Dans le sillage des tribunes articulées autour du thème principale «Quelle transition pour quelle restauration ?» à l’issue d’une réflexion collective et spontanée menée par de jeunes compatriotes (enseignants-chercheurs et observateurs de la situation sociopolitique du pays), Patricia Bouanga, docteure, enseignante-chercheuse en Humanités estime que «la nouvelle phase qui a commencé au soir du 30 août dernier ouvre la voie à la nécessité de refonder le rapport des Gabonais à la politique». Il faut donc s’engager, dit-elle dans sa tribune intitulée «De la nécessité de s’engager».

Il faudra développer l’adhésion aux valeurs humaines telles que la liberté, l’égalité, la créativité, la tradition, l’ambition, la justice, le travail, le patriotisme, le civisme, la solidarité (Illustration). © D.R.

 

Patricia Bouanga. © D.R.

«Ce sont les éléphants qui iront voter pour vous, puisque vous les protégez plus que nous les humains !» Cette phrase entendue en août dernier pendant le mouvement de protestation des femmes à Makokou ˗ lesquelles manifestaient contre la destruction de leurs plantations par les éléphants (espèce protégée qui regagne peu à peu les espaces d’habitation de l’humain dans la plupart des villages) ˗ est symptomatique de ce rapport à la politique, problématique à tous points de vue. Par cette perception biaisée et totalement dévoyée, le vote serait une sorte de monnaie d’échange entre les hommes politiques et le reste de la population. 

Voter non pas pour accomplir un droit et un devoir citoyens, mais pour obtenir, de la part des élus donc, qu’ils se souviennent du suffrage accordé, pour améliorer les conditions de vie des votants. Or la politique, est-il besoin de le rappeler, est de prime abord, selon le Robert du moins, «relatif à l’organisation, à l’exercice du pouvoir dans une société organisée». Ce qu’il convient simplement d’entendre par là, c’est cette idée que la politique, pour le dire de manière triviale, est l’affaire de tous. D’autant qu’elle concerne la gestion de la cité. 

En effet, l’individu lorsqu’il vient au monde, comme on le sait, s’affirme d’abord dans la cellule de base qu’est la famille. Ensuite, il grandit en partant de ce cercle restreint pour s’épanouir et s’accomplir pleinement dans la société en tenant compte ˗ autant que faire se peut, du moins devrait-il ˗ des règles qui régissent la vie en communauté. Justement, l’organisation de cette communauté implique tous les citoyens : non pas que tous soient amenés à faire de la politique au sens politicien du mot, mais bien parce que la politique impacte la vie de tous sans distinction aucune.  

Pour ce qui est du Gabon à proprement parler, la nouvelle phase qui a commencé au soir du 30 août dernier ouvre la voie à la nécessité de refonder le rapport des Gabonais à la politique. Du citoyen lambda à l’exégète, du citoyen politisé au moins politisé, il est d’une urgente nécessité de réconcilier le Gabonais avec ce qui le concerne au premier chef : la conduite des affaires publiques. D’autant que le système politique plébiscité, à savoir la démocratie, sous-tend l’idée d’une gestion équitable de la res-publica au sens latin (chose publique). 

Plus qu’une simple vue de l’esprit, les droits politiques et les libertés individuelles tels que disposés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 et la Charte nationale des libertés de 1990, ne devraient pas être ignorés des citoyens, quels qu’ils soient. De fait, la DUDH dispose, pour chaque humain, le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ainsi que le rappelle Jean-Marie Pontier (Droits fondamentaux et libertés publiques, 2022). Et précisément, à l’échelle nationale, la Constitution gabonaise de 1991 s’appuie sur ces principes fondamentaux indispensables à une meilleure organisation de la vie publique et politique.

Afin donc d’éviter le piège du désintérêt de la plus grande partie de la population ˗ savamment entretenu˗, il est plus qu’impératif de s’impliquer et de s’engager de sorte que la politique ne soit plus l’affaire de quelques-uns, mais qu’elle intéresse et implique le plus grand nombre. En cette période de transition amorcée, il est d’utilité publique que ceux qui sont censés éclairer les moins avertis effectuent ce travail en expliquant leurs droits, libertés et devoirs fondamentaux aux moins avisés.   

