Au lendemain du Dialogue national inclusif (DNI), il faut se demander si l’on gagne à reprendre puis normaliser des notions forgées et popularisées par les mouvements d’extrême-droite.

On ne peut inventer l’avenir sans tenir compte de l’histoire. De même, on ne peut user de notions douteuses, historiquement chargées et idéologiquement connotées, sans songer aux effets. © GabonReview/Shutterstock

 

À l’heure où le Comité constitutionnel national (CCN) est à l’ouvrage, il paraît utile de relire les conclusions du Dialogue national inclusif (DNI). Avec froideur et recul, il faut en analyser la portée pour en évaluer les incidences sur le vivre-ensemble, la démocratie et le développement du pays. Eu égard à l’ampleur des défis, nul n’a intérêt à se débiner ou à jouer au Ponce Pilate. En raison de la nature des enjeux, personne ne gagne à prendre les choses par-dessus la jambe ou à en minimiser les impacts. Pour «conduire la nation vers une démocratie et un Etat de droit véritables», chacun doit y aller sans calcul personnel ni arrière-pensée politicienne. Pour «arrêter et définir les grands principes d’organisation de l’Etat et des pouvoirs publics», chacun doit faire montre de dépassement. Ni les intérêts du moment ni les promesses de Grand soir ne doivent nous détourner de l’objectif : concevoir une nouvelle «organisation politique, économique et sociale de la nation après la Transition».

Legs de l’histoire

Pour attester de la perversité voire de la nocivité de certaines conclusions, certains ont tôt fait de convoquer l’histoire d’un pays ami et bien connu : la Côte d’Ivoire, longtemps confronté aux démons de l’«ivoirité», au point de sombrer dans une guerre civile de triste mémoire. Si ce parallèle peut sembler exagéré, il ne faut pas le minimiser pour autant. Pays de faible densité, le Gabon s’est construit avec des apports, forces et intelligences venus d’ailleurs. N’en déplaise aux tenants de théories brumeuses, le métissage de notre population est un legs de l’histoire. Pour cette seule raison, il faut sonder l’état d’esprit de tous ces compatriotes d’ascendance étrangère, issus de mariages mixtes ou mariés à des expatriés. Il faut se demander si l’on gagne à reprendre puis normaliser des notions forgées et popularisées par les mouvements d’extrême-droite. Quel message cela envoie-t-il à certaines composantes de notre société ? Quelle image cela donne-t-il de notre pays ?

Certes, il n’a jamais été question de dresser une frange de la population contre une autre. Encore moins de bannir certains compatriotes. Mais, on ne peut inventer l’avenir sans tenir compte de l’histoire. De même, on ne peut user de notions douteuses, historiquement chargées et idéologiquement connotées, sans songer aux effets. De ce point de vue, il aurait été plus sage de parler de «Gabonais ayant la nationalité gabonaise à titre de nationalité d’origine» et pas de «Gabonais de souche». Il aurait été plus indiqué de magnifier le concept «Gabon d’abord» au lieu d’évoquer «la préférence nationale». Dans un pays longtemps présenté comme une «terre d’hospitalité» voire d’immigration, cette rhétorique a quelque chose de pernicieux. Même si des abus ont pu être observés dans un passé récent, il faut éviter d’envoyer des messages malencontreux. Pour ne pas créer de confusion, il faut être précis, bien nommer les choses et faire attention aux mots.

Essentialisme, stigmatisation et discrimination

Au lendemain du DNI, le Gabon renvoie l’image d’un pays en proie à une crise identitaire. Comme si notre société était bâti sur le modèle communautariste, l’ascendance et les liens matrimoniaux sont présentées comme une ligne de fracture, un marqueur de citoyenneté. Dans cette atmosphère délétère, de nombreux leaders d’opinion esquivent le débat, se réfugiant derrière une supposée volonté populaire exprimée à travers les contributions citoyennes. Cette complaisance laisse libre cours aux bas instincts, faisant peser une lourde hypothèque sur le vivre-ensemble. Pourtant, on connait les causes du retard accusé par notre pays : corruption endémique, sectarisme partisan et, impunité. On n’y remédiera jamais en sombrant dans l’essentialisme, la stigmatisation et la discrimination. Par contre, les choses iraient mieux si chacun se soumettait aux principes de bonne gouvernance : Etat de droit, transparence, ouverture et responsabilité.

Pour «promouvoir l’alternance démocratique et l’inclusivité dans les fonctions politiques», il faut des institutions impartiales, respectueuses des lois, et non des officines au service d’intérêts particuliers. Pour «garantir le secret défense sur les grands dossiers de l’Etat», il faut en appeler à l’éthique et pas aux origines ou à l’identité des conjoints. Sur le continent, certains leaders ont instrumentalisé la question identitaire, causant bien de dommages à leurs peuples. Pourquoi le Gabon devrait-il reproduire une faute si grave, aux effets ravageurs ? Instruits par l’histoire, les républicains et démocrates doivent s’en souvenir : les dérives du passé n’étaient pas inhérentes aux lois, mais à la lâcheté des institutions et à la culture de l’irresponsabilité. Pour ne pas compromettre la construction d’une communauté de destin, il faut le redire. Sur tous les tons et tous les toits.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Goita dit :

    Tout est clair et limpide,bravo…

  2. MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Morceau au choix: « le Gabon s’est construit avec des apports, forces et intelligences venus d’ailleurs ». Bien nommer les choses et faire attention aux mots. C’est vous RB qui le dites. Moi je voudrais vous poser la question de savoir de quelle construction du pays parle t-on ?

    Plus loin pour placer la contradiction vous dites je cite « Pourtant, on connait les causes du retard accusé par notre pays : corruption endémique, sectarisme partisan et, impunité ».

    Enfin, évoquer le cas ivoirien est semblable (au cas du génocide rwandais). Pourquoi même en préventif parler des cas aussi violent alors qu’il eu été judicieux pour ma part de prospecter et rester dans la logique du coup d’Etat sans « rien » du 30 Aout 2023. Amen.

  3. Kangue dit :

    Cher Moudounga, le cas Rwandais est très différent, mais le concept d’Ivoirité a la meme odeur que le concept de Gabonais de Souche. Et il à fait ses preuves quand aux dégâts que cela peu causer.
    L’idée même d’une nationalité à 2 vitesses, avec des citoyens qui sont plus citoyens que d’autre a fait d’immense ravage dans l’histoire… Je vous rappelle que nous fêtons actuellement les 80 ans de la Libération… et la découverte atroce de l’Holocauste… qui a débuté, justement, par une simple nationalité à 2 vitesses… A l’époque, certains étaient moins Allemand que d’autre à cause de leur religion, doit on considérer que certains Gabonais seront moins Gabonais à cause de leur couleur de peau…
    Il faut réfléchir minutieusement avant de stigmatiser une partie de sa population car les conséquences peuvent être terrifiantes.

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