui nous a accueilli» dixit Bilie-By-Nze. © GabonReview/Shutterstock

 

  1. La citoyenneté gabonaise : un sujet de préoccupation et de supputation obstinée !

    Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre du Gabon. © D.R.

Un pays peut décider de revoir les conditions d’attribution de la nationalité, cela ne pose aucun problème en soit, à condition de ne pas créer des droits différents. On est Gabonais au même titre que tous les autres et avec les mêmes droits. Qu’on le soit de père et de mère ou qu’on le soit d’un seul parent, l’effet juridique est le même. Qu’on le soit par l’effet du mariage ou par toute autre disposition légale, on est Gabonais au même titre que les autres concitoyens.

Ma longue expérience de la gestion des affaires publiques, mon expérience au Ministère des Affaires Étrangères, la gestion de certaines situations de crise à travers le continent, m’emmènent à demander aux nouvelles autorités de ne pas jouer avec le feu. La nation gabonaise est en pleine construction. Ses évolutions récentes et anciennes montrent qu’elle s’est construite et se construit encore avec des apports extérieurs venus au fil du temps la renforcer. L’histoire de la « découverte » de nos côtes par les explorateurs portugais nous a légué Gabao, d’où vient Gabon, le nom de notre pays. Cette même histoire nous a laissé des localités aux noms exotiques tels que Fernand Vaz, Cap Lopez, Cap Esterias, Cap Santa Clara

La rencontre avec les Anglais, les Français et les autres peuples africains a donné des noms de lieux et de familles connus de tous : Louis, Glass, Bigmann, Walker, Oliveira, Paraiso, James, Diouf, Bâ Oumar, Diop, Coniquet, Dickens, Kringer pour ne citer que ces quelques exemples que chacun pourra aisément compléter. Si les nouvelles conditions de nationalité et d’accès à certaines fonctions sont adoptées comme proposé, que deviendraient les descendants de ces familles ? Que deviendraient en outre les descendants de tous ceux qui ont épousé un(e) étranger(ère) ? J’appelle donc les nouvelles autorités à renoncer à ce néfaste projet qui, sous d’autres cieux, a conduit à l’innommable. On ne défend pas son pays en excluant une partie de son socle. On ne construit pas en détruisant.

En choisissant la devise de la République gabonaise, les pères fondateurs ont inscrit l’Union comme premier pilier de notre projet commun, en tant que nation. Cette nécessaire union est rappelée avec force par les premières paroles de l’hymne national, La Concorde, que chacun se plaît à chanter gaiement aujourd’hui : « Unis dans la concorde et la fraternité ». Union, concorde et fraternité. On ne construit pas une nation contre son histoire. Le faire, c’est entrer dans une forme de révisionnisme aux conséquences incalculables.

« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde« . (Albert CAMUS).

Le patriotisme ce n’est pas le rejet de l’autre parce que différent. Le patriotisme, c’est au contraire l’amour du pays qui nous a vu naître ou qui nous a accueilli. Que des fautes aient été commises dans la place qui a été accordée à certains étrangers au détriment des Gabonais, soit. Cette réalité, nul ne peut la nier. Elle a du reste contribué à creuser le fossé entre le Président Ali Bongo Ondimba et une partie importante de la population. Pour autant, il serait dangereux de se détourner de ce qui fait le socle de notre société sur la base de fautes déjà corrigées. Derrière la revendication patriotique supposée que justifieraient ces propositions s’établit une logique moins noble : le tribalisme de certains s’est mué en xénophobie car, il faut bien le dire, la xénophobie est l’autre nom du tribalisme.

Le rejet de l’étranger venu d’un autre pays masque celui à venir du Gabonais d’une province ou d’une ethnie différente. Faisons extrêmement attention à ne pas laisser dériver notre nation et à ne pas ouvrir la boîte de pandore. Que dire des Haoussa dont on choisit de ne plus reconnaître la nationalité gabonaise aujourd’hui, au prétexte qu’ils seraient venus d’ailleurs, alors même qu’ils font partie, depuis bien longtemps, de notre histoire et de certaines de nos contrées ! Je pense à nos frères et sœurs Haoussa du Woleu-Ntem ou de l’Ogooué-Ivindo. Et que dire de ces fonctionnaires de l’AEF, venus apporter leur contribution au développement du Gabon naissant, dans les années 50 et ce jusqu’au début des années 60, et qui ont choisi de s’établir dans notre pays devenu aussi le leur ?

