Les derniers jours ayant précédé l’ouverture de la campagne pour le référendum du 16 novembre 2024 ont vu le président de la HAC et son partenaire de l’Unoca se mobiliser en vue de permettre aux médias et aux journalistes d’aborder cette consultation dans les meilleures conditions, tout en veillant au respect des normes. Seulement, le comportement actuel des journalistes est loin de satisfaire Emmanuel Thierry Koumba* dont la tribune ci-après est présentée comme une analyse du paysage sociopolitique du Gabon autour d’une élection capitale pour l’avenir du pays. Enseignant et professionnel du domaine, l’auteur dit décrire les relations tumultueuses entre un organe de régulation des médias et des journalistes, des médias et des organes d’autorégulation pas souvent à la hauteurs des enjeux de l’heure. 

Le président de la HAC, Germain Ngoyo Moussavou, et son partenaire de l’Unoca œuvrent en vue de permettre aux médias et aux journalistes d’aborder le référendum constitutionnel dans les meilleures conditions, tout en veillant au respect des normes. © GabonReview

 

Emmanuel Thierry Koumba. © Photo personnelle

Introduction

Le Gabon se trouve à un moment charnière avec le référendum de novembre 2024, perçu comme un jalon pour l’avenir politique et institutionnel du pays. Le paysage médiatique, autrefois confiné à un rôle d’accompagnement, est aujourd’hui en pleine mutation, en proie à des défis tant structurels que déontologiques. La Haute Autorité de la Communication (HAC) s’emploie à renforcer l’intégrité de l’information, tandis que les journalistes, souvent en manque de formation, oscillent entre professionnalisme et tentations populistes. À travers cet article, nous analysons l’influence des régulateurs et les défis pour un secteur médiatique en quête de repères, entre l’espoir d’un renouvellement et la réalité d’un marché saturé de non-professionnels.

Contexte sociopolitique et enjeux du référendum de 2024

Le référendum de novembre 2024 au Gabon se déroule dans un contexte historique et politique tendu, où la libération nationale du 30 août a bouleversé l’équilibre institutionnel et médiatique. Cet événement marquant a permis aux journalistes de retrouver une certaine indépendance vis-à-vis des pressions politiques, mais il a également suscité une certaine confusion. Longtemps habitués à un rôle d’accompagnement des pouvoirs politiques et économiques, les journalistes sont aujourd’hui confrontés à de nouvelles attentes d’objectivité et de transparence.

Le référendum représente une occasion unique pour réviser la Constitution et redéfinir les fondements institutionnels du pays. Il en va de l’avenir des institutions gabonaises et des garanties constitutionnelles. Dans ce contexte, l’information fiable et impartiale devient cruciale. Les citoyens ont besoin d’un accès libre et équitable aux informations pour exercer leurs droits démocratiques en pleine connaissance de cause. Cela exige une vigilance accrue des médias et des régulateurs pour éviter toute manipulation de l’opinion publique ou propagation de fausses informations. La nécessité d’une information responsable et transparente en période électorale est primordiale, car elle permet aux électeurs de prendre des décisions éclairées sur des questions de grande importance.

Les réformes entreprises par la Haute autorité de la communication

La Haute Autorité de la Communication (HAC) joue un rôle central pour encadrer les pratiques médiatiques, en s’assurant que les journalistes fournissent une couverture équitable et respectent les normes éthiques. Pour garantir l’égalité d’accès aux médias lors de la campagne référendaire, la HAC a mis en place la Commission d’accès équitable. Cette commission est chargée de superviser et d’assurer que tous les partis politiques bénéficient d’une couverture médiatique équitable, en limitant les biais potentiels et en offrant un espace où chaque voix peut être entendue de manière équilibrée.

Le code de bonne conduite signé par les représentants des médias – qu’ils soient de la presse écrite, de la radio, de la télévision ou des réseaux sociaux – constitue un engagement des acteurs médiatiques à respecter l’éthique journalistique. Ce code vise à renforcer la confiance du public en garantissant la neutralité et l’impartialité de l’information. S’il est bien respecté, cet engagement pourrait transformer durablement les pratiques médiatiques au Gabon.

