De la piste d’atterrissage aux sentiers de l’oubli : la débaptisation de l’aéroport de Port-Gentil, entérinée par le Conseil des ministres du 20 février 2025 est une décision lourde de sens : l’infrastructure aéroportuaire ne portera plus le nom d’Ali Bongo Ondimba, mais celui de Joseph Rendjambe Issani. Derrière ce simple changement de dénomination, c’est tout un pan de l’histoire récente du Gabon qui est réécrit, signe d’une volonté assumée d’effacer l’ancien président du paysage national. Déchu en août 2023, renié par son propre camp et ignoré par les nouvelles autorités, Ali Bongo apparaît aujourd’hui comme un homme à effacer, à la fois des mémoires officielles et de l’espace public. Michel Ndong Esso* décrypte cette mise à l’écart progressive, reflet des règnes autoritaires qui finissent par s’effondrer sous leur propre poids.

Du sommet de l’État à l’oubli, il n’y a qu’un coup de balai : Ali Bongo en fait l’amère expérience. © GabonReview

 

Le Conseil des ministres du 20 février 2025 marque un tournant dans l’histoire du Gabon. Pour la première fois, un édifice public d’envergure portant le patronyme d’un ancien Chef d’État a été rebaptisé. Anciennement appelée aéroport international Ali Bongo Ondimba, la piste d’atterrissage de Port-Gentil «sera désormais officiellement désignée sous le nom d’aéroport international Joseph Rendjambe Issani», peut-on lire dans le communiqué final. Si le Gouvernement gabonais assure vouloir rendre hommage à la mémoire de cet illustre fils du pays «dont l’œuvre politique, l’engagement pour le progrès social et la contribution à l’édification de notre nation ont marqué de manière indéniable l’histoire du pays», difficile cependant de ne pas y voir une subtile manœuvre visant à réécrire l’histoire du Gabon sans le prédécesseur de Brice Clotaire Oligui Nguema. Stratège réputé dans le muselage et la censure de ses adversaires politiques, Ali Bongo, l’effaceur en Chef, semble donc assister impuissamment à sa suppression de l’histoire du Gabon.

Ali Bongo et les Gabonais : un désamour consommé

S’il n’a pas encore fait l’objet de poursuites judiciaires formelles, Ali Bongo apparait néanmoins comme un homme largement fragilisé par son éviction du pouvoir le 30 août 2023. Déposé par sa propre garde, le fils d’Omar vit très mal l’incarcération de Sylvia et Noureddine Bongo, son épouse et son fils à qui le CTRI demande visiblement des comptes. Mais pendant que l’ex-raïs tente d’attirer l’attention sur le sort de sa famille, une autre tragédie semble s’abattre sur lui.

Cloitré dans sa villa huppée de la sablière, Ali Bongo Ondimba assiste impuissamment à sa suppression de l’histoire du Gabon. Une tragédie d’autant plus intrigante qu’elle commence dans sa propre famille politique. Et pour cause, le dernier congrès du Parti Démocratique Gabonais a surpris plus d’un en écartant le fils de Nkama de la gestion du parti sans aucun égard à son statut de Distingué Camarade Président. Comme si cette fonction n’avait jamais existé, l’ancien DCP n’a été mentionné dans aucun des discours prononcés pour la circonstance. Ni Blaise Louembé, ni Angélique Ngoma, respectivement Président et Secrétaire Générale de cette formation politique, n’ont pris soin de lui rendre hommage pour quelque raison que ce soit. Même Paul Biyoghe Mba, tout-puissant Premier Ministre au temps des émergents semble avoir définitivement tourné la page de son ancien patron. Pour lui, «Ali Bongo est un homme du passé», comme pour conforter cet adage qui dit qu’il n’y a pas d’amis en politique, il n’y a que des intérêts. Lâché par sa famille politique, Ali Bongo se retrouve donc à la merci de ses détracteurs, lui que les Gabonais en général et le CTRI en particulier tiennent pour responsable de la gestion calamiteuse de l’Etat pendant ses quatorze années de règne.

