Le renversement d’Alfa Condé par les militaires est tout sauf une bonne nouvelle pour la consolidation de la démocratie en Afrique. Même en prétendant agir pour le salut de la nation, l’intrusion de l’armée en politique est hautement blâmable. Mais elle est surtout révélatrice de la complicité malveillante entre les autocrates et les Chefs militaires. Et si le moment était venu de remettre nos armées à leur place véritable, interroge Michel Ndong Esso. Déjà publié sur Gabonreview, celui-ci est professeur certifié de philosophie et secrétaire général adjoint de l’Entente Syndicale de l’Éducation nationale (ESEN) chargé de l’Enseignement Secondaire.

C’est au nom du peuple et pour mettre fin à sa misère que leurs bourreaux prétendent agir. Le Chef militaire a les attraits de ‘l’homme providentiel’, celui auquel on fait exceptionnellement recours pour rétablir le salut de la nation. © francetvinfo.fr

 

L’assaut lancé le 05 septembre dernier par les Forces Spéciales guinéennes contre le Président Alpha Condé vient alourdir le sombre palmarès de l’Afrique en matière de coups d’Etat. En renversant le pouvoir, Mamady Doumbouya et ses hommes consolident la longue tradition du putsch-thérapie, selon l’expression d’Alex Fridolin Kitio. Cette tradition vieille comme les indépendances qui veut que les militaires se substituent au suffrage universel en tant qu’arbitres du jeu politique.

Loin d’être un cas isolé, cette accession au pouvoir par les armes est solidaire du recul du droit et de la démocratie dans cette sous-région, au-même titre que les deux coups d’Etat successifs au Mali. Mais si la fréquence des putschs inquiète les défenseurs de l’ordre constitutionnel, elle amène surtout à réinterroger les liens étroits qui existent en Afrique de l’Ouest entre le pouvoir et l’armée. Comment des régimes autocratiques s’appuyant sur la répression militaire sont-ils devenus la cible de leurs propres armes ?

Nous tenterons d’éclairer cette interrogation en mettant en exergue les risques liés à la politisation de l’armée (I) et à la militarisation du pouvoir (II) avant de montrer la nécessaire rationalisation des forces de défense et de sécurité (III)

I. La politisation de l’armée

La recrudescence des coups de feu aux abords des palais présidentiels établit de manière claire un fait : les armées africaines sont de plus en plus partisanes. Loin du principe de neutralité qui les sous-tend, elles sont politiquement manipulées sinon instrumentalisées. Cette manipulation est d’ordre géopolitique, lorsque, par exemple, la question des quotas ethniques influence les modes de recrutement et de cooptation des élites militaires. C’est précisément l’avis du Professeur Emile Ouédraogo du Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique. Il pense que la structure des forces armées dans de nombreux pays africains est encore fondée sur des considérations ethniques et tribales. Autrement dit, elles sont formées pour sécuriser les acquis d’une région, d’une ethnie ou d’un personnage politique.

Au-delà de la coloration ethnique, l’instrumentalisation des armées africaines est aussi d’ordre économique. Comme le reste de l’administration publique, les forces de défense et de sécurité ne sont pas épargnées par la corruption. Proches des hommes des palais, les élites militaires bénéficient généralement des largesses du pouvoir. Des lignes budgétaires hors-normes et un accès incontrôlé aux ressources extractives leur sont garantis en contrepartie d’un soutien total. Ainsi, tous les régimes autocratiques s’appuient en premier sur la bienveillance de l’armée. D’ailleurs, les palais présidentiels d’Afrique de l’Ouest ont la réputation d’être imprenables, ne serait-ce que par la taille des effectifs et les niveaux d’équipements des gardes présidentielles et autres forces spéciales consacrées à la sécurité des Chefs d’Etats. A titre indicatif, le RSP du Burkina Faso comptait en 2O15 pas moins de 1300 soldats dans ses rangs, soit 1/10è des effectifs militaires à l’échelle nationale, là où la seule Garde Républicaine ivoirienne culmine à 2500 individus au sein d’une armée de 22000 âmes. Difficile de faire mieux.

Mais cette manipulation de l’armée à des fins politiciennes a un prix. Elle est selon Ouédraogo la principale cause du manque de professionnalisme tant décrié des forces de défense et de sécurité africaines. Dans le pire des cas, elle a servi de caution à de graves exactions voire aux crimes contre l’humanité lors des répressions.  Or, à force de s’attacher les faveurs de l’armée, le pouvoir finit par appâter les militaires.

II. La militarisation du pouvoir

La proximité entre le pouvoir et l’armée prend une autre tournure lorsque les soldats se laissent tenter par l’aventure politique. Cette tentation a gagné un grand nombre de Chefs de militaires dès les premières heures des indépendances africaines. Entre 1960 et 1970, près d’une trentaine de putsch ont été perpétrés dont une dizaine pour la seule année 1968. Souvent, les velléités politiques des hommes en treillis se nourrissent des dissensions au sein du pouvoir ou surfent sur les contestations populaires. La plupart des Chef d’Etat délogés ou qui ont failli l’être ont été affaiblis par les crises socioéconomiques. Ce fut le cas d’Ibrahim Boubacar Kéita il y a un an et plus récemment d’Alpha Condé. C’est d’ailleurs au nom du peuple et pour mettre fin à sa misère que leurs bourreaux prétendent avoir agi. Ici, le Chef militaire a les attraits de ce que Philippe Vial appelle, non sans ironie, « l’homme providentiel« , celui auquel on fait exceptionnellement recours pour rétablir le salut de la nation.

