Le Conseil National de la Démocratie (CND), institué suite aux Accords de Paris de 1990, a traversé plusieurs phases de réformes et de défis depuis sa création officielle en 1996. Dans cette tribune, le Professeur Jérôme T. Kwenzi Mikala dresse un bilan du parcours de cette institution et insiste sur son importance dans la régulation de la vie politique au Gabon. Face aux menaces de disparition du CND, il plaide pour sa restauration, arguant que sa suppression porterait atteinte à la démocratie et risquerait de créer des fractures sociales profondes.

« Supprimer cet acquis serait un recul […] il y aura une perversion de la démocratie, un dérapage qui tirera le débat politique dans la rocade et le placera ainsi à la merci des fanatiques et des réseaux sociaux » © Gabonreview

Le Pr Kwenzi-Mikala Jérôme Tangui. © D.R.

Le Conseil National de la Démocratie (CND) procède du référendum né des Accords de Paris de 1990 avec pour mission de veiller à un juste équilibre du jeu démocratique.

Cette institution n’avait été remise au goût du jour qu’à cause du contexte postélectoral de 1993, à savoir la contestation des résultats de l’élection présidentielle du 05 décembre 1993.

Toutefois, le CND ne sera finalement mis en place qu’en 1997, après avoir été créé le 15 avril 1996 par la loi 13/96. Il faut relever que le CND n’avait jamais fonctionné réellement et n’existait que du fait de la nomination de son président et de ses membres.

Trois personnalités se sont succédées à sa tête :

  • Feu Aristide BOURDES OGOULIGUENDE
  • Pierre Claver MAGANGA MOUSSAVOU
  • Feu Pierre Claver ZENG EBOME

Comme la création du CND ne répondait à aucune disposition constitutionnelle, de nombreux gabonais avaient souhaité sa disparition pure et simple. C’est ce qui arriva avec le décès du Président Pierre Claver ZENG EBOME.

Resté près de 20 ans en désuétude, le Conseil National de la Démocratie a été reconfiguré dans ses missions et sa composition par l’ordonnance № 0001/PR/2015, ratifiée par la loi №004/PR/2015.

Le CND devient le lieu indiqué où chacun exprime son point de vue et contribue à faire évoluer la démocratie gabonaise dans un dialogue politique permanent et inclusif, ouvert à tous les partis politiques légalement reconnus, et selon les cas, à d’autres acteurs de la société gabonaise.

Le CND participe ainsi à la construction et à la consolidation de la démocratie dans notre pays.

Ses missions sont les suivantes :

  • élaborer un code de bonne conduite à l’usage des acteurs de la vie politique nationale et veiller à son application ;
  • jouer la médiation dans les conflits opposant les acteurs et les partis politiques entre eux ;
  • proposer aux pouvoirs publics exécutif et législatif toute action pouvant concourir à la promotion de la démocratie ;
  • être destinataire des procès-verbaux des élections politiques ;
  • prendre part à tout le processus électoral ;
  • rendre des arbitrages opposables à tous.

Depuis sa reconfiguration par le Président de la République, Chef de l’Etat en 2015, le Conseil National de la Démocratie s’est efforcé de rechercher constamment, dans le cadre d’une concertation permanente entre les acteurs politiques de tous bords, les solutions appropriées pour décrisper le climat politique souvent marqué par des compétitions politiques périodiques.

Ainsi, après la crise post-électorale du mois d’août 2016 aux conséquences dommageables, le Conseil National de la Démocratie, dans le cadre de ses missions, avait réitéré aux autorités concernées, la tenue pressante d’un Dialogue Inclusif et sans tabou, évoquant tous les sujets.

Finalement, le souhait du Conseil National de la Démocratie fut exaucé par les décideurs qui ont opté pour la tenue d’un Dialogue Politique du 12 avril au 26 mai 2017, préparé sous l’égide du Premier Ministre, sur convocation du Président de la République, chef de l’Etat.