Depuis sa prise de pouvoir, en effet, Brice Clotaire Oligui Nguema est resté constant dans sa stratégie offensive à l’égard de son prédécesseur. À chacune de ses interventions publiques, il n’hésite pas à pointer du doigt la gouvernance approximative de celui qu’il dit avoir éjecté pour sauver le Gabon. Qu’il s’agisse de la dette colossale de l’État ou du déficit des infrastructures de base, le Général Président et son gouvernement ont un coupable tout désigné : l’ancien régime. Ce qui fait naturellement d’Ali Bongo Ondimba l’homme le plus indésirable de la transition. D’ailleurs, le désamour entre le fils de Nkama et le peuple gabonais est tel que Brice Clotaire Oligui Nguema refuse jusqu’ici de citer son prédécesseur lors des hommages rendus aux anciens Chefs d’État, comme pour dire qu’Ali Bongo n’a pas sa place au panthéon où siègent Léon Mba Minko, Omar Bongo Ondimba et Rose Francine Rogombé. C’est certainement dans ce refus d’honorer la mémoire d’Ali Bongo que s’inscrit le changement de nom de l’aéroport international de Port-Gentil.

Une leçon d’histoire pour les dictateurs

Évidemment, les rares soutiens encore actifs d’Ali Bongo n’ont pas manqué de dénoncer ce qu’ils qualifient de tentative «éhontée» de réécrire l’histoire du Gabon. Criant au complot, ils appellent à cesser tout acharnement sur la personne d’Ali Bongo et à préserver son héritage politique. Mais ils le savent, très peu sont les Gabonais à pouvoir ou à vouloir les entendre.

En réalité, il n’y a rien de surprenant dans le traitement réservé à Ali Bongo par les militaires. Comme tous les autres dictateurs tombés en disgrâce, il ne fait que recevoir la monnaie de sa propre pièce. Au fort de son règne, il s’était lui-même employé à effacer l’empreinte de son prédécesseur de père. La destruction de la cité de la démocratie et l’abandon du stade Omnisport Omar Bongo en sont de parfaites illustrations. L’histoire retiendra aussi que son règne a été celui de tous les excès en termes de corruption, de gabegie et surtout d’arbitraire. Combien de centaines de milliards volatilisés dans l’acquisition des véhicules de luxe et autres appartements privés ? Combien de lignes budgétaires affectées à l’organisation des manifestations ludiques et festives ? Pendant ce temps, la criminalité financière et la barbarie policière battaient tous les records du monde.  D’un côté, les amis du raïs qui puisaient impunément dans les caisses de l’État, de l’autre, le citoyen lambda à qui on avait retiré le droit de revendiquer de meilleures conditions de vie, sous peine d’aller périr à sans famille.

Fort de ce qui précède, on peut même penser que l’ancien émergent en chef s’en sort plutôt bien, n’étant poursuivi par aucun juge jusqu’à ce jour et bénéficiant de surcroît d’un accès à la presse internationale. Le magazine Jeune Afrique qui l’a récemment rencontré à Libreville le dit même en meilleure forme, prenant du beau temps à jouer aux mots-fléchés. Un traitement que certains de ses détracteurs jugent trop clément, car non proportionnel aux maux endurés par les Gabonais durant de son magistère. La volonté pour le CTRI de réécrire l’histoire du Gabon sans Ali Bongo apparaît donc comme un moindre mal. Mais c’est surtout une vraie leçon d’histoire pour tout dirigeant qui voudrait régner par la force.  Comme le dit Jean-Jacques Rousseau : «le plus fort n’est jamais assez fort pour demeurer le maître».

Michel Ndong Esso,

Professeur certifié de philosophie, Citoyen engagé, président fondateur de la plateforme associative Le Sixième Uni, et ancien secrétaire général adjoint de l’Entente Syndicale de l’Éducation nationale (ESEN).

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Cyr tiburce MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Morceau au choix: «le plus fort n’est jamais assez fort pour demeurer le maître». Cette maxime n’est pas seulement valable pour l’émergent déchu. Elle est recommandée et dirigée vers les gens qui abusent du pouvoir et malheureusement à Gabao ils sont nombreux. Simple avis. Amen.

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