Figure marquante de l’histoire politique du Gabon, Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé est l’objet d’une omission officielle vraisemblablement délibérée. Dans cette tribune libre incisive parue dans le quotidien L’Union le 24 mai dernier, le Dr Henri Sene Inguéza*, explore cette exclusion inexplicable. Mettant en lumière les contributions inestimables du disparu et soulignant l’importance de ne pas oublier ceux qui ont tant donné pour la nation, il appelle à rendre justice à l’héritage et aux accomplissements de cet illustre compatriote, premier président de l’Assemblée nationale multipartite et fervent défenseur des traditions gabonaises.

Jules Aristide Bourdès Ogouliguende, de son vivant. «Être relégué au seul subconscient de quelques initiés constitue un manquement grave de la part des oublieux de la République qui commettent par la même occasion un parricide post-mortem », dixit Sene Inguéza. © GabonReview (Montage)

 

Le Dr Henri Sene Inguéza, Député de la 11ᵉ Législature, secrétaire général du Congrès pour la Démocratie et la Justice (CDJ). © D.R.

Depuis l’avènement du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) le 30 août 2023, il ne se passe pas un jour sans que la parole exprimée par les autorités politico-militaires ne ramène à la mémoire vive collective les noms des personnalités gabonaises ayant marqué par leur engagement politique et leur esprit patriotique, assortis de sacrifices indéniables, la vie de la nation en vue de parvenir à un meilleur vivre-ensemble qui prenne en compte l’amélioration des conditions morales, spirituelles et matérielles de tous les citoyens.

Cette initiative, au demeurant louable, laisse néanmoins transparaître quelques distorsions. En cela, nous nous posons la question ci-après : si tant est que les saints, c’est-à-dire les personnes ayant consacré leur vie au rayonnement de l’Eglise catholique et, partant, à la mission hautement christique de porter l’Evangile aux quatre points cardinaux ne sont pas mentionnées à chaque célébration eucharistique, peut-on imaginer un seul instant une litanie des saints qui, délibérément, omettrait de citer Saint Pierre ? A mon humble avis, le prêtre qui oserait commettre pareille outrecuidance court le risque de susciter le courroux de tous les fidèles.

Revenant à notre Landernau politique, nous constatons, pour le déplorer, l’omission volontaire de la part de nos autorités politiques du nom d’un des illustre et digne fils du Gabon, à savoir Monsieur Jules Aristide Bourdès Ogouliguendé, affectueusement appelé JABO. A ce propos, sans remettre en cause l’importance du rôle joué par les uns et les autres, doit-on considérer que Monsieur Ndouna Depenaud ou d’autres, régulièrement cités, méritent davantage d’être ramenés à la mémoire historique par rapport au premier président l’Assemblée nationale multipartite issue des élections législatives de 1990 ?

Non seulement JABO est oublié des discours officiels ; mais, pire, il ne figure nullement sur l’image en permanence diffusée à la télévision nationale et qui présente un concentré des grandes figures socio-politiques de notre pays. Il convient de rappeler que l’image, mieux que les mots, s’imprime durablement dans la mémoire de celui ou celle qui la visionne.

Pour mémoire, les politiques d’hier et d’aujourd’hui se rappellent que pour son amour inconditionnel du pays, l’ancien secrétaire général du CDJ fit montre d’un courage inouï en démissionnant de l’Assemblée nationale dont il était le président et constitutionnellement la deuxième personnalité de la République en 1993. A n’en point douter, il fallait faire preuve du don de soi au nom de l’intérêt général hautement placé au-dessus de l’égoïsme qui amène certains hommes politiques à ne privilégier que leur carrière au détriment du devoir d’exemplarité qui doit être l’évangile de tout Homme politique au service du peuple et donc de la nation.

