À l’approche du référendum sur la nouvelle constitution, la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) lance un cri d’alarme. Dans une déclaration choc, le groupe de structures politiques dénonce un projet constitutionnel «transgenre» qui ressusciterait les fantômes du passé autoritaire du pays. Entre discriminations ethniques, concentration des pouvoirs et risque de chaos institutionnel, le Gabon post-Bongo est-il en train de rater sa transition démocratique ? Examen sommaire d’un réquisitoire ayant bien d’arguments.

« Si le projet de loi portant constitution de la République Gabonaise est adopté en l’état, l’élite gabonaise n’aura pas tiré les leçons du passé de son pays et aura délibérément décidé que le Gabon notre pays rame à contrecourant de l’histoire », dixit la CNR. © GabonReview (capture d’écran)

 

Déclaration coup de poing que celle faite, le 18 septembre dernier, par la Coalition pour la Nouvelle République (CNR) à travers laquelle elle dénonce un projet constitutionnel qui menacerait l’avenir même du Gabon.

«Le Gabon, notre cher pays se trouve aujourd’hui à un tournant périlleux de son histoire politique et institutionnelle.» C’est par ces mots que s’ouvre la déclaration de la CNR, le 18 septembre 2024. Un an après le coup d’État ayant mis fin au règne dynastique des Bongo, le pays s’apprête à se doter d’une nouvelle constitution. Mais pour la CNR, le remède pourrait s’avérer pire que le mal.

Un texte «transgenre» aux allures de monstre juridique

La coalition ne mâche pas ses mots pour qualifier le projet tout récemment soumis à l’Assemblée constituante : une «constitution transgenre qui n’entre dans aucun moule des régimes politiques existants». La formule choc traduit l’inquiétude de ce conglomérat de formatons politiques face à un texte qui, de son point de vue, semble bricoler un système institutionnel sans précédent, au risque de créer un déséquilibre dangereux.

Etayant ses affirmations, la CNR liste onze «incongruités» majeures dans le projet, qui méritent d’être examinées en détail : 1) Une Assemblée constituante réduite à un rôle consultatif, en contradiction avec sa mission première de rédaction de la constitution ; 2) Un ordonnancement juridique illogique, qui ne place pas les principes fondamentaux de la République en tête du texte ; 3) L’abandon de l’esprit de la constitution consensuelle de 1991, pourtant saluée dans la Charte de la Transition ; 4) Un régime hybride qui ne garantit pas une séparation claire des pouvoirs ; 5) Un Vice-Président nommé et révocable par le Président, plutôt qu’élu sur un même ticket ; 6) Une concentration excessive des pouvoirs entre les mains du Président, au détriment des contre-pouvoirs législatif et judiciaire ; 7) Des conditions d’éligibilité à la présidence jugées discriminatoires, exigeant des candidats d’être «Gabonais né de père et de mère gabonais, eux-mêmes de père et de mère Gabonais» ; 8) Une limite d’âge de 70 ans pour les candidats à la présidence, considérée comme arbitraire : 9) L’obligation pour les candidats de parler une langue locale, alors que l’État n’a jamais promu les langues nationales ; 10) Le maintien du mandat des parlementaires même en cas de démission ou d’exclusion de leur parti, ouvrant la porte à la «transhumance politique» ; et 11) Une disposition d’amnistie pour les auteurs du coup d’État du 30 août 2023, jugée inappropriée dans une constitution.

Le spectre de 1964 : l’histoire bégaie-t-elle ?

La CNR ne se contente pas de critiquer le texte proposé. Elle met en garde contre une dangereuse répétition de l’histoire : «La constitution actuellement en examen est presque jumelle de celle de 1961 dont l’architecture d’un président surpuissant avait conduit au coup d’état de 1964.» Une comparaison historique lourde de sens. Elle suggère que le Gabon, loin de tirer les leçons de son passé, s’apprête à recréer les conditions mêmes ayant généré des décennies d’instabilité politique et d’autoritarisme.

La déclaration de la CNR entend ainsi révéler les tensions qui traversent le processus de transition en cours. D’un côté, les autorités issues du coup d’État cherchent à asseoir leur légitimité à travers une nouvelle constitution. De l’autre, une partie de la société civile et de l’opposition craint que cette refondation ne soit qu’une façade pour perpétuer un système de pouvoir personnel.

