Tribune | Accès des PME aux marchés publics : La nécessité d’affirmer le dispositif juridique
Si les nouvelles autorités ont décidé de n’attribuer les marchés publics du domaine des Travaux publics de moins de 150 millions de francs CFA qu’aux PME gabonaises, plus d’une fois publié sur GabonReview Judicaël Kou-Vassa, juriste spécialisé*, soutient dans la tribune ci-après la nécessité de mieux affirmer le dispositif juridique existant en la matière dans le but de faciliter l’accès à la commande publique de ces entreprises tenues par les nationaux.
Dans les économies modernes, nul ne conteste le rôle que jouent les petites et moyennes entreprises (PME) dans le devenir du tissu économique d’un pays. Celles-ci contribuent par leur dynamisme et leur capacité d’adaptation aux aléas du marché et constituent un vrai partenaire de proximité pour les pouvoirs adjudicateurs.
C’est sans doute dans ce contexte que l’on peut remarquer depuis le communiqué 024 du 25 octobre 2023 du CTRI sur l’attribution des marchés publics inférieurs à 150 millions aux PME gabonaises, un certain engouement autour de ces dernières. En effet, l’enjeu majeur dans cette décision est celui du développement économique des entreprises. Le marché public devient donc pour ces autorités de la transition un levier efficace, un instrument de politique économique contribuant à l’essor des PME gabonaises qui apportent une part importante à la croissance économique et à l’emploi.
Il s’agit donc là de reconnaitre que les PME demeurent des acteurs majeurs de l’économie gabonaise, elles ont toujours marqué l’histoire de l’entreprenariat et de l’investissement privé dans le pays et le droit des marchés publics gabonais contient des règles qui garantissent à différents degrés un certain accès de ces PME aux marchés publics.
C’est pourquoi il me parait nécessaire dans le cadre de cette réflexion non exhaustive, de rappeler aux autorités de la transition l’existence de mécanismes permettant de faciliter l’accès des PME gabonaises aux marchés publics au-delà de la décision issue du communiqué cité supra. Les lignes qui suivent seront donc consacrées à l’examen de la notion de PME gabonaise (1), et enfin, à l’appréciation des types d’accès aux marchés publics offert au PME par le droit gabonais (2).
- Signification de la notion de PME gabonaise
Plusieurs définitions de PME sont couramment retenues. Ces définitions se réfèrent à divers critères variant selon les textes législatifs ou règlementaires instituant des dispositifs d’aide ou de direction de ces entreprises : l’indépendance juridique ou financière, le nombre d’employés, le chiffre d’affaires annuel etc.
Au Gabon, il résulte de l’article 2 de la loi 008/2018 du 08 février 2019 portant orientation de la politique nationale de la promotion des petites et moyennes entreprises que la PME s’entend de « toute entreprise autonome productrice de biens ou services marchands qui emploie en permanence au plus 200 personnes et réalise un chiffre d’affaires annuel hors taxes n’excédant pas trois milliards de francs CFA, dont le siège social est situé sur le territoire national… ».
Cependant, l’évocation de la notion de « PME gabonaise », a un tout autre sens c’est en effet ce que nous fait dire l’article 3 de la loi nº 11/84 du 12 juillet 1984 portant modification de la loi 01/81 du 08 juin 1981, instituant des mesures administratives et financières propres à promouvoir les PME gabonaises. Il résulte en effet dudit article que : « sont considérées comme petites et moyennes entreprises gabonaises toutes les entreprises qui sont la propriété de personnes physiques gabonaises ainsi que les sociétés dont le capital est détenu pour au moins 51 % par des gabonais et pour lesquelles les fonctions de direction sont effectivement exercées par des nationaux… ».
