[Tribune] Faut-il brûler le Code du travail gabonais ?
Le Gabon étant à l’aube d’une refonte institutionnelle, les débats sur le futur du pays se multiplient, notamment en ce qui concerne les relations de travail. Universitaire et avocat déjà publié dans GabonReview, Augustin Emane*, explore ici la nécessité d’une réforme profonde du Code du travail gabonais. Il s’interroge sur les critiques envers la législation actuelle et la dynamique unique du dialogue social dans le pays, où les syndicats, plutôt que le patronat, appellent à une révision radicale. L’universitaire examine les fondements historiques du Code, ses évolutions récentes, et propose une analyse des défis et opportunités d’une telle transformation législative.
En ces temps annoncés de restauration des institutions, les idées foisonnent et les propositions fusent s’agissant de l’avenir du pays. La remise à plat est désormais l’exigence qui s’impose à tous. On peut la résumer par cette formule : il faut si possible brûler l’existant pour faire germer ce qui favorisera notre essor vers la félicité. Les relations de travail ne sont pas épargnées par cette dynamique.
Au lendemain du coup d’Etat du 30 août 2023, nous décrivions le panorama suivant qui se donnait à voir sur les écrans de télévision : (…) on peut relever trois types de situations que l’on peut détailler ainsi : les violations flagrantes de la législation du travail ; les situations en souffrance depuis de nombreuses années ; les demandes jamais satisfaites intégralement ou partiellement, et que l’on pensait à jamais prescrites » (A. Emane, « De la tentation du Père Noël au risque de désillusion », 19 septembre 2023, https://gabonmediatime.com/augustin-emane-la-liberte-dexpression-sest-imposee-au-sommet-du-pantheon-gabonais-depuis-le-coup-detat/ ; https://www.gabonreview.com/tribune-de-la-tentation-du-pere-noel-au-risque-de-desillusion/).
Dix mois plus tard, on est passé de l’application du code du travail à son toilettage, puis, à la lecture des conclusions du Dialogue National Inclusif, à une « révision tripartite de tout ou partie » de cette législation. Dans une sortie en date du 31 mai 2024, le premier responsable de la COSYGA révélait même un chronogramme avec création d’une commission ad hoc qui réécrivait le Code du travail avant de le mettre en forme, de l’adopter en plénière et le transmettre aux autorités (Panafrik médias, 1er juin 2024, https://www.facebook.com/panfrik/videos/727370239387445). Quelques jours plus tard, le 3 juin 2024, nous étions interpellés par ce titre de la Revue en ligne Gabon Review : « Gabon : vers l’élaboration d’un Code du travail de préférence nationale ? » (https://www.gabonreview.com/gabon-vers-lelaboration-dun-code-du-travail-de-preference-nationale/). Cette formulation, au demeurant absconse, illustre parfaitement l’ensemble des débats qui nous intéressent ici. Quid de ce code du travail de préférence nationale ? Il y aurait alors plusieurs codes du travail pour que l’on se risquât à cette audace conceptuelle ? L’actuel code du travail serait donc de préférence étrangère ? Bien malin serait celui qui pourrait répondre à ces questions ! Mais au-delà de ces choix journalistiques, il y a dans le corpus de l’article, les propos suivants qui sont lourds de conséquences : « les nouvelles autorités du Gabon se sont dites favorables à l’élaboration d’un nouveau Code du travail deux ans après la publication de la dernière mouture pourtant relue et corrigée. Le futur document sera plus protecteur des intérêts des travailleurs nationaux, annonce-t-on déjà ».
