Frappant les populations autochtones du Gabon, la question de l’insécurité foncière est au cœur de cette tribune libre poignante. Un membre de la communauté Mpongwè de l’Estuaire dénonce, à travers des exemples concrets et alarmants, les défis auxquels font face les autochtones pour préserver leurs terres ancestrales, malgré les promesses de changement suite à la transition politique. Georges Adiahenot appelle ici à une réforme urgente du système foncier et à une reconnaissance des droits des populations locales, jugées essentielles pour l’équilibre social et la stabilité du pays.

«Nous assistons à des cas de spoliation des autochtones, après des décennies d’investissement et de démarches administratives pour régulariser l’occupation de leurs terres», dixit Georges Adiahenot. © GabonReview (montage)

 

Georges Adiahenot, citoyen gabonais, membre du clan Angwekowa des Mpongwè de l’Estuaire du Gabon. © D.R.

L’urgence d’une réflexion sur la question foncière à Libreville, aux alentours et plus largement dans le Gabon : un cas emblématique sur Igoumie.

Il est de mon devoir, en tant que membre de la communauté Mpongwè, présente actuellement dans l’Estuaire du Gabon, de soulever une question qui me tient à cœur et qui je crois, interpelle nombres de mes concitoyens.

Nous avons participé et accompagné les manifestations d’allégresse qui ont accompagné le 30 Aout 2023 notre libération avec la promesse du Président de la Transition et du CTRI de rendre leur dignité aux Gabonais. Ces démonstrations, bien que justifiés et louables envers ceux qui hier encore protégeaient le système d’oppression mis en place, ne doivent cependant pas nous faire oublier les défis auxquels notre communauté Mpongwè est confronté, alors que nos aînés et nous même recevons le Président de la Transition le Général de brigade Brice OLIGUI NGUEMA.

Parmi ces défis auxquels notre communauté est confrontée, l’insécurité foncière sur la terre de nos ancêtres occupe une place prépondérante. Cette situation est d’autant plus criante que nous assistons à des cas de spoliation des autochtones, après des décennies d’investissement et de démarches administratives pour régulariser l’occupation de leurs terres. Pas une semaine ne se passe sans qu’un litige foncier n’éclate dans notre contrée.

Prenons l’exemple de cette dame de 89 ans, autochtone de L’Estuaire. En 1974, elle a acquis avec 9 autres familles auprès de l’administration gabonaise le droit d’occuper et d’exploiter 10 terrains à Igoumié et sur lequel elle a toujours maintenu une activité. Malgré de multiples démarches auprès du cadastre puis de l’ANUTTC (Agence Nationale de l’Urbanisme et des Travaux topographique et du Cadastre), elle n’a toujours pas obtenu de titre foncier 50 ans plus tard ; Depuis onze ans, son dossier est bloqué, tandis que des squatteurs, sans aucun titre et donc sans droits, se sont vaillamment installés sur sa propriété et ont même pour certains bénéficié d’une régularisation administrative, bien qu’en litige avec elle.

Malgré les alertes lancées auprès des autorités compétentes de la Transition, y compris le Président de la Transition et le ministre de l’Habitat cette grand-mère se voit impuissante face à ces agissements d’occupation et de spoliation de sa terre, parfois avec violence. L’ANUTTC administration  compétente dans le foncier, loin de chercher à résoudre ce problème, semble plutôt s’être organisée, via certains de ses agents, pour la laisser spolier en ralentissant une procédure qui aurait dû prendre 6 mois seulement, ou en utilisant de faux décrets présentés par l’administration, et en s’appuyant sur des textes illégaux du précédent pouvoir dont on ne sait toujours pas qui était le signataire ou pire en régularisant des squatters au lieu de les informer de l’illégalité de leur action et donc de l’impossibilité de voir aboutir leur procédure.

