Transition démocratique : Trois faiblesses majeures
En s’interrogeant sur la particularité de la période en cours, l’opinion pointe des manquements dans l’identification des causes profondes du coup de force, dans la compréhension de sa signification et, dans la formalisation de certaines décisions.
Tous les jours et sous les tons, des gens s’interrogent sur la particularité de la période en cours. Après chaque communiqué du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) les mêmes questions reviennent. Au terme de chaque Conseil des ministres, les interrogations fusent. A travers chaque décision ou nomination, l’opinion essaie de cerner la direction empruntée par le pays depuis maintenant six mois. C’est dire si, aux yeux de bon nombre de citoyens, c’est encore la bouteille à l’encre. C’est aussi dire si, de par leurs agissements, certains protagonistes créent l’embrouillamini. C’est enfin dire si beaucoup de choses appellent clarification. Même si un mémorandum a été rendu public à cet effet, les autorités en place doivent se rendre à l’évidence : la Transition gagnerait à être affinée, reprécisée puis, réexpliquée. Au besoin, certains choix pourraient être reconsidérés.
Oligui Nguéma, tombeur ou successeur d’Ali Bongo ?
Peu importe les raisons, cette incompréhension met en lumière trois faiblesses majeures. D’abord, dans l’identification des causes profondes du coup de force. A l’exception des élections générales d’août 2023, les événements marquants des 14 dernières n’ont pas fait l’objet d’un examen circonstancié. Ni les quatre révisions constitutionnelles ni la déstructuration de l’administration au profit d’établissements publics souvent rattachés à la présidence de la République ni l’épuration administrative de septembre 2009 n’ont été rangés parmi les dérives. Le même constat vaut pour la présidentielle de 2016, l’assaut contre le quartier général de Jean Ping, la modification unilatérale de nombreuses lois et, la gestion hasardeuse de l’empêchement d’Ali Bongo, victime d’un accident vasculaire et cérébral en octobre 2018. Surfant sur ces manquements, acteurs et bénéficiaires de ces épisodes n’ont eu aucun scrupule à faire allégeance aux nouveaux dirigeants afin de se retrouver ou dans l’antichambre du pouvoir ou dans les institutions de la Transition. Au grand dam d’une partie de l’opinion.
Faiblesse dans la compréhension de la signification d’un coup de force, ensuite. Même au plus haut niveau de l’État, certains raisonnent comme si Ali Bongo n’a jamais été déposé, mais simplement remplacé. Comme si Brice Clotaire Oligui Nguéma n’est pas son tombeur, mais son successeur. Comme si la responsabilité des thuriféraires du Parti démocratique gabonais (PDG) n’est nullement en cause. Comme si l’ouverture pratiquée par le CTRI est un signe de faiblesse, un encouragement à continuer comme avant, et non pas une occasion de s’amender. Certes, les schèmes de pensée ne peuvent changer du tout au tout en un claquement de doigt. Mais il est stupéfiant d’entendre un président d’institution présenter ses homologues comme des représentants de «l’opposition», se définissant lui-même comme «la seule personnalité aujourd’hui en vue au niveau du PDG». Au-delà, il est ahurissant de l’entendre affirmer : «Il y a le président (de la Transition) que l’on peut considérer comme du régime. Mais, comme il est militaire, il est neutre».
Incompréhension ou malentendu ?
Faiblesse dans la formalisation de certaines décisions, enfin. Hormis les deux chambres du Parlement, toutes les institutions de la Transition n’ont pas pris la peine de se doter de textes juridiques propres, adaptés au contexte. Si les relations au sein du couple exécutif sont régies par la Constitution du 26 mars 1991, les rapports entre le CTRI et le président de la Transition ne sont nullement encadrés. De même, la Cour constitutionnelle de la Transition fonctionne sans loi organique ni règlement de procédure. Du coup, elle cède à la tentation de se servir d’instruments conçus par et pour une institution dissoute, comme on l’a révélé l’imbroglio né de l’honorariat mort-né de Marie-Madeleine Mborantsuo et Louise Angué. Dans un tel contexte, les réactionnaires n’ont guère de mal à instiller l’idée d’une prétendue continuité, faisant ainsi pièce à toute idée rupture. Quand on sait combien le terme «restauration» peut être polysémique, historiquement chargé ou idéologiquement connoté, on doit tirer la sonnette d’alarme.
Déjà des interprétations tendancieuses sont diffusées çà et là. De ce fait, l’incompréhension manifestée par une certaine opinion résulte d’un malentendu. Depuis six mois, certains relisent l’histoire. D’autres s’interrogent sur la signification politique et institutionnelle d’une rupture de l’ordre constitutionnel. Il s’en trouve aussi pour en rechercher les implications sur l’avenir. Dans tous les cas, la notion de transition démocratique est retournée dans les tous les sens. En formulant ces interrogations, les populations s’attendent à des explications ou à des mesures correctives. S’il veut s’assurer du soutien populaire, le CTRI doit leur répondre. S’il ne veut pas laisser le doute s’ancrer, il doit résolument tourner le dos à une certaine pratique politique.
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