Qu’est-ce que l’engagement si ce n’est d’abord le lieu de l’action ? Pour peu que l’on soit concerné par les maux qui minent notre société, il est possible de prendre part à la construction de l’édifice nouveau auquel tous nous rêvons, en s’impliquant autant que faire se peut. Au vrai, l’engagement citoyen peut prendre plusieurs formes, à savoir le bénévolat, le vote, la participation aux consultations politiques, le militantisme, etc. Faut-il par exemple attendre que les pouvoirs publics mettent l’accent sur certaines problématiques telles que les crimes rituels, la corruption, l’insécurité grandissante, la violation des droits humains, l’insalubrité, l’égalité hommes-femmes, le respect de la dignité de la personne humaine, le respect de la vie privée, entre autres causes, avant d’en faire des causes primordiales à notre moindre échelle ?

Mais pour qu’il y ait ces élans d’implications volontaire et solidaire, il faut aussi que l’éducation soit au centre de la construction de l’individu-citoyen. Pour ce faire, les programmes scolaires devraient être continuellement révisés et actualisés. Dans ce sens, l’éducation civique et morale, l’histoire du Gabon, les libertés et droits fondamentaux, entre autres points, doivent faire l’objet d’un enseignement pointilleux et obligatoire. Le but étant de donner aux jeunes gabonais une base qui permette de se sentir citoyens à proprement parler, et, donc, plus prompts à être sensibles à la gouvernance et la conduite des affaires qui concernent chacune et chacun. Les intellectuels en l’occurrence, en tant que tels, ne devraient pas rester en marge de ce tournant.

Il faut plus que d’ordinaire, passer de l’intellectuel «vouvouzéleur» ˗ entendu ici comme un laudateur, chantre prompt à défendre bec et ongles les louanges du prince ˗ à l’intellectuel ‘‘utile’’ et ‘‘ digne’’ dont l’objectif ultime n’est guère plus de se voir à tout et n’importe quel prix attribuer un poste de conseiller politique ou autres nominations du genre. L’intellectuel est, au besoin, celui qui s’engage ˗au sens sartrien˗ dans l’espace public. À ce sujet effectivement, l’élargissement de l’espace public avec l’avènement des médias sociaux numériques aujourd’hui aide à imprimer cette marque d’engagement susceptible de toucher le plus grand nombre, notamment la frange la plus jeune du pays. Il faut donc investir ces lieux en s’engageant, chacun à sa manière, à son niveau. L’engagement observé par nombre de collectifs sur Facebook, X, Tiktok, WhatsApp, entre autres plateformes numériques, depuis 2009 déjà pour les plus anciennes, devrait continuer de s’élargir pour aider à conscientiser la jeunesse la moins sensible à ces questions.

Ces espaces démocratiques par excellence, pour emprunter une idée à Dominique Cardon (La démocratie Internet, 2010), sont l’un des meilleurs canaux où s’exprime aujourd’hui l’engament citoyen. Celui-ci pourrait ainsi passer du virtuel à sa matérialisation au travers des collectifs et des partis politiques ˗ pour les plus politisés ˗, de la société civile, des associations apolitiques, des ONG entre autres, pour les autres. C’est cet engagement, forgé par une conscience de l’individu-citoyen ˗ grâce à l’éducation˗ qui aidera en partie à sortir de ce ‘‘yayisme destructeur’’. Issu du nom ‘‘yaye’’ qui signifie ‘‘grand’’ en Yipunu, le «yayisme» est en effet cette tendance à courber l’échine devant tout détenteur d’un pouvoir financier. Le «yayisme» fait le lit de la corruption, de la servilité puisqu’il favorise cette autre bizarrerie gabonaise nommée le ‘‘ kounabélisme’’˗ qui a conduit le Gabon à ce niveau de déliquescence avancée. Le but ici n’étant plus de tromper le peuple, c’est-à-dire d’obtenir de lui «qu’il tourne le dos à ses propres intérêts» (Jean-Paul Sartre, Plaidoyer pour les intellectuels,1972), mais de faire de lui un citoyen actif.  

Remettre les valeurs au centre de l’éducation en refondant le système éducatif gabonais est d’autant plus nécessaire que la mise en relief de ces fondamentaux aidera à développer l’adhésion aux valeurs humaines telles que la liberté, l’égalité, la créativité, la tradition, l’ambition, la justice, le travail, le patriotisme, le civisme, la solidarité, etc. 

Par Patricia Bouanga, Docteure, enseignante-chercheuse en humanités (étude des dynamiques de création culturelle dans leurs dimensions matérielles et imaginaires/ Littérature & Arts). 

 
GR
 

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