Imaginez seulement l’état psychologique de cette grand-mère et son désespoir après toute une vie de travail pour son pays, elle qui a perdu son frère occupant de la zone et qui lui non plus n’a pas pu obtenir son TF avant son décès l’année dernière.  Son terrain ayant lui aussi été largement squatté et son fils agressé pour avoir démontré qu’ils étaient titulaires d’un document administratif ; Ce dossier n’est par ailleurs toujours pas traité par les forces de sécurité de la république malgré l’usage d’une arme blanche par le squatteur, toujours libre, contre les ayants-droits…

Mais ces cas sont loin d’être isolés ; Un terrain dans la même zone et détenu par la « Fondation des 4 saisons« , accordé à la communauté Mpongwè et qui pourtant était arrivé au niveau de la conservation foncière avec un décret d’attribution, a lui aussi subi l’accaparement par les squatteurs avec l’accord et le soutien tacite de l’Etat, qui contrairement à ses lois leur accorde maintenant des droits. Ces situations qui tendent à se généraliser provoquent une frustration sourde de la part des jeunes et moins jeunes dans cette communauté. Or dans la même zone d’Igoumié, ce qui est refusé aux autochtones sur leur espace est pourtant accordé aux autres gabonais au travers du communiqué N°063 du CTRI, soit la terre et un titre foncier.

Ces quelques exemples qui sont loin d’être exhaustifs, illustrent parfaitement l’ampleur de la crise foncière que traverse notre communauté mais également dans un avenir certain chacune des communautés de notre pays. Il est urgent que les pouvoirs publics prennent des mesures fortes pour mettre fin à ces pratiques illégales et garantir la sécurité foncière des autochtones partout sur le territoire du Gabon.

En effet, ici nous vivons une situation paradoxale. Tandis que nous accueillons avec respect le président de la transition dans notre province de l’Estuaire et sur nos terres, nous sommes pourtant confrontés à une précarité foncière qui ne cesse de s’aggraver. Nos enfants peinent à se loger sur la terre de leurs ancêtres, et l’insécurité foncière s’installe insidieusement.

Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle est souvent le fruit d’une gestion opaque par l’administration et de conflits d’intérêts avérés. Il est regrettable de constater que des agents de l’État, censés garantir nos droits, sont eux-mêmes impliqués dans des pratiques qui les opposent aux populations autochtones.

La capitale, Libreville, est certes le cœur économique et administratif de notre pays, mais elle ne doit pas devenir un terrain de jeu où les droits des populations locales sont bafoués. L’État, dans sa quête de développement, ne saurait méconnaître les aspirations légitimes et les droits fondamentaux des communautés autochtones.

Nous demandons instamment aux autorités compétentes et au Président de la Transition, de prendre sans délais des mesures concrètes pour :

Sécuriser le foncier : En mettant en place des mécanismes transparents et efficaces pour garantir les droits de propriété des autochtones. Ces litiges récurrents et cette insécurité foncière sont clairement le fait de lois et règles foncières inadaptées à nos communautés.

Favoriser un dialogue constructif : En ouvrant des espaces de concertation avec les communautés locales afin de trouver des solutions durables, adaptées à nos us et coutumes et applicables.

Encourager une redistribution par l’État des terres : En affectant par exemple 30% du territoire nationale aux populations autochtones et en favorisant l’accès au foncier pour tous et pour chacun dans sa province d’origine prioritairement.

Nous appelons également nos dirigeants actuels à ne pas perdre de vue que Libreville est avant tout une ville où cohabitent des communautés diverses accueillis ici par nos parents Mpongwè, tout comme les terres alentours, communautés bien connues pour leur hospitalité.

Il est donc essentiel de trouver des solutions qui prennent en compte les intérêts de tous les Gabonais, tout en respectant les droits des populations autochtones, ici en l’occurrence Mpongwè et tout en préservant l’équilibre social et environnemental, notre vivre ensemble.

Nous espérons que cette tribune sera entendue et que nos représentants à quelque niveau que ce soit, portent fort et clairement ce message à nos visiteurs, que les autorités compétentes parmi elles, sensibles à cette problématique, prennent les mesures nécessaires et concertées pour garantir à chaque citoyen, et en particulier aux autochtones partout dans le Gabon, le droit fondamental d’accéder à la propriété foncière dignement. L’avenir de nos communautés en dépend et la stabilité de notre nation Gabonaise également. Ce sera alors et seulement alors notre essor vers la félicité !

Georges ADIAHENOT

du clan Angwekowa des Mpongwè de l’Estuaire du Gabon

 

 
GR
 

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