Dans le contexte de la guerre Russie vs Ukraine, une bonne partie de l’opinion découvre, abasourdie, la réalité de l’ordre international établi depuis 1945. A cet effet, le Pr. Guy Rossatanga-Rignault présente ici certains aspects permettant de comprendre la crise Russie/Ukraine. Une question essentielle de son texte en donne tout l’esprit : « Peut-on sérieusement imaginer une résolution du Conseil de sécurité créant un tribunal pénal international pour juger des criminels de guerre russes en Ukraine ou américains en Irak ? »

Ceux qui assurent l’impérium sur la planète prêchent trop souvent des principes et valeurs qu’ils ne s’appliquent que fort peu. © Montage Gabonreview

 

Guy Rossatanga-Rignault, Professeur des universités à l’U.O.B. © D.R.

Ces derniers jours, à la triste faveur de la guerre russo-ukrainienne, on entend et lit ici et là des appels au respect du droit international ou à la traduction de tel devant un tribunal pénal international. Ces appels viennent souvent d’honnêtes gens face aux horreurs de la guerre. Ils viennent aussi de véritables tombeaux blanchis qui ont pourtant pris la fâcheuse habitude, sans le moindre état d’âme, de ne faire que peu de cas dudit droit international. Il n’empêche. La question du respect du droit international et de la sanction de ses violations est trop importante pour qu’on l’ignore sous le poids des passions et émotions du moment. Car, en interne comme à l’international, la haine du droit est un fléau majeur et son acceptation au gré des intérêts une défaite collective.

Or, on constate que beaucoup semblent découvrir la réalité de l’ordre international issu de la deuxième Guerre mondiale et dont l’une des apories est l’existence du véto des cinq membres permanents (P5) dont le seul mérite est de s’être trouvé au bon moment (4-11 février 1945) au bon endroit (Yalta) pour, entre autres, décider des modalités de fonctionnement du Conseil de sécurité de la future Organisation des Nations Unies.

Il convient par conséquent de rappeler comment « fonctionne » le monde depuis 1945 (I) et quels sont les instruments de la justice criminelle internationale (II).

I.LE CONSEIL DE SECURITE DES NATIONS UNIES, MAITRE DE L’ORDRE DU MONDE

On rappellera que c’est lors de la Conférence de Téhéran (1943) que l’Union soviétique, la Grande-Bretagne et les États-Unis s’étaient engagés à créer une nouvelle organisation internationale suite à la faillite de la Société des Nations qui s’était révélée incapable d’empêcher la survenue de la deuxième Guerre mondiale. Un an plus tard (28 septembre-7 octobre 1944), les mêmes plus la Chine se retrouveront à Dumbarton Oaks (une résidence arborée de Washington) pour adopter le projet de charte de l’ONU sans s’accorder sur le mode de scrutin à retenir pour le Conseil de sécurité, véritable cœur nucléaire de l’organisation. Ce qui conduira les trois principaux chefs alliés (l’Américain Roosevelt, le Britannique Churchill et le Soviétique Staline) à se réunir à Yalta où sera définitivement acté le principe du véto des P5 avant que les délégués  des 50 nations en guerre contre l’Axe n’approuvent la Charte, le 26 juin 1945, à San Francisco.

En adoptant cette architecture donnant le pouvoir réel à l’organe d’une infime minorité (le Conseil de sécurité auquel l’article 24 de la Charte confère la « responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales ») au détriment de celui de la majorité écrasante (l’Assemblée générale) on a paradoxalement, en partant de bonnes intentions tenant notamment à l’efficacité, bâti un ordre international non-démocratique dont les contradictions sont de plus en plus manifestes, ne fut-ce que s’agissant de l’impossibilité juridique de faire sanctionner toute violation du droit international par l’un ou l’autre des bénéficiaires du véto, comme de l’impossibilité d’amender la Charte sans l’accord du Conseil de sécurité (Article 108 : Les amendements à la présente Charte entreront en vigueur pour tous les Membres des Nations Unies quand ils auront été adoptés à la majorité des deux tiers des membres de l’Assemblée générale et ratifiés, conformément à leurs règles constitutionnelles respectives, par les deux tiers des Membres de l’Organisation, y compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité).

Gardien de la paix et de la sécurité internationales, le Conseil de sécurité en est aussi trop souvent le fossoyeur au gré des intérêts de l’un ou l’autre de ses membres permanents qui n’ont du reste jamais accepté le principe d’une réforme remettant en cause leur pouvoir, même s’ils ont accepté l’élargissement de 1963 permettant de passer de 11 à 15 membres (5 permanents et 10 non permanents élus pour 2 ans). En effet, la réforme du Conseil de sécurité est devenue pour l’Inde la tragédie grecque du mythe de Sisyphe qu’on rejoue d’année en année. L’Allemagne, pour sa part, la compare à l’histoire du Petit Poucet tout en dénonçant : Défendre le système multilatéral le dimanche, pour mieux bloquer la réforme de l’un des organes principaux de l’ONU, du lundi au vendredi, est une astuce qui ne marche plus (https://www.un.org/press/fr/2019/ag12217.doc.htm).