Au vu de ce qui précède, il s’annoncerait une réforme du Code du travail imminente, justifiée par un certain nombre de griefs plus ou moins avérés. Certes, la loi du 19 novembre 2021 n’est pas exempte de critiques loin de là, et dans des publications à venir nous aurons l’occasion de pointer du doigt nombre d’entre elles. Pour autant, ceux qui sont prêts à craquer leurs allumettes sur l’actuel code se contentent, dans un discours globalisant et parfois fumeux, de dire que celui-ci n’est pas applicable ou ne protège pas les intérêts des travailleurs gabonais. Il y a du reste une particularité que l’on ne peut pas manquer de relever ici, c’est le fait que contrairement à ce que l’on observe ailleurs où c’est le patronat qui est le plus grand pourfendeur de la législation du travail, au Gabon, ce sont les syndicats de travailleurs qui exigent coûte que coûte sa réécriture. C’est cette singularité qui nous a convaincu d’apporter notre contribution à ce débat. L’autre raison tient à une observation empirique, et qui est le recours à beaucoup d’approximations et à la difficulté de désigner réellement ce qui devrait être changé dans la législation du travail. Le « faut qu’on » ou le « y’a qu’à… » tiennent lieu d’arguments d’autorité, sans que l’on évoque l’évaluation du texte incriminé.
Ayant commis un certain nombre de publications sur le droit du travail au Gabon, et n’étant pas à ce titre, insensible à tout ce qui touche à cette matière, ma démarche consiste dans un premier temps à poser le cadre normatif des relations de travail au Gabon, avec les législations de travail dans la continuité desquelles se situe le code de 2021. Dans quelles conditions a-t-il été adopté et quelles sont ses grandes lignes ? Ensuite, il conviendra de s’interroger sur ce qui pose problème dans ce code au point de souhaiter qu’il soit réduit en cendres. Dans un dernier temps, qui ne sera pas à l’avantage des pourfendeurs du code, nous verrons que ces derniers portent une grande responsabilité dans ce qu’ils dénoncent par ailleurs.
I. Le Code du travail gabonais, une fidélité au Code de 1952
Après avoir été annoncé pendant de nombreuses années (Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique, du Travail et de la Formation professionnelle, Le projet de réforme du Code du travail expliqué au grand public, Libreville, 2021), le quatrième code du travail gabonais depuis l’Indépendance est devenu effectif, avec la promulgation de la loi n°022/2021 du 19 novembre 2021, succédant ainsi à ceux de 1962, 1978 et 1994.
Dans un contexte fortement impacté par les importants changements politiques intervenus le 30 août 2023, les critiques ne manquent pas, et de nombreuses conséquences y sont attachées telles que : la multiplication des revendications et le risque d’apparition de potentiels foyers de conflits collectifs, la remise en cause d’un certain nombre de dispositions de la présente loi (quand ce n’est pas son intégralité) aussi bien par les syndicats que par les organisations patronales. Pour les premiers le consensus n’aurait pas prévalu, pour les autres, il aurait fallu (et il faudra) aller plus loin dans la flexibilisation (sans d’ailleurs que ce terme soit clairement précisé) et les mesures favorisant une meilleure employabilité.
S’agissant de leur temporalité, les dispositions de notre code s’inscrivent dans une histoire déjà ancienne de la codification du droit du travail au Gabon. Comme dans tous les pays francophones d’Afrique, et même si des tentatives avaient été enregistrées auparavant, il faut en situer l’origine effective en 1952 avec la loi n° 52-1322 instituant un Code du Travail dans les Territoires d’Outre-Mer et Territoires associés (CTTOM).
L’accession à l’indépendance le 17 août 1960 n’a pas vraiment modifié la donne pour les relations de travail. Il est en effet difficile de trouver de réelles différences entre la loi n° 88/61 du 4 Janvier 1962 instituant un Code du travail en République gabonaise et le CTTOM, à part quelques inversions de numérotation, mais dont les contenus ne changent pas. Par la suite, ce code a été réformé avec les lois n° 5/78 du 1er juin 1978, n°3/94 du 21 Novembre 1994 et enfin, n° 022/2021 du 19 Novembre 2021. Néanmoins, on retrouve des continuités dans l’agencement des dispositions. Comme dans la plupart des anciennes colonies françaises, il y a une fidélité à l’architecture du code de 1952. C’est ce que l’on peut observer dans le tableau ci-dessous.