Aussi, dans sa politique de promotion de la PME gabonaise, l’Etat réserve le privilège d’un accès prioritaire aux marchés publics à la PME agréée. Mieux, l’article 2 de la loi de la 008/2018 du 08 février 2019 portant orientation de la politique nationale de la promotion des petites et moyennes entreprises prévoient clairement que la PME agréée est « toute entreprise appartenant à un national ou dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux ».
C’est donc dire à la lecture combinée de ces dispositions, qu’une entreprise a le statut de PME gabonaise lorsqu’elle appartient à une personne de nationalité gabonaise ou lorsque son capital est détenu en majorité par des gabonais à qui le droit positif confère d’ailleurs l’exclusivité d’accès au régime particulier de l’agrément PME à travers notamment l’article premier de l’arrêté 0275/MCPMEI du 19 mai 2021 fixant les modalités de délivrance de l’Agrément PME.
- Les types d’accès aux marchés publics offert aux PME par le droit gabonais.
Le code des marchés publics comprend plusieurs mécanismes permettant aux PME d’accéder plus facilement aux marchés publics. Il existe des mesures simplifiant l’accès aux marchés publics à l’usage des entreprises qui vont directement soumissionner aux marchés et celles des entreprises qui vont simplement participer à la réalisation du marché. Pour les premières, ont été mises en place entre autres, des règles concernant l’allotissement (division des marchés en lots), la co-traitance (groupement d’entreprises qui peut être solidaire ou conjoint) et du régime préférentiel ce que l’on peut encore appeler accès direct (A). Pour les secondes, il s’agira de la sous-traitance que l’on peut désigner par le vocable accès indirect (B).
- De l’accès direct des PME gabonaises aux marchés publics
Disons que certaines règles sont utilisables directement par l’entreprise, c’est le cas du recours à la co-traitance (b) par exemple et d’autres sont utilisables par l’autorité contractante il s’agit notamment de l’allotissement (a).
- S’agissant de l’allotissement
Le code des marchés publics en son article 52, permet aux autorités contractantes de recourir à ce que l’on peut appeler un fractionnement des marchés ; c’est l’allotissement. Aussi, il faut dire que l’usage de l’allotissement est applicable à tous les marchés quel que soient les seuils.
C’est une sorte d’adaptation des marchés aux capacités des PME. Seulement, deux contraintes règlementaires s’imposent à l’autorité contractante : le choix doit être fait avant le lancement de la consultation et le recours à l’allotissement doit présenter des avantages financiers ou techniques, ou de promouvoir l’entrepreneuriat national.
Par ailleurs, l’allotissement est particulièrement utile lorsque l’importance des travaux, fournitures ou services à réaliser risque de dépasser les capacités techniques ou financières d’une seule entreprise. En effet, chaque lot, d’importance moindre, pourra être exécuté par des petites et moyennes entreprises. C’est donc le lieu de dire que l’allotissement permet d’associer les PME à des opérations complexes en leur permettant de se positionner sur la partie du marché correspondant à leur domaine de compétences. Cette ouverture du marché à une plus grande diversité d’entreprises stimule la concurrence et permet d’éviter qu’elle se réduise à quelques grandes entreprises, souvent les mêmes.
- S’agissant de la co-traitance
C’est l’article 191 du code des marchés publics qui consacre le groupement des candidatures ou d’offres. En effet, ledit article pose le principe selon lequel : « Les entrepreneurs, les fournisseurs et les prestataires de services peuvent présenter leur candidature ou leur offre sous forme de groupement solidaire ou de groupement conjoint […] ». Le groupement est conjoint lorsque chacun des membres s’engage à exécuter une ou plusieurs parties du marché identifiées quant à leur nature et à leur prix, sans encourir de responsabilité quant à l’exécution des autres parties du marché. Il est solidaire lorsque chacun de ses membres est engagé pour la totalité du marché.
