Estelle Ondo, ancienne ministre et députée de la 13e législature au Gabon, récemment couronnée « Femme d’impact en politique » lors des Africa Women’s Awards à Yaoundé, interroge l’avenir économique de l’Afrique. Dans cette tribune publiée sur Gabonreview, elle examine la nécessité d’autonomiser économiquement les femmes africaines, un potentiel encore sous-exploité malgré les initiatives existantes. Comment transformer les petites entreprises dirigées par des femmes en puissants moteurs économiques du continent ? Quelles politiques doivent être mises en place pour surmonter les obstacles spécifiques auxquels ces entrepreneures sont confrontées ? L’auteure propose des pistes concrètes pour relever ces défis, soulignant l’urgence d’un cadre légal incitatif et d’une meilleure structuration du soutien financier.

Les femmes africaines représentent un potentiel de production économique encore largement inexploité. © Freepik 

 

Estelle Ondo, ancienne ministre et députée gabonaise. © Image personnelle

Dans le contexte actuel de la mondialisation, la question de la compétitivité économique de l’Afrique sur la scène internationale est plus pressante que jamais. Avec une part de seulement 2 % du commerce mondial, l’Afrique doit transformer ses ressources locales en valeur ajoutée pour créer une véritable dynamique économique. La Journée internationale de la femme africaine (JIFA), célébrée le 31 juillet, rappelle l’importance de cette transformation. À cette occasion, lors de la conférence Africaine de Leadership Féminin à Brazzaville, j’ai pu m’exprimer sur le thème «Améliorer la compétitivité de l’Afrique en renforçant le leadership féminin dans la production économique». Une dimension souvent négligée est le rôle crucial des femmes dans ce processus. L’approche genre, loin d’être un simple levier social, est en réalité une stratégie économique puissante.

Les femmes africaines représentent un potentiel de production économique encore largement inexploité. Pour libérer ce potentiel, il est nécessaire de transformer les toutes petites entreprises, coopératives, et PME dirigées par des femmes en de véritables entreprises capables de produire à un rythme industriel et d’exporter. Selon la Banque mondiale, en intégrant ce potentiel, le PIB de l’Afrique pourrait augmenter de 2 500 milliards de dollars en quelques années. Ce chiffre met en évidence l’urgence d’investir dans les femmes, non seulement pour des raisons de justice sociale, mais aussi pour assurer un avenir économique prospère et équitable pour le continent.

Malgré les statistiques encourageantes qui positionnent l’Afrique comme ayant le plus grand nombre de femmes entrepreneures, ces femmes doivent souvent surmonter des obstacles spécifiques, notamment l’accès au financement, selon la Banque Mondiale, il y a un gap de financement de 1000 milliards de dollars pour les femmes et si elles entreprenaient au même rythme que les hommes, c’est 6000 milliards de dollars que  l’économie mondiale allait gagner. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les femmes manquent de zèle, elles aspirent réellement à l’entrepreneuriat comme moyen d’émancipation économique.

L’information et la formation sont au cœur du problème. Les femmes doivent être mieux informées des opportunités économiques dans des secteurs à forte valeur ajoutée, comme l’industrie, les mines, ou l’agro-industrie, qui vont au-delà des stéréotypes traditionnels des « métiers de la femme ». De plus, il est crucial de renforcer les capacités des femmes entrepreneures en matière de gestion d’entreprise et de financement, de promouvoir le partage d’expériences, et de développer l’entrepreneuriat numérique.

L’Union Africaine qui a dédié la décade 2010-2020 à la promotion de la femme, le Gabon  a aussi emboité le pas en décrétant la décennie 2015-2025 comme étant celle de la femme. Le Gabon a pris des mesures significatives pour promouvoir l’autonomisation économique des femmes.  En effet, La « Décennie de la Femme 2015-2025 » a instauré une prise de conscience nationale et a conduit à plusieurs réformes législatives favorisant l’égalité des sexes. Des initiatives telles que le programme GRAINE ont permis d’accroître la production agricole et de réduire la pénibilité du travail pour les femmes rurales, avec 64% de femmes impliquées dans les coopératives.

De plus, le Fonds National de l’Action Sociale (FNAS) a investi massivement dans les microcrédits pour les femmes, notamment celles issues de populations autochtones ou vivant avec un handicap. Selon la Banque Africaine de Développement, 28% des 5 000 entreprises créées chaque année au Gabon sont dirigées par des femmes, une avancée notable.

Pour amplifier ces progrès, il est essentiel de mettre en place des politiques qui encouragent spécifiquement l’entrepreneuriat féminin.

  • La création d’un Guichet entreprise femme (GEF) dans chaque pays africain. Ses missions seraient d’approcher et cibler les femmes au chômage voulant entreprendre, les femmes propriétaires de toute petite entreprises (TPE), de PME/PMI afin de mieux les recevoir, les former, les financer et booster leur potentiel commercial ou industriel ;
  • L’adoption d’un cadre légal incitatif spécialement dédié pour l’entrepreneuriat des femmes.

En plus des dispositifs existant d’incitation à l’entrepreneuriat national, ce cadre va aller plus loin encore en mettant en place des mécanismes supplémentaires pour les entreprises des femmes : facilitations administratives, fiscales et douanières, un taux de marchés publics obligatoire réservé aux entreprises des femmes. Ce cadre devrait également obliger la sous-traitance avec les entreprises des femmes (BTP, services, etc.) avec les majors et leur réserver l’accès aux zones économiques nationales afin d’espérer avoir à terme des PME/PMI de femmes exportatrices ; ou encore des postes clés dans les directoires des grandes entreprises publiques ou sociétés privées ;

–    L’ouverture de lignes de financements par les partenaires au développement en direction des ONG, associations, coopératives, TPE, PME/PMI contrôlées à 60-70% par les femmes dans ces secteurs cibles, afin de conforter les établissements de micro finance à s’ouvrir aux risques des coopératives, TPE, PME/PMI dirigées ou contrôlé par les femmes ;

– Enfin, l’opérationnalisation des observatoires économiques des femmes pour mieux collecter chaque année les informations statiques sur le chômage, l’entreprenariat, les financements et les chiffres d’affaires des coopératives, TPE, PME/PMI des femmes afin de disposer de données fiables sur l’apport productif des femmes et mieux réorienter les politiques et soutiens spécifiques.

Estelle ONDO, ancienne ministre et députée gabonaise.

 
GR
 

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