L’architecture des codes du travail depuis 1952
II. Le contexte du Code de 2021
Si l’on s’en tient aux déclarations des autorités gabonaises, la présent code a une ambition clairement affichée : s’adapter aux évolutions du marché du travail. Il revendique également une méthode : la concertation (Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique, du Travail et de la Formation professionnelle, « Les enjeux du projet du Code du travail. Le résultat d’une vaste et transparente concertation », Libreville 2020). A la lecture des différentes plaquettes publiées par le Ministère du Travail, et qui relèvent d’un véritable inventaire à la Prévert, le nouveau code du travail est porteur de tous les espoirs.
On peut retenir notamment que cette législation, « consacre le dialogue social en entreprise », « lutte contre les discriminations », « ouvre le marché du travail formel à des nouvelles catégories de travailleurs », « protège les travailleurs de la précarité », « rapproche le monde de la formation professionnelle du monde de l’emploi », « protège des mesures de suspension abusive des contrats », « accorde de nouveaux droits en lien avec l’évolution de la société », « assouplit des cas particuliers de procédures de licenciements, pour mieux les adapter aux réalités économiques », « favorise l’emploi des nationaux », « renforce les obligations en matière d’hygiène et de santé au travail », « encadre les organisations syndicales, leur rôle et représentativité, et l’obligation de service minimum ». N’en jetez plus !
Lancée en janvier 2021, le Plan d’accélération de la transformation de l’économie gabonaise (plan triennal à travers lequel le Gabon devait relancer véritablement son économie affaiblie par la crise économique doublée de la crise sanitaire) n’est pas en reste. Dans le style caractéristique des autorités de l’époque, on y retrouve « la vision stratégique pour le secteur du Travail et de l’Emploi déclinée en 4 objectifs stratégiques : Rendre attractif le marché du travail en renforçant la flexibilité des procédures ; Réformer le dispositif national de formation professionnelle et le cadre de l’emploi ; Réformer le Code du travail pour s’adapter aux enjeux du marché du travail ; Continuer à moderniser le dispositif facilitant l’accès à l’emploi des jeunes ».
Ce code devait emporter l’adhésion de tous puisque la méthode privilégiée pour l’adopter était, un large et patient dialogue social (sur cette notion voir, A. Emane, « Le dialogue social au Gabon, entre affirmations et perspectives », in (sous la direction de) P. Auvergnon, C. Kénoukon, Dialogue social dans les pays de l’espace OHADA et ailleurs dans le monde, L’Harmattan, 2018, pp. 161-181), dont les premières phases se sont déroulées dès 2015. L’objectif était alors de passer en revue les propositions de réformes précédentes, les relire, et les réécrire afin de les adapter aux défis rencontrés par le Gabon : diversification de l’économie, croissance des emplois, employabilité des jeunes. Jusqu’en 2019, toujours selon les brochures ministérielles, la concertation « (…) a porté sur la réécriture de certains articles et a conduit à une concertation avec les partenaires sociaux en août 2019 ». En 2020, cette volonté ne s’est pas démentie avec la tenue d’une troisième phase. Celle-ci, plénière, a impliqué plus de 300 partenaires et aboutit, toujours selon les documents gouvernementaux, à la validation de 81% du projet de code. Sans atteindre de telles altitudes, le Secrétaire général adjoint de la COSYGA de l’époque estimait que : « La transparence a prévalu, lors des travaux, plus de 60% de nos propositions ont été prises en compte. Nous sommes satisfaits au regard des conclusions ».
