Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) ayant décidé de célébrer certains illustres défunts, les scientifiques doivent apporter du contenu à travers la production des connaissances, leur vulgarisation et leur introduction dans les curricula scolaires.

Le Gabon peut tracer sa voie vers une mémoire collective. Si l’Isrh aurait un rôle éminent à jouer dans une telle perspective, l’Etat doit en fixer les grandes orientations. © GabonReview (montage)

 

Après la célébration de la mémoire de Charles Ntchoréré, suite à l’inauguration de la statue de Nyonda Makita dit Mavouroulou et avant la fin de la construction de la stèle dédiée à Georges Damas Aléka, l’Institut de recherche en sciences humaines (Irsh) doit se sentir particulièrement interpellé. Disposant d’un département en charge de l’étude des sociétés anciennes et contemporaines, cette entité doit entendre le message et essayer de lui donner une suite aux plans scientifique et intellectuel. Comme ses homologues de nombreux pays de par le monde, il doit se positionner pour apporter sa pierre à ce travail de mémoire afin d’écrire un récit national authentique et consensuel. Si le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a décidé de célébrer certains illustres défunts, chercheurs et scientifiques doivent apporter du contenu. À travers la production des connaissances, leur vulgarisation et, pourquoi pas, leur introduction dans les curricula et autres manuels scolaires, ils doivent aider son ancrage.

Dénoncer des mensonges, rétablir certaines vérités, relancer des débats

Avec l’appui de l’Etat, l’Irsh doit se mobiliser pour organiser et promouvoir la recherche sur notre histoire, lointaine comme récente voire immédiate. Il doit batailler pour en finir avec sa stratégie d’opportunité, consistant à conduire des études financés de l’extérieur, mais correspondant à des préoccupations extérieures au Gabon. Avec l’aide de la puissance publique, il doit recenser, collecter et archiver l’ensemble des documents et études relatifs aux grandes séquences historiques : préhistoire, protohistoire, Esclavage, colonisation, premières années post-indépendance, parti unique, après-Conférence nationale et même après-Omar Bongo. En clair, il doit commencer par rassembler le matériau existant, sans se soucier de sa pertinence ou des considérations politiques. Ensuite, avec le soutien des pouvoirs publics, il doit mener ses propres études pour démêler le vrai du faux, la mystification idéologique de la vérité scientifique. Colon et pouvoirs politiques ayant eu tendance à triturer les faits, il devra y aller patiemment, avec méthode et rigueur.

«La mémoire collective ne sert pas seulement à établir l’identité de chaque groupe, elle est l’instrument politique… qui contribue à fixer les relations de pouvoir entre eux», explique en substance Jean Viard, sociologue français contemporain. Convaincu de cela, le pouvoir colonial avait tout fait pour se donner le beau rôle ou tirer la couverture de son côté, se livrant à une écriture idéologique de l’histoire. Même après les indépendances, cette tendance est restée en vigueur, en dépit de l’existence de quelques esprits libres et autres chercheurs iconoclastes. Depuis 1960, les différents pouvoirs n’ont rien fait pour corriger cette situation. Bien au contraire. Dans de nombreux cas, ils ont essayé ou d’imposer une nouvelle chronologie des faits ou de les minimiser ou de les escamoter. Le CTRI ayant pris l’option de magnifier certaines figures marquantes de notre histoire, l’Isrh ferait œuvre utile en le formalisant au plan intellectuel, quitte à dénoncer des mensonges, à rétablir certaines vérités ou à relancer des débats.

Un environnement propice au travail des historiens

Sur le continent, certains pays ont déjà eu à initier ou conduire des projets de décolonisation de l’histoire. D’autres ont eu à se pencher sur leur histoire contemporaine. On pense, d’une part, aux anciennes colonies portugaises et, d’autre part, à l’Afrique du Sud. Dans le premier cas, ces initiatives n’ont pas permis d’établir une connexion des mémoires, y compris au niveau académique, les exclusions sociales étant encore perçues comme le legs de l’histoire. Dans le second, elle a mis en lumière la vérité historique, mais n’a pas contribué aux rapprochement des protagonistes, le clivage raciale étant encore manifeste. En tout état de cause, il y a, d’un côté comme de l’autre, des enseignements à tirer. Sur ces fondements et loin de tout mimétisme, le Gabon peut tracer sa voie vers une mémoire collective. Si l’Isrh aurait un rôle éminent à jouer dans une telle perspective, l’Etat doit en fixer les grandes orientations.

Cette double exigence doit conduire à réfléchir à la mise en place d’un environnement propice à la recherche et au travail des historiens. Au-delà de la question des moyens financiers, il faut faciliter l’accès aux archives, nationales et internationales. Mais, il faut aussi autoriser des enquêtes et auditions. D’ores et déjà, il faut mettre en œuvre une politique du souvenir à travers le baptême de rues, la construction de monuments et la création de lieux historiques. Sur ces points aussi, les chercheurs de l’Isrh peuvent être d’une grande utilité. Ils peuvent, en tout cas, aider au recensement des événements, personnalités, lieux et dates susceptibles de former la trame d’un grand récit national, toujours au stade d’idée.

 
GR
 

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