  1. D’un régime Présidentiel hybride !

 Après avoir dénoncé les manipulations de la Constitution pour permettre à Ali Bongo Ondimba de se maintenir au pouvoir, voilà que les rédacteurs du Rapport général du DNI, sous dictée, ne font pas mieux que de manipuler les conditions d’éligibilité pour s’assurer que leur candidat sera le seul à remplir ces conditions pour compétir, sans adversaire bien entendu ! A-t-on vraiment besoin de ces entourloupettes au moment où il est question de retrouver la confiance dans nos institutions et ceux qui les incarnent ? Ces mêmes rédacteurs proposent encore un régime Présidentiel unique au monde, tant par la durée du mandat (7 ans lorsque les meilleurs standards le fixent entre 4 et 5 ans) que par le choix du Vice-Président qui, ici, ne serait pas élu au ticket, mais nommé. Quelle serait alors sa légitimité à suppléer le Président de la République ? Où est l’innovation à reproduire le choix contesté d’un Vice-Président nommé ? Pierre Mamboundou parlait jadis de factotum. Dans un vrai régime Présidentiel, le Vice-Président est élu au ticket avec le Président et assure la vacance du pouvoir.

Ce régime hybride qui est proposé ne peut qu’accentuer les dérives du pouvoir personnel fortement contestée par certains hier, et déjà perceptible dans la gouvernance actuelle. Ne pas le dire serait une faute politique d’autant plus que nombre de sujets majeurs ont été passés sous silence à cette fin.

  1. Deux sujets majeurs sciemment occultés !

 Les dérives du Cabinet Présidentiel Parmi les omissions volontaires, il en est une qui ne saurait passer inaperçue : le Cabinet Présidentiel. Les effarantes dérives des cabinets successifs du Président de la République, qui ont obéré gravement le fonctionnement normal des institutions, affaibli considérablement l’autorité de l’Etat, ont été passées sous silence. Or, les circuits de décisions et d’arbitrages étaient perturbés, voire parfois anéantis par des voies parallèles ― pour ne pas dire occultes ― pilotées depuis le Cabinet Présidentiel.

Le mal profond et les dérives multiples, parfois pénalement répréhensibles, que tout cela a occasionnés n’ont même pas été perçus par les rédacteurs du Rapport, encore moins les remèdes à y appliquer. Qu’en est-il en réalité ?

Quid de la Cour Constitutionnelle ?

Objet de toutes les récriminations dans l’opinion aussi bien qu’auprès d’une certaine classe politique, le rôle de la Cour Constitutionnelle ne semble cependant pas avoir d’avantage intéressé les rédacteurs puisqu’aucune piste sérieuse ne semble avoir été envisagée pour sa réforme. Faut-il croire que le changement de Président aura suffi à lui tout seul à effacer tous les maux dont certains accablaient cette institution ?

En conclusion, la balle est désormais dans le camp des dirigeants de la transition et du Comité de Suivi qui ont la responsabilité de tenir leur engagement pour une Transition inclusive, démocratique et apaisée. En effet, si la totalité des recommandations du DNI devaient être mises en œuvre telles que proposées par les rédacteurs du rapport, nous serions alors face à une régression démocratique des plus singulière et à une dangereuse remise en cause de notre vivre-ensemble.

Alain-Claude BILIE-BY-NZE

Ancien Premier Ministre.

 

 
GR
 

3 Commentaires

  1. MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. La tonalité est à la fois partagée entre condamnation, mise en garde et avertissement. Or, nous venons bien de quelques part. A ce titre l’intéressé ce serait bien gardé d’évoquer le caractère intentionnel dans l’exclusion et la chasse aux sorcières. Le dire c’est reconnaitre implicitement la présence de sorcièr(es). Quid de leur provenance, le document est frappé de vacuité à ce niveau.

    Par ailleurs, l’auteur évoque ceci  » Le mal profond et les dérives multiples, parfois pénalement répréhensibles, que tout cela a occasionnés n’ont même pas été perçus par les rédacteurs du Rapport, encore moins les remèdes à y appliquer. Qu’en est-il en réalité »?. Le document évoque le caractère « pénalement repréhensible ». De ce point de vue le DNI n’avait pas vocation à se substituer à un pouvoir judiciaire dont nous le voyons – puisque c’est le vœu évoquée- est sur la réactivité pénalement par rapport aux « lumières ayant animées ce pan de l’exécutif.

    Enfin, une période de transition est une phase ponctuelle voir exceptionnelle. De ce point de vue toute « communication ou analyse » est plutôt une contribution. A l’examen, C’est en cela que se traduit cette sortie. Amen.

  2. Michel Matha dit :

    Ce regime militaire va droit dans le mur.

  3. evariste dit :

    Ce n’est qu’un rapport, pas un texte de loi ni une constitution.
    Vous brassez de l’air pour rien…

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