Le débat autour des conditions d’éligibilité à la présidence est particulièrement révélateur. La CNR dénonce une «discrimination négative» qui risque d’entraîner «la désintégration du tissu social, du socle national, du vivre-ensemble, de l’unité nationale et du sentiment d’appartenance à une même nation». La critique de ce groupe politique jadis proche de Jean Ping mais s’en étant démarqué, soulève la question capitale de l’identité nationale dans un pays marqué par des clivages ethniques et régionaux, au nom d’une certaine géopolitique chère aux deux régimes Bongo.

L’enjeu de la séparation des pouvoirs

Au-delà des questions identitaires, c’est l’architecture même du pouvoir qui est en jeu. La CNR s’alarme d’une concentration excessive des prérogatives entre les mains du président : «Le président de la République peut dissoudre l’Assemblée Nationale alors que celle-ci ne peut pas le destituer. […] Le Président de République qui est en même temps Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, nomme les Magistrats à des postes de responsabilité et peut les révoquer.» Une asymétrie qui pose la question de l’équilibre des pouvoirs, pierre angulaire de tout système démocratique. Le risque d’une dérive vers un «hyper-présidentialisme» est réel selon la coalition, d’autant plus dans un pays qui sort de décennies de pouvoir personnel.

Face à ces enjeux, la CNR lance un appel solennel aux autorités de transition : «Le Regroupement des partis politiques de la CNR, en sa qualité de sentinelle du processus de la restauration des institutions, invite le Président de la Transition, le CTRI, le Gouvernement de la Transition et l’Assemblée Constituante, à faire preuve de responsabilité et de patriotisme, en plaçant la constitution à venir au-dessus de tout.» Un appel qui entend souligner l’importance historique du moment, le Gabon ayant l’opportunité de refonder ses institutions sur des bases solides et consensuelles. Mais le risque est grand, craint la CNR, de voir cette chance gâchée par des calculs politiques à court terme ou des réflexes autoritaires hérités du passé.

La déclaration de la CNR pose ainsi une question fondamentale : le Gabon saura-t-il saisir ce moment pour construire une démocratie authentique, ou est-il condamné à reproduire les schémas du passé sous de nouveaux habits ? La réponse à cette question déterminera l’avenir du pays pour les décennies à venir.

Alors que le référendum constitutionnel approche, le débat lancé par la CNR et d’autres forces de l’opposition ponctuelle au CTRI dépasse largement les frontières du Gabon. Il interroge la capacité des sociétés africaines à se réinventer politiquement, à concilier stabilité et pluralisme, et à construire des institutions véritablement démocratiques. L’issue de ce processus sera scrutée bien au-delà des frontières gabonaises, comme un test pour l’avenir de la démocratie sur le continent.

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Gayo dit :

    Contrairement à ce que certains souhaitent faire croire, le poste de président dans un pays en développement comme le nôtre est extrêmement exigeant, nécessitant de longues heures de travail et l’examen de nombreux dossiers. Ceux qui soutiennent que ce rôle est uniquement symbolique et qu’il n’est pas nécessaire d’y être physiquement impliqué sont des démagogues. Beaucoup de ces anciens dirigeants ont déjà bénéficié des avantages de la République et refusent de céder leur place dans un pays qui doit rétablir l’équilibre, notamment en diversifiant la participation des différentes composantes sociales et politiques dans la gestion du pays, plutôt que de concentrer le pouvoir entre les mêmes mains et au sein des mêmes familles de génération en génération.

    La retraite étant fixée à 65 ans, devrait-on également demander aux enseignants de rester en activité jusqu’à 80 ans ? Il est indéniable qu’ils ont beaucoup moins de responsabilités qu’un président de la République. Il est crucial de mettre en place des mesures qui garantissent un président capable de diriger efficacement, sans être redevable à un petit groupe. Tous les individus, indépendamment de leur âge, finiront par vieillir. Il est donc démagogique d’évoquer l’exclusion fondée sur l’âge. Si l’on veut supprimer toutes les limites, cela signifierait qu’on pourrait accéder à la présidence à 16 ans ou même à 120 ans. Il est également paradoxal que des hommes de 65 ans se sentent exclus simplement parce qu’il existe un âge de départ à la retraite.

    Cependant, le discours de la CNR est plus objectif, courtois et respectueux, contrairement aux déclarations empreintes de haine et de ressentiment de Bilie Bi Nze, qui multiplie les propos alarmistes sans véritable fondement, juste parce qu’il utilise les mêmes techniques de mensonges et de manipulations contre ses adversaires aussi bien quand il est au pouvoir que dans l’opposition.

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