Psychologue maître-assistant Cames, Marie Stella Marehin* présente la situation chaotique des malades mentaux au Gabon. Malgré l’adoption de lois et la ratification de conventions internationales pour lutter contre les addictions, le pays peine à offrir une prise en charge adéquate aux personnes dépendantes. L’absence de spécialistes, de traitements appropriés et de structures adaptées freine les efforts de prévention et de soins. Une réévaluation des politiques publiques est nécessaire pour enrayer ce phénomène qui touche de plus en plus les jeunes et entraîne des complications psychiatriques graves.

Une malade mentale dans une rue de Libreville. © D.R.

 

Marie Stella Marehin, psychologue clinicienne. © D.R.

Le Gabon dispose d’une politique et d’un plan stratégique de santé mentale, qui peinent à être mis en application. Pourtant, le pays a ratifié la convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac et le protocole visant à éliminer le commerce illicite des produits du tabac. Une Loi antitabac a été promulguée en septembre 2013. Cependant, l’accompagnement des personnes addicts se pose avec acuité. Dès lors, peut-on parler de soins en addictologie sans spécialistes, et sans traitements appropriées ? Doit-on assister impuissant à l’évidence des échecs thérapeutiques ?  La posture actuelle des soignants ne remet-elle pas en cause le principe de non-malfaisance ou primum nocere, qui pose l’obligation de ne pas infliger de mal à autrui ?

Une épidémie mondiale et un fléau social

Selon les données de l’OMS 2024 environ 400 millions de personnes dans le monde vivent avec des troubles liés à la consommation d’alcool et de drogues dans le monde. Sur ce total, 209 millions ont une dépendance à l’alcool. De son côté, l’Organisation Panafricaine de la Santé constate qu’en 2024 plus de 3 millions de décès annuels dans le monde étaient imputés à la surconsommation d’alcool et de drogues majoritairement chez les hommes. Le Rapport Mondial sur les Drogues (2024) admet que les pays d’Afrique sont de plus en plus touchés par le trafic de drogues et l’usage de “cocktails” de nouvelles drogues dangereuses, avec une hausse de la consommation de cocaïne. L’Afrique de l’Ouest et du centre sont devenues des grandes régions de transit de la cocaïne, comme l’attestent les saisies de 2021 qui ont atteint un record. Le trafic et l’abus de tramadol sont aussi une source de préoccupation croissante. Il est difficile d’évaluer l’ampleur de l’usage de drogues et des personnes sous traitement (Organe Internationale de Contrôle des Stupéfiants, OICS,2023).

Le cas du Gabon

Dans son rapport annuel de 2023, l’OMS-Gabon mentionne que la prévalence tabagique en 2022 était de 2,5% chez les femmes contre 2,2% chez les hommes. L’indice d’interférence de l’industrie du tabac est passé de 48 en 2021, à 53 en 2023 (Global Tobaco Industry Interférence, 2023). Les drogues ne se limitant plus au tabac, qu’en est-il de la prévalence de l’alcool, du cannabis et des opiacés ? Que dire des addictions comportementales (jeux pathologique, achat compulsif, trouble du comportement alimentaire, addictions à internet) qui sont sous-évaluées, et par conséquent sous-diagnostiquées ?

Nous notons :

– Une difficulté à évaluer la prévalence des substances psychoactives

Nous observons via les réseaux sociaux et médias traditionnels une hausse de comportements déviants (viols, vols, braquages, meurtres) émanant de la consommation de substances psychoactives. Néanmoins, l’absence d’enquêtes épidémiologiques au niveau national, ne permet pas d’avoir une lecture sur la distribution de ce phénomène, sa répartition au sein des différentes tranches d’âge (adolescents, adultes, seniors), et d’identifier les couches les plus vulnérables. Les études épidémiologiques existantes datent et se focalisent uniquement sur les adolescents ( Nzouti &Piete,2007; Mimbila-Mayi et al ; 2021). Elles ont tout de même le mérite de relever les types de produits consommés et leur priorisation. Mimbila-Mayi et al, décrivent une prévalence de la consommation d’alcool (55,5%), suivi du tabac (21,5%), des substances illicites cannabis et cocaïne (5%), ainsi que des polyconsommations alcool-tabac-drogue (4,5%) chez les jeunes âgés de 10 à 19 ans.

– Des consommateurs de plus en jeunes et des décompensations psychiatriques

D’après les données fournies par Mbungu Mabiala, Dope Koumou & Mboussou (2021) 50% des patients qui prenaient régulièrement une ou plusieurs drogues et qui présentaient des troubles psychiatriques, avaient un âge oscillant entre 15 et 29 ans.  La majorité des études situent l’entrée dans les addictions à la période de l’adolescence (12-15ans) avec une prédominance chez les hommes. La consommation de drogues à un âge précoce serait un facteur de vulnérabilité propice à l’éclosion des troubles psychotique ou schizophrénique. Layousoufi (20015) atteste que 63% des patients addicts hospitalisés ont un trouble schizophrénique, avec une préférence pour l’alcool, le cannabis, et les opiacés.