Le résultat obtenu est largement tributaire de la méthode employée. Si personne n’est hostile à la promotion du dialogue social, ce que l’on peut regretter par contre, c’est le caractère pour le moins restrictif de la concertation avec le gouvernement, le patronat et les syndicats de salariés. Pourquoi ne pas y avoir associé des praticiens du droit comme les avocats, les magistrats et même des universitaires ? Leur apport aurait certainement enrichi un texte qui en avait besoin parfois, et surtout permis d’éviter des maladresses ou des omissions fâcheuses.
III. Le contenu du Code de 2021
Pour la ministre en charge du travail de l’époque, « Le nouveau Code du travail est un code progressiste qui protège les droits des travailleurs et garantit la croissance des emplois ». la même déclare encore : « Une transformation s’est opérée dans le Code du travail pour en faire un levier facilitant l’accès des jeunes au marché de l’emploi et renforçant la protection des travailleurs. L’ancien cadre réglementaire rigide a laissé place à un nouveau Code plus adapté aux exigences et réalités du marché du travail avec des dispositifs innovants en matière d’insertion, de réinsertion et/ou de reconversion professionnelles » («Le nouveau Code du travail protège les droits des travailleurs et garantit la croissance des emplois», GabonReview, 11 mars 2021, https://www.gabonreview.com/le-nouveau-code-du-travail-protege-les-droits-des-travailleurs-et-garantit-la-croissance-des-emplois-madeleine-berre/). Au-delà de cet enthousiasme de bon aloi, que contient cette réforme ? A-t-elle atteint les objectifs affichés et notamment ceux que l’on retrouvait dans les brochures diffusées par le Ministère en charge du travail ?
Si l’on s’en tient à une approche purement quantitative, le bilan paraît en effet pour le moins mitigé. Sur les 413 articles que contient ce code, 341 sont des reprises intégrales ou partielles de la législation précédente. Ces modifications touchent de manière inégale le code. Alors qu’on aurait pu s’attendre à une réforme de grande ampleur du Titre 2 « Du contrat du travail » du fait des débats auxquels il donne (et continue à donner) lieu, il n’en est rien. Sur les 150 articles qu’il contient, 115 sont des reprises. Il en est de même du Titre III « Des conditions générales de travail », avec seulement 28 articles sur les 93 qu’il recèle. Que dire encore de la Sécurité et de la santé au travail, annoncé comme un des axes majeurs de la réforme ? Le titre IV reprend dans le code de 1994, 28 articles sur les 37 qu’il contient. Finalement, il n’y a que le Titre VII qui a fait l’objet d’un réel toilettage avec seulement une reprise de 25 articles sur 61.
Tableau de révision des articles du Code de 2021
Pour autant, il serait exagéré et injuste de s’en tenir à cette approche quantitative. Des innovations et de nouvelles figures juridiques sont à relever. Au titre de la protection des droits fondamentaux, il y a la reconnaissance du harcèlement moral (article 6), réclamé depuis de nombreuses années maintenant (le harcèlement sexuel fait l’objet d’une loi depuis 2016). Le titre II se voit enrichi de nombreux contrats de travail à terme défini ou incertain. Cela participe certainement de la flexibilisation des relations de travail souvent évoquée dans les discussions précédent l’adoption du code. Lorsque la flexibilité est évoquée dans une réforme, elle s’exprime le plus souvent dans les modalités de résiliation du contrat de travail. Dans la loi du 19 Novembre 2021, on peut surtout retenir la création de la rupture amiable (article 62), alors que l’autorisation administrative dans le cas du licenciement économique a été maintenue comme le souhaitait les syndicats de travailleurs.