Sauf que les renversements de pouvoir par les armes sont rarement bénéfiques aux populations et à la démocratie. Ce n’est pas le constitutionaliste Alexis Essono Ovono qui dira le contraire. Lui qui fait remarquer avec justesse, dans Armée et Démocratie en Afrique, que les militaires se sont révélés souvent pires que le mal qu’ils dénonçaient. De par leur caractère anticonstitutionnel, les coups d’Etat marquent l’irruption de la violence dans le jeu politique en même temps qu’ils sabotent les fondements de l’unité nationale. Au lieu de déraciner la corruption et la mal gouvernance, ils les enracinent davantage dans la perspective d’un pouvoir incontrôlé et excessif. Alex Fridolin Kitio a donc raison en parlant de l’Illusion de la putsch-thérapie. D’ailleurs, les pays à forte tradition de coups d’Etats sont aussi ceux qui connaissent un indice de développement des moins élevés en Afrique. Là aussi, les Etats de la CEDEAO font figure de mauvais exemples.

III. La rationalisation des forces de défense et de sécurité

Au regard de ce qui précède, il est clair que la proximité entre le pouvoir et les soldats fait courir aux Etats africains un grand danger. En lui assignant des prérogatives en dehors du champ constitutionnel, on fini par dresser l’armée contre les institutions de la république et la démocratie. A ce jeu, le peuple est bien évidement le grand perdant, comme le fait remarquer une fois de plus Alexis Essono Ovono: «Alors que le peuple désire la paix et la stabilité, l’armée, elle, cherche la guerre et la confrontation dont elle espère tirer profit.» L’Etat-caserne est bel bien une entrave au vivre ensemble.

Il y a donc une urgence à rationaliser les armées africaines. Cela passe aussi bien par la maîtrise des effectifs et des moyens que par une redéfinition des objectifs. Certes, la montée des groupes extrémistes menace la sécurité de la quasi-totalité de l’Afrique subsaharienne et nécessite de ce fait une réponse militaire efficace. Mais l’expérience montre que des soldats surarmés et mal formés peuvent se retourner contre leurs propres citoyens voire leurs propres Chefs. Les images d’Alpha Condé aux mains des éléments des Forces Spéciales guinéennes sont encore vives dans tous les esprits. Au-delà des dialogues nationaux inclusifs, elles requièrent une réaction des institutions sous-régionales qui ne doivent plus se limiter à condamner et à désapprouver. La CEDEAO, organisme international le plus concerné par les coups d’Etat, doit user des moyens dissuasifs tant économiques que militaires. Si elle peut se doter des outils d’une véritable diplomatie préventive, ce ne sera qu’au bénéfice de la démocratie.

Michel Ndong Esso

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Michel Ndong Esso est un analyste politique. Titulaire d’une maîtrise en philosophie politique (Paix et guerre) et diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Libreville, il enseigne la philosophie au Lycée National Léon Mba de Libreville. Il est par ailleurs Secrétaire Général adjoint de l’ESEN, organisation syndicale affiliée à la COSYGA.

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GR
 

3 Commentaires

  1. ULIS dit :

    En tout cas, au Gabon, ils n’ont JAMAIS été avec le peuple. JAMAIS !!!

  2. Lavue dit :

    Et quand les règles démocratiques sont systématiquement violées, les institutions inféodées au régime en place et les protestations sévèrement réprimées, souvent dans le sang. On fait quoi?
    L’important ce sont les hommes qu’il soient civiles ou militaires. Quand des imbéciles en civile confisquent bec et ongle le pouvoir en modifiant les règles comme ils le veulent, en jetant en prison les opposants politiques, et en maintenant la population dans une misère croissante et bien l’armée qui est la seule force capable de mettre fin à ces recules est bien droit d’agir, car très souvent il n’ y a pas d’autres alternatives possibles.

    Je vous rappelle que le développement de la Corée du Sud, aujourd’hui véritable puissance économique asiatique a été pensée, mise en place et réalisée par un junte militaire. Un autre exemple proche de nous, le Ghana, ce pays a été mis sur les rails de la démocratie par feu le Capitaine Jerry bRAWLINGS. Après s’être rendu compte que les politiques avait compris l’importance du jeu démocratique dans le développement d’un pays, il s’est retiré et a laissé place aux civiles. Aujourd’hui on voit tous comment l’alternance, utile à toute avancée, s’opère de manière démocratique dans ce pays.

    La question est de savoir si seuls les coups d’état exécutés par les militaires sont mauvais. Et bien non, tout coup d’état, civil ou militaire est néfaste au progrès et à l’émancipation des peuples. Mais le constat fait depuis les année 1990, c’est que les civiles sont simplement incapables de jouer le jeu démocratique, et cela depuis plus de 30 ans. Doit-on continuer à laisser faire? Bien sûr que nous.

    La plupart des coups militaires perpétrés sont salutaires pour les populations et c’est ça l’essentiel.
    On ne peut pas continuellement se cacher derrière le masque du civile pour perpétrer des coups d’état constitutionnels et retarder l’avancée des pays. Il reste aux militaires de s’inspirer des exemples de réussite économique et sociale suite à la prise de pouvoir par une junte militaire. Ca fera asseoir leur crédibilité.

    Après tout il n’existe un modèle unique pour parvenir au développement et au bien être de son peuple. Le parti communiste Chinois a bien fait de la Chine la deuxième puissance économique mondiale, alors qu’on est dans un monde où ne nous vante que le modèle capitaliste.

    • Ndong Esso Michel dit :

      Votre point de vue est à prendre en compte. Il n’est pas impossible que les militaires dégagent une approche citoyenne du pouvoir et J’espère que vos arguments sont irréfutables. Mais mon propos consiste surtout à décourager les coups d’État en dénonçant les relations incestueuses entre l’armée et le pouvoir. Une autre manière d’appeler à la restauration de l’État de droit, qui comme on le sait est le circuit conventionnel de la démocratie.

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