Aussi, les concertations d’entreprises pour établir des liens de co-traitance ne sont pas prohibées. Tout au contraire dans le cadre de l’accès des PME aux marchés publics, la réponse en groupement est même favorable à l’exercice de la concurrence en ce qu’elle permet à un plus grand nombre d’entreprises de tailles différentes de candidater. Certaines règles sont tout de même à respecter par les entreprises qui ne doivent pas détourner les mécanismes à des fins d’ententes. Les entreprises ne doivent pas avoir pour seul but de se répartir les marchés mais les membres doivent pouvoir établir que la constitution du groupement est justifiée par des raisons techniques ou économiques.
Par ailleurs, l’intérêt du groupement réside bien entendu dans la possibilité pour les petites et moyennes entreprises de mutualiser leurs forces afin de se positionner sur des marchés pour lesquels elles n’auraient aucune chance de candidater seules, par manque de capacités techniques ou de solidité financière. En outre, la recherche de partenariats techniques, en plus d’offrir un accès aux marchés publics, permet également aux PME de se faire connaitre, d’obtenir des certificats de capacité de grands donneurs d’ordre public et d’entrer postérieurement, seule sur de nouveaux marchés publics.
- S’agissant du régime préférentiel
Pour les marchés passés soit sur appel d’offres, soit par entente directe, une marge de préférence nationale de dix pour cent (10%) pour les marchés de travaux et de quinze pour cent (15%) pour les marchés de fournitures est accordée à offres équivalentes, à la soumission présentée entre autres par une petite et moyenne entreprise nationale dont le capital est détenu majoritairement par des personnes de nationalité gabonaise ou de droit gabonais ainsi qu’à des groupements d’entreprises associant des entreprises gabonaises ou prévoyant une importante sous-traitance aux nationaux.
C’est une modalité d’accès des PME gabonaises aux marchés publics qui a un effet d’entrainement sur l’économie de notre pays et qui est prévue par l’article 119 de notre code des marchés publics. Aussi, certains critères tels que les délais d’intervention rapide peuvent justifier des considérations portant sur la préférence accordée aux personnes physiques ou morales implantées au niveau national.
- De l’accès indirect des PME gabonaises aux marchés publics
Très souvent des études négligent l’aspect important de la participation indirecte des PME gabonaises aux marchés publics par le biais de la sous-traitance. Pourtant, il est incontesté au Gabon que la sous-traitance offre, à de nombreuses PME gabonaises qui ne possède pas la capacité de gestion et d’organisation nécessaire pour soumissionner directement de meilleures chances de pouvoir participer aux marchés publics. Le recours à la sous-traitance peut même devenir un choix stratégique pour les PME gabonaises.
Au Gabon, ce sont les articles 186 à 190 du code des marchés publics, l’article 24 de la loi 008/2018 du 08 février 2019 portant orientation de la politique nationale de la promotion des petites et moyennes entreprises et l’ordonnance n°003/PR/2021 du 26 janvier 2021 portant règlementation de la sous-traitance dans notre pays qui encadre le mécanisme de sous-traitance. Ladite ordonnance consacre d’ailleurs en son article 4 la sous-traitance comme un contrat par lequel une entreprise dite principale confie, conformément à un cahier de charges à une ou plusieurs entreprises dites entreprises sous-traitantes l’exécution d’une partie de ses marchés ou commandes. Il va sans dire que ce cadre juridique permet de rassurer les entreprises sous-traitantes.
Il est donc aisé de comprendre alors quel intérêt représente pour une PME gabonaise la participation à un marché par le biais de la sous-traitance : c’est pour elle une occasion de se faire connaitre et d’obtenir des références futurs vers des soumissions directes à des marchés publics.
Il s’en infère donc que les autorités de la transition gagneraient énormément à travers cet encadrement juridique, à stimuler les PME qui expriment encore des réticences à entrer sur les marchés publics par le biais de la sous-traitance.
*Judicaël Kou-Vassa, juriste, expert junior confirmé en Marchés publics et en partenariats public-privés (PPP).
0 commentaire
Soyez le premier à commenter.