Par ailleurs, considérer que la nouvelle législation marque une nouvelle ère radieuse pour les droits des travailleurs peut sembler un brin exagéré. Si l’on peut saluer le fait qu’il a été mis fin aux controverses sur la durée du CDD, le nouvel article 24 n’aplanit pas vraiment toutes les divergences d’interprétation sur le renouvellement du CDD. Ce qui se donne à lire et à voir également, c’est plutôt le risque d’une certaine précarisation avec l’ensemble des nouveaux contrats que l’on retrouve des articles article 29 à 44. Ce sentiment est renforcé par le fait que, dans l’ordonnancement du code, s’agissant de la durée du contrat, c’est d’abord le CDD qui apparait à l’article 23. C’est seulement 5 articles plus loin qu’on voit émerger le CDI, qui demeure quand même le droit commun avec la sanction de la requalification frappant le CDD.
Toujours dans le Titre II, il faut aussi relever les nombreuses nouvelles dispositions relatives à l’apprentissage au chapitre 2 et à la formation professionnelle au chapitre 3. Elles doivent être de nature à apporter des solutions concrètes aux problèmes d’emploi. Mais curieusement, dans les relevés des discussions tripartites, ce n’est pas un sujet qui a été particulièrement au cœur des échanges. En réalité, il faudra peut-être attendre un peu l’application des dispositifs prévus par la loi pour en juger.
Le Chapitre 5 sur l’emploi des travailleurs étrangers recèle par contre quelques surprises avec l’assouplissement des formalités d’emploi de cette catégorie de salariés lorsqu’il y a des grands chantiers par exemple. C’est ce qui ressort par exemple de la lecture de l’article 144. Le concept de « gabonisation » des emplois serait-il devenu désuet ? C’est la question que l’on peut parfois se poser au regard des évolutions du marché de l’emploi, même si nous avons montré dans une publication récente, que le Gabon était déjà doté d’un arsenal juridique suffisant et correspondant à ce que l’on retrouve ailleurs en Afrique (« L’emploi des travailleurs étrangers en Afrique, état des législations », L’Union du 15 janvier 2024). Des lacunes certaines apparaissent dans cette législation en ce qui concerne la protection des droits des travailleurs étrangers. Ces vides juridiques représentent souvent un casse-tête pour le juge, et créent à coups sûrs, une insécurité juridique pour le salarié étranger concerné.
Par ailleurs, alors qu’elle devait être un volet phare de la réforme, il est difficile de cerner réellement les innovations en matière de santé et sécurité au travail, contrairement à ce qui est affirmé dans les documents du ministère du travail, Au total il n’y a que 9 nouveaux articles sur les 37 de ce titre. On peut retenir que le nouvel article 246 crée une obligation pour les salariés de subir des examens médicaux. Peuvent également être relevées des dispositions sur la médecine du travail, même si leur mise en application ne peut manquer d’interroger au regard de la situation de ce secteur aujourd’hui.
Au final, c’est le Titre VII qui a été le plus impacté par cette réforme. Pour autant, il est à craindre que ce ne soit pas dans le sens du renforcement des droits des salariés. Ce qui apparaît clairement c’est l’encadrement renforcé de l’exercice du droit de grève, attitude correspondant malheureusement à une inclination que l’on retrouve dans la plupart des pays d’Afrique francophone.
Il se posera ensuite la question de l’effectivité de cette nouvelle législation. Et de ce point de vue l’appellation Code du travail peut paraître surfaite. Un code est en effet « un corps cohérent de textes englobant selon un plan systématique l’ensemble des règles relatives à une matière (…)» (in Vocabulaire juridique). Dans le cas d’espèce, l’ensemble des normes de droit du travail ne se retrouve pas dans la loi du 19 Novembre 2021. Pourtant, le code laisse une grande part d’initiative à ces acteurs dans la production d’autres sources de droit ce qui permettrait de s’éloigner du modèle de 1952.
IV. le chantier des sources du droit du travail
Au regard des lacunes relevées, nombreuses sont les pistes que nous pourrions proposer, mais ce n’est pas l’objet de la présente tribune. Comme nous l’avons écrit plus haut notre objectif est de calmer les ardeurs des incendiaires et pyromanes. De ce point de vue, et même en conservant tous les textes actuels, la solution ou plutôt l’urgence est davantage à l’amélioration de l’existant que ce soit dans la production des normes que dans l’application de celles-ci. Dans ce propos, nous nous en tiendrons ici uniquement à la question des sources, l’application nécessitant des développements plus conséquents avec notamment le rôle que le juge doit jouer en la matière.