Ce Dialogue politique reste avant tout la recherche d’un compromis par toutes les parties en cause, compromis fait de concessions réciproques.

Quatre compromis historiques sont à relever :

  • le compromis de 1990 sur l’instauration ou le retour au multipartisme ;
  • les Accords de Paris 1994 ;
  • les Accords d’Arambo 2005 ;
  • les Accords d’Angondjé d’avril mai 2017.

Chacune de ces rencontres a apporté une plus-value significative dans la consolidation du système démocratique gabonais.

En plus du dialogue, le CND avait fait, lors de ses précédentes sessions, d’autres recommandations aux Autorités destinataires de ses avis. Quelques-unes ont été prises en compte dans les débats du Dialogue Politique :

  1. Sur la durée des mandats politiques

Concernant cette recommandation, le Conseil National de la Démocratie avait proposé une durée de 7 ans pour le Président de la République.

Le Dialogue Politique avait retenu une durée de 7 ans pour le Président de la République et de 5 ans pour les Députés.

  1. Sur le financement des partis politiques

Les préoccupations du CND portaient sur la mise à disposition du financement des campagnes électorales avant le début de celles-ci et sur l’attribution de la subvention de fonctionnement des formations politiques.

  1. Sur le mode de scrutin dans les élections législatives et

Le Conseil National de la Démocratie avait préconisé, pour ce type de compétition politique, un scrutin majoritaire uninominal à deux tours.

Le Dialogue Politique avait aussi retenu cette proposition.

La concertation d’Angondje avait débouché sur un compromis politique consigné dans un rapport et un protocole comportant 264 articles.

Il faut souligner que les recommandations du Dialogue Politique d’Angondjé avaient conféré au Conseil National de la Démocratie des missions supplémentaires en vue de l’amélioration continue du processus démocratique de notre pays pour l’instauration d’un Etat de droit démocratique.

Ses missions ont été élargies comme suit :

  • l’obligation d’examiner les avis du Conseil National de la Démocratie par ses destinataires que sont le Président de la République, les deux chambres du Parlement et la Cour Constitutionnelle ;
  • l’obligation faite désormais aux partis politiques de soumettre préalablement leurs conflits au Conseil National de la Démocratie, avant toute saisine d’une juridiction de droit commun.

En faisant du Conseil National de la Démocratie un organe consultatif permanent et de gestion des conflits entre les acteurs et les partis politiques, mais aussi un espace de cogitations, le Chef de l’Etat a offert à la classe politique une tribune appropriée d’expression et d’émission de propositions susceptibles de raffermir la démocratie.

C’est dans ce cadre que le CND a été consulté par le Premier Ministre.

De même, la loi a assigné au CND la mission de veiller à l’application du Code de Bonne Conduite par tous les acteurs politiques en période électorale.

Dans le cadre de ce mandat, le CND avait déployé en 2017, des observateurs dans différents centres de vote.

Les rapports de ces observateurs, contenant des propositions de réformes, avaient été déposées au Conseil National de la Démocratie.

De 2016 à 2018, le Conseil National de la Démocratie a reçu de l’Etat des moyens financiers conséquents qui lui ont permis de fonctionner et remplir avec efficacité ses missions. Malheureusement, depuis 2019, le budget du CND est réduit à une portion congrue, d’où l’impossibilité de jouer pleinement son rôle. Même l’organisation de ses assemblés générales relèvent du parcours du combattant.

Cette situation donne l’impression que le CND ne travaille pas, qu’il ne sert à rien.

Cette impression se dégage du fait que les avis émis par le CND, sont certes rendus publics par le Président du CND et publiés au Journal officiel de la République gabonaise, mais ne sont jamais appliqués.

N’étant jamais appliquées, ces décisions ne peuvent pas avoir d’impact sur la population gabonaise. C’est pourquoi, il serait bon de rendre contraignant l’examen des avis ou des décisions du CND.