Très tôt, JABO pris la noble décision de ne point être comptable du marasme social économique vers lequel le Gabon se dirigeait inéluctablement. La suite des évènements ne lui a-t-elle pas donné raison ? Pour ses qualités intellectuelles, il était porté haut en estime par feu Omar Bongo Ondimba, deuxième président de la République gabonaise. C’est à ce titre qu’il lui confiera plusieurs missions importantes au début de son magistère dans les années 70 dont celle de concevoir l’ossature institutionnelle du pays, seul gage d’un fonctionnement moderne de toute les institutions républicaines.

Cette œuvre patriotique, JABO l’a menée avec le concours précieux des personnalités telles que feu Etienne Moussirou, feu Léon Bekongo Augé ; Henri Minko et Jean-François Ntoutoume Emane, tous deux encore vivants. Et, la première de ses missions aura été d’organiser l’appareil judiciaire du Gabon. Son professionnalisme, empreint de rigueur, l’amena à franchir tous les paliers du ministère de la Justice, jusqu’à être le premier à atteindre le grade de magistrat hors hiérarchie.

Toute au long de sa vie, il a incarné un homme enraciné dans sa culture traditionnelle ancestrale dont il tirait tous les avantages propres à l’épanouissement spirituel et moral, au point de refuser d’être adepte des philosophies importées. JABO s’est toujours fait un point d’honneur à placer les intérêts supérieurs de la Nation au-dessus des siens propres. Ceux et celles qui l’ont côtoyé à la chambre judiciaire, au gouvernement quatorze ans durant, à l’Assemblée nationale, au Conseil national de la Démocratie (CND) et, pour finir, dans l’opposition démocratique, peuvent en témoigner.

Nous estimons qu’égrené sur ces quelques lignes, l’héritage légué à la postérité par le président Ogouliguendé peut s’avérer être un exercice à la fois incomplet et tout aussi fastidieux. C’est la raison pour laquelle nous nous bornerons à rappeler qu’il fut un fervent défenseur et adepte des rites et traditions gabonaises. Le CTRI, qui en a fait une de ces priorités, aurait trouvé en lui un allié authentique et de taille.

Sur le plan administratif, l’histoire retiendra que l’ancien ministre de la Fonction publique qu’il était, initia le premier recensement des fonctionnaires en 1981. Cette vision avant-gardiste a fait de lui un pionnier sur une question qui n’a toujours pas trouvé solution à ce jour.

En sa qualité de ministre de l’Enseignement supérieur, il fut le concepteur et le coordonnateur de la création, de la construction à la livraison, de l’Université des sciences et techniques de Masuku (USTM).

Au sein de l’Opposition gabonaise, et très soucieux de voir se constituer une force politique solide et crédible à même de donner le change au parti dominant au pouvoir d’alors, JABO milita sans relâche pour la mise en place de regroupements des forces du changement devant aboutir à l’alternance démocratique : GPPO, UFA, UFC, S23…

Nous sommes en droit de considérer que son testament politique, consécutif à son combat, restera son idéal pour une démocratie véritable et la justice sociale pour tous. Cette idée est à l’origine de la création du parti qu’il a dirigé jusqu’à sa mort : le Congrès pour la démocratie et la justice (CDJ). Sa farouche volonté de voir triompher la justice sociale véritablement égalitaire, lui valut jusqu’au soir de son passage sur la terre des hommes d’être régulièrement consulté par les hommes politiques, tous bords confondus, dont Omar Bongo qui, en homme clairvoyant, avait décelé en lui les qualités d’un homme sincère, honnête et foncièrement patriote.

Appelé à cet effet à donner son avis sur la création de la Cour constitutionnelle et eu égard aux prérogatives quasi illimitées que lui conféraient les textes règlementaires, JABO dira à Omar Bongo : « Monsieur le Président, vous venez de créer un monstre ». Nous étions en 1991. La suite, chaque Gabonais la connaît et l’a vécue dans sa chair !

Être relégué au seul subconscient de quelques initiés constitue un manquement grave de la part des oublieux de la République qui commettent par la même occasion un parricide post-mortem.

Par le *Dr Henri SENE INGUÉZA

Député de la 11e Législature, secrétaire général du CDJ

 
GR
 

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