– Une prise en charge pas toujours adaptée

Le pays ne dispose pas de professionnels de santé spécialisés en addictologie (médecins, infirmiers, aides-soignants, etc.), et de traitements recommandés pour cette pathologie. La prise en charge des patients addicts est “essentiellement psychiatrique”. Si ces traitements psychiatriques, pour ne citer que les “benzodiazépines” sont utilisés pour le sevrage alcoolique, il n’en demeure pas moins, que le sevrage du tabac et des opiacés pose problème (absence de patch, gommes, pastille, Bupropion pour le cas du sevrage tabagique, de méthadone et buprénorphine pour les opiacés), ce qui pourrait justifier les multiples rechutes observées. Les traitements psychiatriques (tranquillisant /benzodiazépine, neuroleptique, antidépresseur, correcteur et hypnotique) n’ont d’importance qu’en cas de comorbidités psychiatriques, sans véritable action sur l’addiction au (tabac, cocaïne et opiacé.).

– L’épineuse question du Traitement ou de l’Incarcération 

L’addict est un individu qui consomme des produits illicites, passible de condamnation (Article 208 code pénal). Il est également un sujet en proie aux traumatismes issus d’évènements difficiles (viols, maltraitances, abandons, accidents, pertes), pour parler de “pathologie de l’affect”(Saiet,2011). La consommation de drogues intervient comme une tentative “illusoire d’automédication”. La perte de contrôle, les affections somatiques et psychiatriques, que les drogues engendrent, interpellent quant à l’urgence d’une prise en charge (médicamenteuse et psychothérapie). En cas de détention, une obligation de soins serait indispensable pour garantir une meilleure réinsertion sociale.

– Les croyances populaires et l’émergence des religiosités thérapeutiques

Le manuel Diagnostic et Statistique des Troubles Mentaux dans sa cinquième version (DSM-5, 2015), définit l’addiction comme un désordre causé par l’utilisation de drogues. C’est une maladie mentale au même titre que la psychose et la névrose. Les conceptions anthropologiques qui confèrent à la maladie mentale le statut de “maladie surnaturelle”, orientent les itinéraires thérapeutiques des patients addicts, qui ont en première intention les (pasteurs, exorcistes, féticheurs), et en dernier recours la médecine moderne, en cas d’échecs des premiers acteurs. Ces nouvelles formes d’assistances psychiatriques auraient un impact sur l’observance du traitement, renforceraient le déni de la maladie et justifieraient aussi les échecs thérapeutiques. Face à ce constat, comment envisager une prise en charge holistique, indispensable à l’équilibre psychique du patient ?

– Des pistes de solutions

L’efficience des soins en addictologie passe par la formation des professionnels de santé. Elle implique la construction des infrastructures sur l’ensemble du territoire, pour une meilleure accessibilité des populations rurales au soin. La mise à disposition dans les officines des traitements adaptés. Au regard de la précarité sociale et des coûts élevés des médicaments, exempter les gabonais économiques faibles à travers la “gratuité des soins”. La réalisation d’enquête épidémiologique au niveau national permettra une gestion optimale du phénomène (surveillance épidémiologique) et orientera les campagnes prévention dans les zones les plus touchées.

Le Quid sur la prise en charge des patients addicts au Gabon sera débattu à la 5e édition de la conférence mondiale sur la médecine des addictions, santé comportementale et psychiatrie, qui aura lieu du 21 au 23 2024 à Baltimore, Maryland, Etats-Unis. Après quatre ans d’activité en ambulatoire, nous avons relevé les difficultés auxquelles les praticiens sont confrontés au quotidien dans l’accompagnement des patients addicts. Ce congrès nous permettra de nous imprégner des nouvelles avancées sur les pratiques thérapeutiques, de créer un réseau de professionnels de santé, pour un appui à la formation des soignants en addictologie au Gabon, de discuter sur l’apport de la e-médecine dans la formation des professionnels de santé. Au sortir, de présenter un plaidoyer au ministère de la santé et des affaires sociales, sur des politiques publiques de prise en charge des malades mentaux en générale, et addicts en particulier

*Marie Stella Marehin, Maître-Assistant CAMES psychologie clinique et psychopathologie, Université Omar Bongo, Psychologue Clinicienne orientation clinique des addictions, Fondatrice du Cabinet de psychologie clinique ESPOIR & l’ONG Entraid’dépendances, Membre du Réseau International de Professionnel de la Toxicomanie (ISSUP)

 

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Milangmissi dit :

    Merci Pour cette contribution,
    Il y a une coquille qui m’a fait sursauter « Primum non nocere » l’auteur a oublier le Non.
    je trouve que l’auteur aurait pu nous expliciter certains termes « prévalence tabagique » « Global Tobaco Industry Interférence » …
    Dans les solution j’aurais rajouté, l’éducation populaire, les medias gabonais ne sont pas assez sollicités pour diffuser des spots.

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