Diplomate, ancien porte-parole du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Emmanuel Mba Allo brosse ici les contours du poste de secrétaire général des Nations Unies dont un nouveau mandat vient d’être donné à Antonio Guterres, au moment où le Gabon entre, le 1er janvier prochain, au Conseil de sécurité pour la sixième fois de son histoire.

Dans un monde idéal, Secrétaire général de l’ONU serait une fonction de rêve. Dans ce monde-ci, «c’est le job le plus impossible sur cette terre», selon l’expression du Norvégien Trygre Lie. © Gabonreview/Shutterstock

 

Ancien journaliste, Emmanuel Mba Allo est diplomate : ancien Porte-parole du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération de la République gabonaise et ancien Ambassadeur du Gabon en Chine. © Image personnelle

Les 193 Etats membres de l’Assemblée générale de l’ONU ont approuvé vendredi 18 juin par acclamation la réélection de l’ex-Premier ministre portugais, Antonio Guterres à un second mandat de cinq ans comme Secrétaire général des Nations Unies.

Cette élection par l’Assemblée était une formalité après qu’elle eut été recommandée à l’unanimité mardi 8 juin par le Conseil de sécurité de l’ONU. Son nouveau mandat ira du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2026. Le Gabon qui entre au Conseil de sécurité pour la quatrième fois le 1er janvier 2022 s’est réjoui de cette réélection. « Bienvenue au poste le plus impossible de la planète », l’avait félicité en 2017 l’ancienne Ambassadrice des Etats-Unis à l’ONU, Madame Samantha Power.

Le Secrétariat, sixième organe principal de l’Organisation des Nations Unies, est dirigé par le Secrétaire général, qui est « le plus haut fonctionnaire de l’Organisation. » Depuis la création de l’ONU, neuf personnalités ont occupé cette fonction. Le Premier Secrétaire général a été Trygve Lie, de nationalité norvégienne, qui a exercé ses fonctions du 1er février 1946 au 10 avril 1953, le second a été Dag Hammarskjöld, de nationalité suédoise désigné le 10 avril 1953, et mort tragiquement dans un accident d’avion remplissant une mission se rapportant à l’action des Nations Unies au Congo le 18 septembre 1961 ; puis U thant (Birmanie) de 1961 à 1966 et de 1966 à 1971 ; Kurt Waldheim (Autriche) de 1972 à 1977 et 1977 à 1981 ; Javier Perez de Cuellar (Pérou) de 1982 à 1991 ; Boutros Boutros GHALI (Egypte) de 1992 à  1996; Kofi Annan (Ghana) de 1997 à 2006 ; Ban KI-MOON (Corée du sud) de 2007 à 2016 ; Antonio Guterres (Portugal) de 2017 à 2021. Nommé le 18 juin 2021 pour un nouveau mandat de cinq ans à compter du 1er janvier 2022.

« Le Secrétaire général est nommé par l’Assemblée sur recommandation du Conseil de sécurité, (Art.97 de la charte) ». La procédure de désignation du plus haut fonctionnaire de l’Organisation fait donc une place privilégiée aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui disposent, avec le droit de veto, sinon d’un pouvoir d’imposer, au moins de celui d’empêcher une candidature. Acte politique juridiquement organisé, le choix d’un Secrétaire général exige donc un minimum de consentement ou, à la rigueur, d’indifférence de la part des cinq grands. Les différents scrutins qui ont eu lieu depuis 1946 illustrent cette capacité des grandes puissances de « faire ou défaire« , les Secrétaires généraux des Nations Unies.

La conception de l’ONU du rôle du Secrétaire général et du secrétariat est différente de celle que s’en était faite la société des Nations (SDN). Selon cette dernière, le Secrétariat était essentiellement un centre de documentation, un lieu d’échange d’informations et de diffusion de renseignements, un service technique chargé de faire les procès-verbaux des décisions prises par les autres organes. De telles fonctions strictement administratives et techniques appartiennent sans doute au Secrétariat général de l’ONU qui agit comme secrétariat de tous les organes de l’ONU et exécute leurs décisions.

A côté de ce rôle, le Secrétariat possède un rôle politique qui va au-delà du simple droit d’initiative prévu par l’article 99 de la Charte et qui stipule que « le Secrétaire général peut attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales ».

Ce « droit d’attirer l’attention », techniquement n’a été utilisé que très rarement. Exemples en 1960, dans l’affaire du Congo, en novembre 1979 à propos de la détention du personnel diplomatique des Etats-Unis à Téhéran, en 1989 à propos de la situation au Liban. Le Secrétaire général a plus fréquemment attiré l’attention du Conseil par des mémorandums sans demander expressément au Conseil de se réunir. Ainsi en 1971 à propos des réfugiés bengalis, en 1972 sur le Vietnam, en 1976 et 1978 sur la situation au Liban.