Quand une tribune comme le CND mis opportunément à la disposition de tous les acteurs politiques pour débattre des problèmes relevant de sa compétence afin de prévenir et endiguer les crises liées au fonctionnement de notre processus démocratique est proposée à disparaître comme une recommandation du dernier Dialogue National Inclusif l’a suggéré, supprimer cet acquis serait un recul d’une part et ayant été mis en place par référendum, sa disparition ne pourrait se faire qu’en respectant le principe du parallélisme des formes d’autre part.

Il est à craindre que la suppression de cette institution qui regroupe toutes les forces politiques du pays, représentées on non au Parlement, va remettre inévitablement le débat dans la rue et, substituer des acteurs apolitiques aux acteurs politiques dont la mission est de traiter les questions politiques.

Il y aura une perversion de la démocratie, un dérapage qui tirera le débat politique dans la rocade et le placera ainsi à la merci des fanatiques et des réseaux sociaux, favorisant des entreprises factieuses, des ferments d’agitation récurrentes et des clivages sociaux.

Cette situation pourrait mettre en péril la paix et la concorde nationale.

C’est pourquoi, il est impérieux de restaurer le CND et non de le supprimer.

Cette restauration consistera à :

  • donner plus de moyens financiers au CND pour lui permettre de fonctionner normalement en jouant le rôle majeur qui est d’encadrer le débat politique par la concertation périodique et l’émission des propositions tendant à la consolidation de la démocratie et au règlement des conflits entre acteurs politiques ;
  • préparer les élèves à vivre en société et à devenir des citoyens responsables, conscients des principes et règles qui fondent la démocratie gabonaise ;
  • faire appliquer les avis émis par le CND afin de lui permettre de remplir efficacement son rôle d’organe consultatif.

Tels sont les vœux que j’émets pour la restauration du Conseil National de la Démocratie (CND).

Professeur Jérôme T. KWENZI MIKALA

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GR
 

1 Commentaire

  1. DesireNGUEMANZONG dit :

    Pourquoi quelques individus (même avec leur titre universitaire) veulent toujours circonscrire le débat sur le politique? Sachant qu’il y a, aujourd’hui,des questions plus urgentes auxquelles il faut apporter des réponses utiles à court et à moyen terme.

    Notamment celles du pouvoir d’achat des gabonais.es, la question de l’accès à l’eau et à l’électricité, le chômage des jeunes diplômé.es, l’éducation
    nationale (qui doit redevenir un domaine régalien), le logement, le climat, la transition énergétique, etc.

    La réhabilitation du CND vise t-elle à résoudre les problèmes évoqués ci-
    dessus? S’il s’agit de décréter le retour de quelques individus à des fonctions aux privilèges démesurés financés par des fonds publics, il est
    inutile de faire une tribune.

    Parler de démocratie au Gabon, c’est comme évoquer l’existence du « mouton à cinq pattes visible entre le jour et la nuit ».

    Pour finir, je tiens à féliciter nos forces armées qui ont eu un sursaut d’orgueil, un sens du pragmatisme et du patriotisme (plus d’inclusion). Ce
    sont des compétences humaines qui ont fait défaut à nos représentant.es politiques ces dernières années.

    Quand on a un beau costume et une belle cravate, on ne peut imaginer que des
    milliers de compatriotes ont le frigo vide. La démocratie remplit t-elle le frigo? Il y a des pays dans lesquels on ne parle pas de démocratie. Pourtant ils connaissent des taux de croissance très élevés, des performances sportives notables, une production glorieuse, un programme spatial surprenant, etc.

    Je suis désolé, la démocratie est une utopie pour notre pays que des pretendus intellectuels nous servent pour se faire bonne conscience. La chute du mûr de Berlin n’aura rien changée pour le Gabon. Un espèce de « YALTA » s’est produite à Paris entre les hommes politiques (ont-ils représenté le peuple gabonais?) et le pouvoir en place. Ça bien suscité des vocations: faire de la politique était devenu une compétence voire un métier.

    Dans 50 ans, on pourra parler de démocratie quand on aura changer de mentalité. Et ce n’est pas cette génération qui l’a changera.

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