Nous voici, peuple de cette terre dite d’Afrique, 60 ans après le mémorable jour qui vit éclore c à Addis-Abeba. Si plusieurs générations actuelles ignorent ce qui fut dit, je les invite à la lecture de quelques actes, dont l’intemporel discours de Kwamé NKRUMAH. Par Yvan Comlan Owoula Bossou, Chercheur en Histoire des Relations Internationales/DHA-CREHA/UOB.

Première réunion de l’OUA à Addis Abeba, 1963. © Droits réservés

 

Yvan Comlan Owoula Bossou, chercheur en Histoire des Relations Internationales/DHA-CREHA/UOB. © D.R.

Si les objectifs d’une Afrique débarrassée du joug colonial ont été le fer de lance de l’OUA, on peut en toute aisance lui reconnaitre efficience et vision dans cette action car la décennie 1990 s’ouvrit avec un son de cloche différent de celui qui avait dominé le Continent du XVe siècle aux indépendances, en passant les affres de la guerre froide des blocs et le néocolonialisme. Depuis 2002, notamment avec l’Union Africaine (UA), le questionnement autour de la vision de l’Organisation africaine demeure plus urgent au regard du sombre et triste visage que présente l’Afrique aux yeux du monde.

Quid de la vision de l’Afrique ?

L’Afrique a hélas évolué depuis Berlin (1884-1885) sous le prisme de la division. Cette répartition a par ailleurs été scellée en 1964 par les africains eux-mêmes lors de la reconnaissance de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Or, dans ce même contexte, le principe d’une Afrique unie avait déjà été faussé, car l’Africain du lendemain devint, aussi subitement que brutalement, étranger à son frère d’hier. L’Afrique des Afriques naquît dès lors, avec une régionalisation qui, au constat, n’a finalement pas aidé le Panafricanisme. Entre anglophonie, francophonie, lusophonie, hispanophonie et arabophonie, la vision d’une Afrique indivisible ne resta que du point de vue géographique.

Les défis au plan du développement

D’un point de vue développementaliste, il convient de noter que la régionalisation est un véritable marqueur de différences et d’éloignement, mais encore, qu’il est le prétexte des Africains à s’auto-exclure de l’inclusivisme tant recherchée par les pères de Monrovia. Aujourd’hui, si développement il y a sur le Continent, on ne saurait sans équivoque en attribuer la paternité à l’OUA/UA, mais plutôt au régionalisme, mieux, à l’individualisme prospérant. Par ailleurs, très tôt, les États africains se sont précipités sur la voix de l’infrastructurel en minorant fatalement son lien avec l’économie et le social. Résultat, l’Afrique est première sur le rang des derniers, et les milliers de morts dans la méditerranée depuis la décennie 2000 en est le témoin.

Alors que Niamey, la capitale du Niger était indiquée pour accueillir la prochaine première session de la Commission économique et social de l’Afrique Unie, le Président Diori HAMANI lança, pour le compte de la Coopération économique, du haut de la tribune africaine ce même 25 mai 1963 : « L’Unité Africaine… il s’agit en somme de rechercher et mettre en œuvre les moyens qui permettront à l’Africain de participer activement à la vie des hommes des autres continents. Non plus en  citoyen de second rang, ni en producteur prolétarisé, ni en client assujetti, ni en imitateur servile des modes de vies étrangers, mais e, qualité d’homme libre, de producteur physiquement sain et techniquement qualifié, ayant non seulement atteint son développement maximum, mais encore conservé son patrimoine culturel, ses valeurs morales, son âme. »

 « Je désirerai insister singulièrement sur l’importance de la coopération économique comme approche de l’Unité Africaine. En l’occurrence, le réalisme et l’efficience doivent prévaloir sur la passion et la précipitation. Il ne sert à rien de nier que nous sommes placés, pour certains d’entre nous, dans des situations concrètes très différentes et que nous sommes inclus dans des systèmes économiques et monétaires qui n’ont pas, pour l’heure, de point de jonction réel. Ces faits entrent dans l’appréhension objective de l’évolution que nous voulons imprimer aux rapports économiques interafricains. » Disait le Président Léon MBA en mai 1963.

Entre économies éparses et faibles, l’absence d’une monnaie unique et africaine et la concrétisation de la ZLECAf que l’on tente de faire passer pour un projet nouveau (vieux de 1963), les échecs se compte par millier.

Les capacités africaines en question

Démographiquement, nul n’a été besoin de donner des leçons aux Africains pour qu’ils comprennent l’importance de la fécondité, le lit du pauvre étant le plus fécond, n’en déplaise à certains ! Seulement, la véritable question demeure, l’Afrique, au sens institutionnel l’a-t-elle compris ? Si d’ordinaire, c’est serait le cas, de quelle marge de manœuvre bénéficie une organisation en manque d’influence, de supranationalité et auto flagellée ?

Récemment encore, le Continent a été à genoux devant l’Occident pour quelques portions de blé, durant la crise sanitaire du Covid-19 ; la question du prix du baril du pétrole demeure emblémo-problématique et celle du climat et des davantage que peut en tirer l’Afrique l’est tout aussi aujourd’hui. Notons que l’Agenda 2063 a largement renseigné sur le « Africa We Want ! », qu’en fait-on ?

A l’heure où six pays d’Afrique souhaitent se coaliser pour l’envoie d’une mission de paix dans la crise russo-ukrainienne, l’incompréhension est à son comble car l’intelligence humaine se refuse de croire que malgré les besoins immenses en matière de paix et sécurité sur le Continent (Sahel, RDC, RCA…), les Africains incapables de relever ce défis, voudraient apporter de l’aide dans un contexte où l’Occident est solidaire et unie pour une même cause.  Est-ce de l’émotion nègre ? Les uns et les autres peuvent y répondre ! Quid de la Force Africaine en Attente (FAA) depuis 2003 ?

De « l’afro-idéalisme » en action

Pour orienter la progression de l’OUA vers ses objectifs, la Conférence des Chefs d’État et de gouvernement créa 5 Commissions spécialisées, à savoir : la Commission économique et sociale ; la Commission de l’éducation et de la culture, la Commission de la santé, de l’hygiène et de la nutrition ; la Commission de la défense et la Commission scientifique, technique et de la recherche. Reprises en 7 points dans l’UA (lire l’Acte Constitutif, Art. 14) avec le même substrat.

60 ans après, le constat d’une Afrique en quête de vision est palpable. L’ensemble des politiques africaines témoigne en effet de la nécessité de dépassement de la vision panafricaine de départ car celle-ci est vraisemblablement morte avec ses pères. Aujourd’hui, nous sommes sur la voix puissante de la construction de « l’in-domination » et de l’impuissance alors que tous les indicateurs postulent l’Afrique comme première de ce siècle comme nous le rappelait Jacques Chirac en février 2007, dans ce qui  a vraisemblablement été un discours-testament, devant les représentants de 48 États africains réunis au sommet franco-africain de Cannes. Entre réalisme et rêveries, « l’afro-idéalisme » s’est imposé comme facteur d’émancipation sans effets probants au détriment de l’afrocentricité, véritable levier de développement multidimensionnel. Toutefois, l’Afrique forte demeure réalisable car elle a démontré à travers les âges son irréversible capacité de résilience. Tout comme Jean-François OWAYE l’a à son tour démontré, il n’y a de politique que celle qui tient compte de l’historicité des peuples.

60 ans après, et ce n’est que courage de le dire, le bilan est mitigé. Que célèbre-t-on réellement ?

Yvan Comlan Owoula Bossou, Chercheur en Histoire des Relations Internationales/DHA-CREHA/UOB

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GR
 

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