L’expulsion de l’ambassadeur de France par la junte de Bamako est un signe qui ne trompe pas. La France est de plus en plus acculée, isolée et menacée par la percée des Chinois et des Russes en Afrique. En manque d’inspiration, l’ancienne métropole risque de perdre la face en plus d’avoir perdu du terrain. Désespérée, elle tente pourtant de s’appuyer sur la CEDEAO et pourra encore se rabattre en Afrique centrale. Mais les temps semblent mauvais, pense ici Michel Ndong

10 janvier 2021 dans les rues de Bamako ; une manifestation contre les forces françaises et onusiennes basées au Mali, organisée par l’organisation malienne « Yerewolo debout sur les remparts ». © BBC

 

 

En marge de son tête-à-tête avec Poutine sur la sécurité aux frontières de l’Ukraine, le 7 février dernier, Emmanuel Macron avait réaffirmé à la presse l’engagement de la France aux côtés des organismes sous-régionaux et des Etats africains dans la lutte conte le terrorisme au Sahel. Une tentative pour le successeur de François Hollande de sauver les apparences, après les déboires de son Ministre des Affaires Etrangères, sèchement rappelé à l’ordre par le régime de Bamako. Jean Yves Le Dryan s’était en effet montré discourtois en qualifiant la junte au pouvoir d’illégitime. Ce qui a eu pour conséquence immédiate l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, fait rarissime dans l’histoire des relations franco-africaines.

En plus d’avoir perdu du terrain, la France est peut-être sur le point de perdre la Face en Afrique. Car, disons-le, jamais le sentiment antifrançais ne s’était exprimé avec autant d’énergie, de coordination et de popularité dans les ex-colonies africaines.  Certes, l’amour n’a pas toujours existé entre les peuples africains et l’ancienne métropole, honnie pour son rôle présumé dans le maintien des dictatures et le pillage des ressources naturelles. Mais l’Elysée avait toujours su garder la main sur les principaux leviers du pouvoir politique et économique, aidé par les réseaux sulfureux de la Françafrique et surtout par le positionnement stratégique des bases militaires françaises sur le continent. Réseaux françafricains et opérations militaires, tels sont les deux piliers de la cellule Afrique de l’Elysée.

Or, l’une après l’autre, la Françafrique et l’armée française sont devenues les cibles d’une jeunesse africaine de plus en plus émancipée.  L’une et l’autre ont été désignées coupables du sous-développement qui accable la plupart des pays subsahariens, malgré la générosité du sous-sol.

« Rompons les amarres » (Discours de Macron à Abidjan, le 21 décembre 2019)

La dernière décennie a vue la Françafrique tombée progressivement en disgrâce. Il faut dire que la disparition d’Omar Bongo en 2009, après celles en 2005 d’Eyadema et plus loin d’Houphouët-Boigny en 1993, a fait perdre à la France un ami loyal. Le doyen des Chefs d’Etat africains était en effet un maillon incontournable des circuits officieux et officiels connectés à l’Elysée. Homme des réseaux, il était régulièrement consulté par Paris lorsqu’il s’agissait d’introniser ou de déposer un homme politique. Orpheline de Bongo père, l’Elysée avait cru bon de redistribuer les cartes en adoubant le fils, en plus de s’immiscer ouvertement dans le processus électoral ivoirien. Or, la nouvelle génération des Chefs d’Etat  doit composer avec un contexte socio-économique difficile, marqué par la chute brutale des cours de pétrole. Ainsi, pour contenir la grogne sociale, les dirigeants africains comprennent (enfin) la nécessité d’investir dans les infrastructures de base et d’accélérer la transformation des économies locales. Cette nouvelle donne les oblige à s’ouvrir à de nouveaux partenaires, en tête desquels la Chine. Mais l’arrivée des Chinois dans son pré carré n’est pas du goût de la France. Pour réagir, elle s’essaie au chantage contre certaines familles présidentielles dans l’affaire des « Biens mal acquis. » Mais cette stratégie s’avère rapidement infructueuse, puisqu’elle contribue davantage à ternir l’image de la France qu’à déstabiliser les Chefs d’Etat concernés par ces révélations. Surtout, elle va contribuer à accélérer le processus de désinstallation du système françafricain, jusqu’à faire perdre à l’hexagone son monopole dans l’exploitation des ressources naturelles et les grands projets d’investissement. Ainsi, au cours de ces dernières années, la France a concédé à la Chine le leadership économique sur le continent.

