Cette tribune s’inscrit dans le cadre d’une réflexion collective et spontanée menée par quelques jeunes Gabonais (enseignants-chercheurs et observateurs de la situation sociopolitique du pays). Contemporains de l’événement du 30 août dernier, à savoir la prise du pouvoir par les forces armées gabonaises, il leur semble opportun -en dépit de l’immédiateté de l’instant présent- d’observer et de questionner cette période particulièrement marquante de l’histoire du Gabon. Le questionnement ici est un regard qu’ils souhaitent certes critique, mais surtout constructif. Pour cette partie, le groupe s’interroge sur le rôle des médias.

«Dans cette nouvelle ère numérique,… les médias se doivent d’être des thermomètres des dysfonctionnements et des garde-fous des libertés». © D.R.

 

Quid du rôle des médias dans le nouvel ordre étatique en gestation au Gabon ?

Marcy Ovoundaga. © D.R.

Dans un article paru dans le journal Le Monde, en septembre 2023, Achille Mbembe, historien et politologue africain, parle de l’avènement d’un nouvel ordre étatique africain en gestation pour ainsi nommer les coups d’État militaires qui ont eu lieu au Mali, au Burkina-Faso, en Guinée Conakry, au Niger et au Gabon. Si cette déclaration peut paraître prémonitoire pour bien d’analystes de la politique africaine, il apparaît opportun de souligner la singularité de chaque situation, mais également de questionner le rôle de certains instruments censés œuvrer à cet état de fait. 

Pour lever tout équivoque avec les tenants du mouvement néo-souverainiste africain qui n’accordent du crédit à un changement qu’à l’aune d’une rupture totale avec la France, il y a lieu de rappeler que le «coup d’État militaire» du 30 août 2023 au Gabon est la résultante de plusieurs facteurs endogènes. Ils trouvent leurs fondements dans l’échec du renouveau démocratique de 1990 d’une part, et dans l’échec des processus électoraux à pouvoir produire une alternance d’autre part. 

«…que la restauration des institutions en question touche au secteur des médias»

Dans ces conditions, un coup de force apparaissait comme le seul moyen probable pour imposer le changement au sommet de l’État. Ainsi, le coup d’État militaire du 30 août qui a renversé le régime d’Ali Bongo Ondimba est-il à cerner dans cette droite ligne. Ce changement opéré par l’élite militaire gabonaise s’effectue, comme on le sait, dans une structure militaire collégiale dénommée le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Ce Comité entend restaurer la dignité de l’État et reformer les institutions.

Ce faisant, n’est-il pas judicieux de questionner aussi le rôle des médias dans une période assez cruciale pour l’avenir du pays ? Dans ce chemin sinueux de la «transitologie», les médias seront-ils des acteurs passifs ou actifs qui œuvreront à l’avènement d’un véritable État de droit, c’est-à-dire un État dans lequel chaque détenteur d’une parcelle de pouvoir sera obligé d’agir dans l’intérêt du bien commun en ayant à l’esprit que le regard citoyen est posé sur chacune de ses actions ? Pour atteindre cet idéal, il faudrait qu’un changement fonctionnel s’opère et surtout que la restauration des institutions en question touche au secteur des médias.

En matière de transition politique, trois grandes phases sont significatives : la libération, la transition et la consolidation (Shin, 1994). De cette catégorisation, il convient de dire que l’ensemble des médias gabonais y compris les médias sociaux numériques ont traité au mieux l’actualité liée à la libération. Pour ce qui est de l’accompagnement dans la phase transitoire, il faut dire que les mauvaises habitudes ont l’art de s’enraciner (médias du service public). Il y a toujours cette forte institutionnalisation des actualités, confusion entre personnalisation et intérêt public des sujets traités. 

«Les médias ont l’obligation de revêtir le statut de vecteur de bonne gouvernance…»

D’ailleurs sur la toile «facebookienne» gabonaise, certains l’ont vite dénoncé : «Ils ont juste remplacé Ali par Oligui et le PDG par le CTRI.» Il faut surtout souligner que les rédactions des médias publics sont le plus souvent transformées en réceptacle des Prêts-à-diffuser (PAD) en provenance de la presse présidentielle, de la primature et d’autres institutions. Cette pratique est un frein pour le traitement de la matière informative. Elles sont très souvent réduites aux tâches de hiérarchisation des éléments. Or, cette période de transition met les médias en général et les médias publics en particulier face à plusieurs défis. 

L’un des premiers défis est lié aux nouveaux récits journalistiques, cadres filmiques et aux analyses à proposer aux téléspectateurs durant les comptes rendus des actualités présidentielles, institutionnelles etc. En effet, il y a un besoin de rupture évident et surtout une urgence à faire intervenir une nouvelle forme de scénarisation dans les mises en scènes des nouveaux détenteurs du pouvoir. 

Les défis sont donc nombreux pour le champ médiatique gabonais. Le dernier rapport du Corruption Index a classé le Gabon à la 177e position sur 196 Pays. Le constat est bien sûr alarmant. Depuis 2014, notre pays a malheureusement brillé dans sa chute libre dans les classements internationaux. Par conséquent, les médias ont l’obligation de revêtir le statut de vecteur de bonne gouvernance en dénonçant toutes les dérives autoritaires de tous les détenteurs de l’autorité publique. 

«Institutionnaliser le désaccord»

Un autre défi majeur est celui d’arriver à «institutionnaliser le désaccord» dans les formes discursives de l’espace public médiatique officiel tout comme dans l’espace public physique. C’est en quelque sorte l’esprit par excellence de l’espace public alternatif (Internet). Notre espace médiatique a souvent du mal avec le désaccord. Pour que les médias soient des acteurs véritablement pesants dans cette transition, ils doivent vivifier les désaccords non pas dans une intention conflictuelle, mais de telle sorte qu’ils soient des terreaux propices aux germes du nouvel État. 

Enfin, dans cette nouvelle ère numérique où le regard citoyen sur la gestion de la chose publique est accru, les médias se doivent d’être des thermomètres des dysfonctionnements et des garde-fous des libertés. Ces missions nobles passent nécessairement par la veille au respect du projet de restructuration de l’État et au calendrier de la transition d’une part ; et par la vigilance vis-à-vis des derniers soubresauts des adeptes d’un ordre ancien et aux fanatiques de la gérontocratie, d’autre part. 

C’est à cette condition que la confiance des Gabonais dans la «res-publica» sera restaurée. 

Par Marcy Ovoundaga. Enseignant-chercheur (Maître de conférences). Docteur en sciences de l’information et de la communication.

 

 
GR
 

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