A vrai dire le Secrétaire général n’a pas vraiment l’occasion d’utiliser l’article 99 de la Charte car les Etats membres saisissent le Conseil eux-mêmes et, s’ils ne le font pas dans une situation qui semblerait le justifier, c’est qu’ils ont la conviction que le Conseil ne souhaite pas traiter de la question. Le Secrétaire général en se substituant à eux risquerait un échec qui compromettrait son crédit. C’est par d’autres voies que le Secrétaire général a mis en œuvre une activité diplomatique de plus en plus intense. C’est sous Dag Hammarskjöld que s’est développé cette conception du secrétariat comme « instrument dynamique recherchant la conciliation d’ensemble apte à mettre au point des formes d’action de caractère exécutif entreprise au nom de tous les Etats membres et cela dans un esprit d’objectivité et conformément aux buts et principes de la Charte ».

Afin de contribuer au règlement des différends internationaux, le Secrétaire général de l’ONU peut user de ses bons offices en vue de médiations officielles pour recourir à une « diplomatie secrète ». De nombreuses missions d’information, de bons offices, de médiation, de diplomatie préventive, de conciliation ont été remplies ou sont remplies par ses représentants spéciaux et personnes ou envoyés.

Ces dernières années, le patron de l’ONU s’est donc acquis une certaine notoriété publique par ses efforts de médiations visant à empêcher que des différends internationaux n’éclatent, ne s’enveniment ou ne se propagent.

Quasiment ignoré pendant la guerre froide, la fonction de Secrétaire général de l’ONU a pris du relief après la chute du mur de Berlin. Le numéro un onusien a son mot à dire dans la tourmente internationale du moment. Il ne s’en prive pas. Les Chefs de gouvernement l’entendent ; l’écoutent-ils ? La réponse à cette question est complexe, car elle varie en fonction des situations, des périodes et des façons différentes dont divers groupes de gouvernements perçoivent les choses. Jusqu’à présent, les pays les plus industrialisés ont eu tendance à considérer les Nations Unies comme le gardien du statu quo alors que les pays en développement se sont montrés enclins à les envisager comme agent de changement. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont les votes sont cruciaux dans le choix du Secrétaire général, se sont généralement montrés peu disposés à accepter trop d’indépendance politique de sa part, surtout s’il paraissait probable que ses opinions ou ses actes différeraient de leur politique sur tel problème particulier.

Il peut aussi y avoir des divergences entre les gouvernements quant à l’importance relative des différents aspects de l’action du Secrétaire général : action politique, administrative, médiatrice, coordinatrice, productions de nouvelles idées, communication avec l’opinion publique. En règle générale, les gouvernements ne souhaitent ni être éclipsés par le Secrétaire générale, ni se trouver publiquement en opposition avec lui, mais ils souhaitent également qu’il prenne l’initiative en cas d’urgence ou quand les gouvernements eux-mêmes ne sont pas en mesure d’agir. En principe, tous les gouvernements estiment que le Secrétaire général devrait être le gardien de la Charte, bien qu’il y ait de fréquents désaccords sur l’interprétation de ce document. De même, ils estiment tous qu’il devrait intervenir comme intermédiaire dans les conflits entre Etats, mais savoir quand et comment il devrait le faire précisément, est souvent matière à controverse.

En pratique il semble, comme l’a dit l’ambassadeur Max Finger, ancien membre de la mission des Etats-Unis auprès des Nations Unies à New York, que les gouvernements exigent du Secrétaire général « qu’il excelle à l’intérieur des paramètres de la réalité politique » : une qualification fort prudente de sa mission.

Le grand public, lui, apprécierait probablement quelque chose de plus dynamique : un champion de la paix, de la justice, de la loi, des droits de l’homme et de la raison, champion intrépide, sage, franc et clair.

Singulière mission que celle du Secrétaire général de l’ONU. Accueillant son successeur, le Norvégien Trygre Lie, premier titulaire du poste, l’avait prévenu : « C’est le job le plus impossible sur cette terre. » Dans un monde idéal, ce serait une fonction de rêve. Dans ce monde-ci, c’est un métier très dur. Le Secrétaire général est nommé par l’Assemblée générale, sur recommandation du Conseil de sécurité. Son élection donne lieu à des marchandages. Chaque Etat membre veut qu’il soit à son service. Il faut qu’il soit proche du Tiers-Monde et pro-occidental. La France tient à ce qu’il parle français. Il doit être brillant mais il ne doit pas gêner les puissants.

Emmanuel MBA ALLO

Ancien Ambassadeur du Gabon auprès des Nations Unies à New York, à Genève puis à Vienne.

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GR
 

2 Commentaires

  1. O.M.S dit :

    Erratum: c’est plutôt pour la 6è fois que le Gabon est élu MNP au Conseil de Sécurité : https://ask.un.org/faq/267938

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