Justement, l’économie africaine sera elle aussi marquée par la fronde de la société civile contre le Franc Cfa. Instrument du néocolonialisme, cette monnaie subit une forte dépréciation en Afrique de l’ouest notamment, obligeant le Président français, en visite à Abidjan le 21 décembre 2019, à déposer officiellement les armes : « J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres » Lucide, Macron avait compris que le changement de paradigme était inéluctable. La nouvelle formule du Sommet Afrique-France de Montpelier, le 8 octobre 2021, ne permettra pas à l’ancienne métropole de sauver la face. Finalement, c’est dans le domaine sécuritaire que l’Elysée dirigera ses dernières forces afin d’espérer renverser la vapeur.

« Libérez le Sahel » (Manifestations anti-barkhane à Kaya, le 19 novembre 2021°)

Boudée par les populations et surclassée par la Chine sur le plan économique, la France s’en remet alors à ses Généraux pour maintenir son influence en Afrique. Elle effectua une première démonstration de force en Lybie en soutenant le renversement de Kadhafi, puis s’invita en Centrafrique et surtout au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. Même si elle est appuyée par ses alliés occidentaux, c’est bien l’armée française qui joue les premiers rôles au Burkina-Faso, au Niger et au Mali.  Mais là aussi, le succès ne sera pas garanti. Si les militaires français avaient reçu un accueil triomphal lors du lancement de l’opération Barkhane en 2014, leur popularité dans l’opinion africaine a connu une brusque dégringolade ces dernières années. Pour cause, le démantèlement des groupes djihadistes et salafistes n’a toujours pas eu lieu, plusieurs années après le lancement de l’opération.  Bien au contraire, les attaques se sont multipliées avec des bilans de plus en plus lourds. Ainsi, selon les chiffres avancés par l’ONU en 2019, les attaques terroristes ont fait au moins 4000 morts dans les trois pays du Sahel que sont le Niger, le Mali et surtout le Burkina Faso. Cette recrudescence de l’insécurité, au nez et à la barbe des forces françaises, servira de prétexte à la prise de pouvoir par les militaires dans les deux pays cités en dernier. Mieux encore, elle permettra aux mutins d’exacerber le sentiment antifrançais dans leur quête de légitimité populaire. Paris gagné, puisque selon l’étude Mali-mètre réalisée en 2021 et publiée par la Fondation Friedrich Ebert, trois bamakois sur Cinq sont insatisfaits du travail de Barkhane. Ce sentiment d’insatisfaction atteindra son paroxysme le 19 novembre 2021, lors d’une manifestation des populations contre un convoi de l’armée française dans la ville de Kaya au Burkina Faso. Sur les écriteaux, on pouvait lire « Armée française dégage » ou encore « Libérez le Sahel »

La CEMAC, dernier rempart de la Françafrique?

En plus d’avoir renversé les institutions, les juntes burkinabè et maliennes ont réussi à dresser les populations contre l’armée française. Acculée et en mal d’inspiration, le Quai d’Orsay tarde à formuler une réponse diplomatique adaptée.  Et même si Macron voudrait encore s’appuyer sur la CEDEAO, c’est plus une issue de secours qu’une véritable option diplomatique.  A part quelques sanctions économiques dirigées contre les putschistes, l’instance sous-régionale n’a jamais pesé lourd dans la balance.

