Alors que le Gabon s’apprête à tourner une page cruciale de son histoire politique avec l’élection présidentielle du 12 avril 2025, Gyldas Ofoulhast-Othamot* interroge la véritable nature de cette transition et alerte sur les dérives autocratiques qui la guettent. Derrière le vernis démocratique du scrutin, il dénonce un processus marqué par les continuités du passé, un affaiblissement institutionnel préoccupant, et le risque d’une régression politique durable.

«À la veille du 12 avril, on assiste à un scénario grotesque, déjà visible depuis l’amorce de cette Transition mais récemment amplifié, où les bourreaux d’hier sont devenus les « démocrates » d’aujourd’hui et de demain», dixit Ofoulhast-Othamot. © GabonReview

 

Gyldas Ofoulhast-Othamot, Ph.D. (Associate Professor of Political Science, St Petersburg College, Florida, USA) © D.R.

Le 12 avril le peuple gabonais sera appelé aux urnes pour officiellement choisir, ou plutôt adouber, le prochain président de la République et mettre fin à la transition politique ouverte par le putsch des militaires gabonais au matin du 30 août 2023. Malgré l’absence de choix « réel » présenté aux électeurs et un débat politique mal orienté et monotone, le scrutin du 12 avril sera historique.

Ce sera la première fois depuis 1967 et le ticket Léon M’ba-Albert Bernard Bongo qu’aucun gabonais nommé Bongo (Ondimba) n’y prendra directement part.

À l’approche de la fin de la période transitionnelle et du 12 avril, quid du risque que l’histoire politique récente, et réel, du Gabon continue son élan autocratique et que, comme en 2009, la Transition de 2023 débouche sur autre chose que ce qui est officiellement souhaité ou déclaré ? Assurément, les mêmes causes produisant les mêmes effets, à un certain degré, une telle trajectoire, si elle venait à se réaliser, pourrait même à terme menacer la stabilité politique et cimenter la force comme moyen coutumier, et non pas exceptionnel, de conquête du pouvoir d’État. Autrement dit, une sorte de double régression politique.

Gâchis de transition aux conséquences immenses

Notre opinion sur les insuffisances de cette transition sont bien connues.

À propos du manquement principal de la Transition, à tout le moins à nos yeux, nous notions par exemple que «son leader se devait de la guider, rassurer la société gabonaise sur ses intentions futures, et montrer l’exemple pour demain». Montrer l’exemple signifiait mettre en place véritablement un cadre institutionnel et légal «objectif» qui permettrait à la république tout entière de s’organiser et de projeter son futur. Or, nous sommes bien loin de là.

À la veille du 12 avril, on assiste à un scénario grotesque, déjà visible depuis l’amorce de cette Transition mais récemment amplifié, où les bourreaux d’hier sont devenus les «démocrates» d’aujourd’hui et de demain. De la même manière, les désenchantés d’autrefois ont remplacé les anciens princes aux postes décisionnels, et ce «sang nouveau» paraît bien plus préoccupé à se substituer aux «seigneurs» de naguère qu’à sérieusement regarder de l’avant et, donc, envisager une autre fortune pour le pays.

À tort et à travers, la flagornerie ou la virulence des propos des uns et des autres semblent être à la mesure du gain de maintenant ou de la perte des privilèges d’avant.

Malgré le fait que l’Histoire ne soit aucunement linéaire, tout ce spectacle semble indiquer l’emprise et l’étreinte du passé. Dans cette optique, le moment venu le cadre institutionnel bancal et anachronique que laisse la Transition derrière elle ne tardera pas à montrer ses limites une fois passé le 12 avril.

Un projet constitutionnel anachronique à effet boomerang

Ces limites auxquelles nous faisons allusion ici sont bien visibles dans la Constitution adoptée en novembre 2024. Nul besoin de revenir en détail sur ses principaux éléments. On rappellera tout simplement que dans leurs desseins de maintenir leurs privilèges et cimenter la mainmise de leur champion au pouvoir à l’issue de la Transition, les conseillers du Prince auront failli de réaliser que « leur » Constitution de novembre 2024 ultimement contribuera à affaiblir l’institution présidentielle et, donc, « leur » président.

En effet, bien plus qu’avant, ce nouveau président de la République, maintenant seul maître à bord à partir de 2025, sera directement exposé à la vindicte populaire en cas de manquement de sa gouvernance. Dorénavant, il sera la cible directe de toutes les critiques légitimes ou illégitimes. Tous les projecteurs seront sur sa personne et ça le vulnérabilisera encore plus.

Le fusible traditionnel que représentait le premier ministre dans l’histoire postcoloniale du Gabon n’étant plus là pour le protéger, il n’y aura personne d’autre à vilipender et condamner pour les insuffisances de la gouvernance présidentielle. En pensant installer un exécutif fort, à rebours de ce qui était primordial, les initiateurs de ce projet de maintien au pouvoir coûte que coûte des acteurs majeurs de la Transition vont très vite déchanter face aux réalités de la gouvernance.

Dans un passé très récent, le potentat « Émergent » déchu l’aura appris à ses dépens. Qui ne souvient pas des débuts de règne de ce dernier en 2009 où on assista à un déplacement total du pouvoir exécutif vers le palais culminant en son temps en une « hyperprésidence », et ce au détriment aussi bien des intérêts de l’institution présidentielle que de la démocratie et du peuple gabonais tout entier.

Les résultats de cette concentration excessive de pouvoir sont bien connus de tous aujourd’hui.

Le faux choix faustien du 12 avril

Ici et là, on entend qu’il faut donner la chance aux militaires, à ceux qui auront fait tomber le potentat « Émergent » afin que, là où les civils auront clairement péché, ils établissent cet État de droit et une nouvelle gouvernance.

Cet argumentaire spécieux ne prend nullement en compte la question de savoir qui protègera la nation de ses ennemis intérieurs et extérieurs quand l’ennemi deviendra celui qui garde et qu’il utilisera la force au moment approprié pour mater toute contestation éventuelle ?

Mais la force ne résout pas tout en politique. C’est là le paradoxe du putsch du 30 août 2023.

Là où, pour le moment, il aura échoué à travers « sa » Transition à produire, ou à tout le moins engendrer, un cadre institutionnel civil, républicain, démocratique, et responsable, nonobstant ce qu’on entend ça et là, du fait de sa réussite, il aura démontré que l’on peut saisir le pouvoir par les armes au Gabon. En supposant que le chef de la junte devienne effectivement président de la République gabonaise après cette élection d’avril 2025, on peut aussi le conserver pleinement.

Ce scenario, lourd de conséquences pour la stabilité, le développement, et le futur de la république, devrait interpeller plus d’un.

Gyldas Ofoulhast-Othamot

* L’auteur enseigne au Department of Social and Behavioral Sciences and Human Services (SBSHS), St. Petersburg College, USA. Il a précédemment enseigné au Department of Political Science and International Studies, University of Tampa, USA et dans d’autres universités américaines. Il est l’auteur de plusieurs contributions aussi bien scientifiques que destinées au grand public sur la politique et l’administration en Afrique.

 
GR
 

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