Partons pour cela de la production du droit au Gabon qui est dominée par la fétichisation de la loi, phénomène qui ne se limite pas du reste qu’au droit du travail. On peut en voir les illustrations en matière politique par exemple : toute situation appelle une nouvelle loi, qu’une autre devra remplacer à peine l’encre séchée. Pour changer la réalité, il suffit donc de promulguer une loi ! Adopter une telle posture, c’est oublier que (et le code du travail le rappelle), dans nombre de ses dispositions, le droit n’a pas pour seule source la loi. Il peut être créé également dans un cadre réglementaire, ou dans celui de ce dialogue social que tout le monde a sur les lèvres, même s’il ne dépasse que rarement le domaine de l’incantation. Dans les conclusions du Dialogue National Inclusif, les commissaires avaient ainsi mentionné à juste titre, la nécessité de rédiger et de réviser immédiatement des textes d’application.
L’une des limites notables du Code de 2021 (tout comme de celui de 1994), et qui peut être corrigée rapidement, c’est cette carence en textes d’application permettant de préciser un certain nombre d’articles. A cet égard, nous en avons recensé plus de 80. A la suite d’un rapide examen du code, il y a lieu de distinguer les dispositions prévoyant expressément des textes d’application de celles ou cette nécessité est implicite. La responsabilité du pouvoir réglementaire est donc engagée en ce sens, mais les partenaires sociaux ne sont pas en reste.
Les syndicats seraient en effet bien inspirés à prendre la part qui est la leur dans la production des normes du travail. Dans la période actuelle, la négociation collective peut être un espace de production de normes adaptées aux particularismes des entreprises. L’article 148 du Code du travail renvoie au Tronc Commun des Conventions collectives datant de 1982, et qui apparaît totalement hors de propos par rapport aux enjeux d’aujourd’hui. Plutôt que d’être une reprise de la loi ou des décrets du moment, le Tronc commun se doit d’être un cadre normatif permettant aux employeurs et aux salariés de pouvoir organiser leurs relations, et faire en sorte que la Convention collective devienne une véritable source de droit. Pour atteindre cet objectif, il conviendra de réécrire totalement le Tronc Commun (ce qui est de la responsabilité des partenaires sociaux) qui sera en fait une convention-cadre s’appuyant sur le Chapitre VI du Titre II du Code du travail, avec des déclinaisons dans les différentes conventions sectorielles qui remontent pour la plupart d’entre elles aux années 1980.
L’état des conventions collectives
Plutôt que d’incendiaires ou de pyromanes, il y a aujourd’hui un besoin de syndicats et d’organisations patronales participant à la construction du droit du travail au Gabon. En ont-ils les moyens ? De ce qu’il nous est donné d’observer, nombre de facteurs limitent l’intervention ou l’investissement des partenaires sociaux dans la production du droit. Rares sont les centrales qui possèdent des compétences techniques en interne, et la plupart d’entre elles disposant de peu de ressources, ne peuvent pas recruter des experts en propre par exemple.
En conclusion, et pour ne pas rester focaliser sur ces discours de réécriture d’une législation qui n’a que deux ans, il faudrait plutôt commencer par évaluer le code de 2021. Quels sont ses résultats tant dans la protection des droits des travailleurs d’une part, que pour l’employabilité d’autre part ? A ces questions, les administrations et les organismes compétents en matière d’emploi peuvent être invités à répondre.
Augustin Emane*, Maître de conférences HDR à l’UFR Droit de l’Université de Nantes, UMR CNRS 6297, Point Sud Institute Bamako, Avocat
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