Mais tout n’est peut-être pas perdu pour la France en Afrique. Il lui reste des assises importantes en Afrique centrale où elle garde une mainmise sur la zone CEMAC. En dehors du casse-tête  centrafricain, les autres Etats demeurent dans une relation plus ou moins stable avec Paris.  A moins que les luttes politiciennes pour la succession de Paul Biya au Cameroun ou de Denis Sassou Nguesso au Congo fassent basculer cette partie du continent dans l’agitation, au profit peut-être des mercenaires russes tapis dans l’ombre. Une chose est certaine, le positionnement de la France dans la course au pouvoir en 2023 au Gabon déterminera ses relations avec le prochain Chef d’Etat et peut-être son avenir dans ce pays.  Dans tous les cas, le moindre faux de plus de la France en Afrique risque de lui être fatal.

Michel Ndong Esso

Analyste politique indépendant et Enseignant et Analyste politique

 
GR
 

7 Commentaires

  1. Serge Makaya dit :

    La course au pouvoir au Gabon est déjà jouée d’avance par les mêmes français. Ils tiennent d’une main de fer notre pays. Pour nous libérer d’eux, il n’y a qu’un COUP d’ÉTAT. Mais qui de nos militaires a des couilles pour s’y lancer ? A Ntare Nzame.

    Les français sont bloqués au Mali, justement à cause des militaires qui ont pris le pouvoir. Ces militaires Maliens ont ENFIN compris qu’on ne gagnera absolument rien avec ces français.

    Je vous rappelle une chose : au Gabon, il n’y a JAMAIS EU d’élections présidentielles libre et transparentes. Les magouilles de nos différentes présidentielles ont toujours été soutenues par la francafrique. Ali n’est vivant. Et ces mêmes français ont certainement déjà préparé un plan pour la mise en place au pouvoir de leur prochaine marionnette.

    Vous êtes sans ignorer qu’il disent qu’au Mali il y a eu un coup d’État, ce qu’il n’admettent pas au Tchad.Tout simplement parce que au Tchad, ils sont complices à 100% du pseudo coup d’État qui a vu le fils de Déby Idriss prendre ke pouvoir (un vrai pantin des français).N’excluons pas un pseudo coup d’État chez nous fomenté par ces français pour installer leur nouvelle mascotte. OUVREZ BIEN LES YEUX, MES FRÈRES GABONAIS. CAR VOUS SOUFFREZ VRAIMENT DE CÉCITÉ. ET C’EST GRAVE. NOUS SOMMES EN TRAIN DE PERDRE TOTALEMENT NOTRE PAYS. LES MALIENS, LES CENTRAFRICAINS ET LES BURKINABÉS ONT ENFIN COMPRIS L’HYPOCRISIE DES FRANÇAIS. ÉVEILLE TOI GABON.

  2. MOPTY dit :

    La France A DEJA PERDU l’Afrique.
    Pour la zone CEMAC, ce n’est qu’une question de temps. Rien ne pourra empêcher la déferlante saison de révolte africaine .
    Trop c’est trop. A force de trop tirer sur la corde elle se casse.
    AMANA

  3. Désiré dit :

    Je ne comprends pas les raccourcis de votre article. La France n’avait elle pas été appelée par les gouvernements saheliens et en particulier la Mali pour lutter contre les jihadistes? Il semblerait que la disgrâce de l’armée française et des français vienne plutôt de la population des jeunes au chomage, à la recherche de « coupables », éloignés des théatres de guerre contre les islamistes. L’ancien colonisateur semble donc être juste coupable d’être un ancien colonisateur (ce qui n’est pas rien).

  4. Désiré dit :

    Precision- lire: la disgrâce de l’armée française et des français vienne plutôt de la population des jeunes URBAINS au chômage….

  5. Désiré dit :

    Très juste cette observation sur ce voyou dont les français ont bien du mal visiblement à ressituer ses responsabilités.

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