En éludant certains faits, on ne se donne aucune garantie de non-répétition. En ne pointant pas les responsabilités, on court le risque de concevoir et conduire des réformes peu adaptées.

L’impression d’impunité alimente le ressentiment. On peut éviter de souffler sur les braises. Mais, il faut bien corriger les erreurs du passé. Pour créer les conditions d’un essor collectif vers la félicité, il faut contraindre chacun à revisiter l’histoire et à assumer les conséquences de ses actes. © Gabonreview

 

Par un audio, Léa Mikala a relancé le débat sur les conséquences de l’accident vasculaire cérébral d’Ali Bongo. «Qui a pris le décret, en janvier 2019, (…) pour remanier le gouvernement Issoze Ngondet et nommer Julien Nkoghé Bekalé» a, en substance, lancé l’ancienne ministre déléguée aux Eaux et forêts. Or, au lendemain de sa prise de pouvoir, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) avait accusé Noureddin Bongo Valentin et certains de ses proches de «falsification de la signature du président de la République». Quelques semaines avant, Jean Boniface Assélé et Paulette Missambo s’étaient interrogés sur la régularité de nombreuses décisions attribuées au président déchu. C’est dire si les cinq dernières années constituent un des principaux angles morts de notre histoire récente, marquée notamment par la démission de l’ensemble des institutions.

Des institutions démissionnaires

Au nombre des institutions démissionnaires, la Cour constitutionnelle. Saisie, d’abord par l’avocat Anges Kevin Nzigou puis, par le collectif Appel à agir, elle se refusa à statuer sur cette affaire, se fendant plutôt d’un communiqué pour dénoncer «un acharnement politique sans précédent relevant d’une démarche visant à déstabiliser l’Institution et surtout, (…) son président, Marie Madeleine Mborantsouo». Invitée à recadrer le directeur de cabinet du président de la République, alors en «tournée républicaine», elle se mura dans un mutisme éloquent, se gardant de mettre un terme à une initiative des plus burlesques. Comme si cela ne suffisait pas, le renouvellement de cette juridiction se fit dans des conditions inédites : pour la première fois, l’annonce ne fut pas l’œuvre de la télévision nationale ou du quotidien L’Union, mais des médias privés et réseaux sociaux, le service public se trouvant obligé de la relayer plusieurs jours plus tard.

Les usages sont des règles de droit non-écrites. Leur respect témoigne de la régularité d’une décision. Pris en intersession parlementaire et avant la tenue du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le décret n°00143/PR du 07 août 2019 suscita deux questions : quand le CSM avait-il choisi ses représentants ; quand les présidents des chambres du Parlement avaient-ils procédé au choix des nouveaux juges ? Comme on le pressentait, ces interrogations restèrent sans réponse.  Dans cette atmosphère d’opacité et de je-m’en-foutisme, la technostructure de l’Education nationale fut changée sur décision du ministre et non pas par décret pris en Conseil des ministres. En dépit des railleries de l’opinion, les zélotes du Parti démocratique gabonais (PDG) faisaient comme bon leur semblait, sommant leurs interlocuteurs de se taire. Malgré les protestations des syndicats, les tribunaux de l’ordre administratif restaient cois, faisant mine de ne rien voir ni entendre.

Passer de l’autoritarisme à la démocratie

Tout au long des cinq dernières années, les institutions ont ostensiblement refusé de jouer leur rôle. Interpellation après interpellation, saisine après saisine, elles se sont toutes débinées, évoquant un «fonctionnement régulier». Or, l’irruption de l’armée dans le jeu politique est toujours le contrecoup de dysfonctionnements majeurs. Comme l’a si justement relevé le CTRI, le Gabon «traverse une grave crise institutionnelle, politique, économique et sociale» née d’ «une gouvernance irresponsable, imprévisible». Autrement dit, contrairement aux certitudes des ténors du pouvoir déchu, le pays allait à vau-l’eau. Plus rien n’était tenu et ne fonctionnait conformément aux règles. En se gardant de le rappeler, on s’expose à une potentielle récidive. En éludant certains faits, on ne se donne aucune garantie de non-répétition. En ne pointant pas les responsabilités, on court le risque de concevoir et conduire des réformes peu adaptées. Or, loin de toute chasse aux sorcières, notre pays gagnerait à initier un processus de justice transitionnelle aligné sur les standards en la matière.

On peut toujours plaider l’apaisement. Mais, cela n’exonère pas de la recherche de la vérité sur ces «cinq années d’absence» évoquées par Ali Bongo lui-même. On peut en appeler à une transition inclusive. Mais, l’impression d’impunité alimente le ressentiment. On peut éviter de souffler sur les braises. Mais, il faut bien corriger les erreurs du passé. Pour créer les conditions d’un essor collectif vers la félicité, il faut contraindre chacun à revisiter l’histoire et à assumer les conséquences de ses actes. Peu importe les allégations des uns ou excuses des autres, notre société doit passer de l’autoritarisme à la démocratie, d’une tradition de violation au respect des droits de l’homme et d’une culture de l’impunité à une culture de la dignité. Si le CTRI doit réussir, nul ne doit être exempté de la reddition des comptes.

 
GR
 

6 Commentaires

  1. Serge Makaya dit :

    Félicitations ma fille Roxanne Bouenguidi pour ton article. Tu écris bien le français. A Ntare Nzame. Il faut que mon fils Brice Clotaire Oligui Nguema te trouve un nouveau job. Tu mérites plus que ça. Tu as raison d’écrire que  » nul de doit être exempté de la reddition des comptes. Nutrition, vraiment… A Ntare Nzame.
    .

  2. Rembourakinda dit :

    Pas de panique… Le gouvernement de transition ne peut pas tailler dans le vif, il n’en a pas la légitimité. Les scandales financiers oui, le reste le futur président élu va ouvrir les dossiers. Tous les criminels seront jugés.

  3. Diakurenguili dit :

    J’adhère! J’ajouterais qu’un homme/une femme peut fuir et même échapper à la justice des hommes MAIS JAMAIS À LA JUSTICE DIVINE!

  4. Akoma Mba dit :

    Que tous ceux qui se sont enrichis sur le dos des gabonais rende tout ce qu’ils ont pillé et volé, y compris tous les biens à l’étranger acquis de façon frauduleuse à travers des détournements de budgets entiers.Que pouvait-on attendre d’autre d’une junte au pouvoir pendant 55 ans où tout se nommait par des alliances de fesses au pure déni de la compétence et de la concurrence?

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