II. LES VOIES ET MOYENS DE LA JUSTICE CRIMINELLE INTERNATIONALE

Comment faire appliquer le droit international, notamment en jugeant tel ou tel responsable politique aujourd’hui ?

En l’état actuel du droit international autant qu’en prenant en compte la réalité de l’ordre mondial décrit plus haut, il n’y a que deux options : la Cour Pénale Internationale (CPI) ou la création d’un Tribunal pénal spécial. Malheureusement, on montrera ci-dessous qu’aucune de ces voies n’est utilisable pour certains Etats soit du fait de leur non reconnaissance de la CPI, soit du véto dont ils disposent au Conseil de sécurité.

Quid de la CPI ?

L’idée de la création d’une juridiction criminelle universelle est ancienne et reste, en réalité, un projet, comme on le montrera ici. En effet, si la Commission du droit international de l’ONU avait soumis à l’Assemblée générale un projet de statut d’une Cour pénale internationale en 1993, elle y travaillait depuis… 1948 !

Toujours est-il que créée par l’adoption du Statut de Rome le 17 juillet 1998 (120 États participant, 7 contre, 21 abstentions), la CPI est compétente pour connaître des crimes suivants :

  • Génocide (« actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ») ;
  • Crime contre l’humanité (« actes… commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »).
  • Crime de guerre (« infractions graves aux conventions de Genève de 1949…autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux… violations graves de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 » en cas de conflit armé non international… autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant pas un caractère international »).

Et pour voir sa compétence déclarée, l’une des conditions suivantes doit être remplie :

  • L’accusé doit être ressortissant d’un État partie au statut ou qui accepte la juridiction de la CPI dans un cas précis ;
  • Le crime en cause doit avoir été commis sur le territoire d’un État partie ou qui accepte la juridiction de la CPI dans le cas d’espèce.
  • Le procureur de la CPI doit être saisi par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations U

Entré en vigueur le 1er juillet 2002 après sa ratification par 60 États, le Statut de Rome compte aujourd’hui 123 Etats-Parties sur les 193 Etats membres de l’ONU. 70 Etats membres des Nations Unies ne sont donc pas partie au Statut de Rome parmi lesquels les Etats-Unis (qui ont signé sans ratifier), la Russie (qui a signé sans ratifier), l’Ukraine (qui a signé sans ratifier), et la Chine (qui n’a pas signé). Comme on peut le voir, les 3 principaux P5 ne sont pas parties au Statut de Rome, comme ne le sont pas les deux protagonistes de l’actuelle crise (Russie et Ukraine).

Quid des autres juridictions pénales internationales ?

Plusieurs juridictions pénales internationales spéciales ont existé ou existent.

On citera d’abord le Tribunal Militaire International (Tribunal de Nuremberg) créé par  l’accord de Londres du 8 août 1945 (États-Unis d’Amérique, Royaume-Uni, URSS et  le gouvernement provisoire de la République française) pour juger les dirigeants du Troisième Reich. Il convient de noter que le modèle Nuremberg n’est reproductible que dans l’hypothèse d’une conflagration mondiale dont les vainqueurs jugeront les vaincus.

Plus près de nous, notons le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie créé le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité ; le Tribunal Pénal International pour le Rwanda institué le 8 novembre 1994 par la résolution 955 du  Conseil de sécurité ; le tribunal spécial pour la Sierra Leone, créé en 2002 sur la base de la résolution 1315 du Conseil de sécurité (14 août 2000) ; ou  le tribunal spécial pour le Liban, créé par accord entre l’ONU et le Liban à la suite de la résolution 1664 du 29 mars 2006.

Dans tous ces cas, on aura noté qu’il aura fallu pour créer ces tribunaux une résolution du Conseil de sécurité. Peut-on sérieusement imaginer une résolution du Conseil de sécurité créant un tribunal pénal international pour juger des criminels de guerre russes en Ukraine ou américains en Irak ? Poser la question, c’est y répondre.

Le roi « Communauté internationale » est donc bien nu. Et le bon peuple mondial le voit au grand jour. Il n’en est ainsi que parce que ceux qui assurent l’impérium sur la planète ont, plus qu’à leur tour, montré un sens peu élogieux de la vertu depuis 1945, prêchant trop souvent des principes et valeurs qu’ils ne s’appliquent que fort peu. Et cette nudité sera de plus en plus visible si l’ordre mondial n’évolue pas vers une réelle communauté des Nations.

Guy ROSSATANGA-RIGNAULT

Professeur des universités à la Faculté de Droit et Sciences économiques de Libreville

 

 

 

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GR
 

1 Commentaire

  1. Jean jacques dit :

    Tres tres tres et bien une bonne questionar em irak pres d’un 1000.ooo des humains que les americains ont tue.

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