Pour pallier les lacunes en matière de compétences professionnelles, la HAC a entrepris de former les journalistes, avec le soutien d’organisations internationales telles que l’UNOCA. Ce partenariat vise à élever les standards du journalisme au Gabon et à encourager une meilleure maîtrise des enjeux liés à la déontologie et aux nouvelles technologies. Ces formations représentent une opportunité pour les journalistes gabonais de s’approprier les outils d’analyse critique et de production d’informations de qualité.

Les défis internes du secteur médiatique gabonais

L’état actuel du secteur médiatique gabonais révèle des défis profonds, qui nécessitent une prise de conscience collective. Depuis la libération d’août 2024, les journalistes se retrouvent dans une phase d’adaptation. Après des années de collaboration étroite avec les cercles de pouvoir, beaucoup se retrouvent pris au dépourvu par la soudaine liberté de ton et la responsabilité accrue qui leur incombent.

Cette situation s’est également accompagnée d’une prolifération de non-professionnels dans le domaine des médias. Avec la montée en puissance des réseaux sociaux et des médias en ligne, de nombreux acteurs sans formation journalistique envahissent le paysage médiatique, souvent à la recherche de sensations plutôt que de véracité. Ce phénomène contribue à brouiller les repères et à diluer les standards d’intégrité professionnelle.

Par ailleurs, les technologies évoluent rapidement, mais les journalistes gabonais ne bénéficient pas tous des ressources nécessaires pour suivre cette évolution. Le déficit de formation dans des domaines aussi variés que la vérification de faits, la sécurité numérique, et la production de contenus multimédia rend le secteur vulnérable aux dérives et aux manipulations. Les lacunes en matière de formation et d’accompagnement professionnel constituent un frein majeur au développement d’un journalisme de qualité.

Vers un modèle médiatique plus éthique et responsable ?

Face aux pressions de la HAC et aux attentes grandissantes du public, les pratiques journalistiques au Gabon ont une opportunité de se réinventer. L’exigence d’une couverture plus impartiale et responsable crée une dynamique favorable pour repenser les normes éthiques et renforcer la professionnalisation du secteur. Les régulateurs ont un rôle à jouer pour accompagner et encourager cette transformation, en fournissant un cadre clair qui protège la liberté d’expression tout en veillant à la qualité de l’information.

Les organes d’autorégulation comme l’Observatoire gabonais des médias (Ogam), le Conseil gabonais de la liberté de la communication (CGLC) et autres, bien qu’essentiels pour promouvoir une déontologie interne, peinent à répondre aux enjeux actuels. Ils manquent souvent de ressources ou d’autorité pour faire respecter les standards, ce qui affaiblit leur crédibilité. La coopération avec des régulateurs tels que la HAC et des organisations internationales pourrait permettre de consolider ces structures et de les rendre plus efficaces face aux exigences d’un paysage médiatique en mutation.

Malgré les nombreux défis, le Gabon peut s’engager vers un modèle médiatique plus éthique et professionnel. En investissant dans la formation continue des journalistes, en renforçant la régulation et en encourageant les pratiques responsables, le pays peut bâtir un secteur médiatique crédible, à même de répondre aux aspirations démocratiques de ses citoyens et de contribuer au progrès de la société dans son ensemble. Le référendum de 2024 et les réformes qui l’accompagnent offrent une opportunité unique pour jeter les bases d’une presse renouvelée, capable d’assumer son rôle de quatrième pouvoir dans un contexte politique transformé.

Conclusion

Dans un climat d’incertitude mais aussi de réformes potentielles, le référendum de 2024 représente une occasion unique pour le Gabon de renforcer la crédibilité de son secteur médiatique. En dépit des défis posés par le manque de formation et l’invasion de non-professionnels, des mesures concrètes et un encadrement régulier peuvent faire émerger un modèle médiatique à la hauteur des ambitions démocratiques du pays.

*Docteur Emmanuel Thierry Koumba, Enseignant à l’Université Omar Bongo et à EM-Gabon.

 

 
GR
 

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