En se murant dans le silence, le directoire du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) donne l’impression d’avoir des choses à cacher. Pour en finir avec cette opacité et cette navigation en eaux troubles, il faut tout repenser.

Le directoire du FGIS donne l’impression d’avoir des choses à cacher. Sur ses liens avec le FSRG ou la présidence de la République, comme sur la composition de son portefeuille, la gestion financière, les encours et participations ou les placements exclus, tant d’angles morts subsistent. © Gabonreview

 

L’affaire Ousmane Cissé a placé le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) sous les feux de la rampe. Si elle n’a rien appris à personne, elle a soulevé de nombreuses de questions, aiguisant la curiosité de l’opinion. En se murant dans le silence, le directoire de cet établissement public donne l’impression d’avoir des choses à cacher. Sur ses liens avec le Fonds souverain de la République gabonaise (FSRG) ou la présidence de la République, comme sur la composition de son portefeuille, la gestion financière, les encours et participations ou les placements exclus, tant d’angles morts subsistent. Personne ne sait comment s’y exerce la tutelle et le contrôle ni comment le FSRG y intervient. Encore moins par quel mécanisme ses dirigeants sont recrutés. Nul ne peut dire si le FGIS est régulièrement abondé, où place-t-il son argent, quels sont ses actifs et où vont ses bénéfices.

Lever un coin du voile

Les dirigeants du FGIS ont beau faire le dos rond. Il devient urgent de lever un coin du voile. En charge de la gestion du FSRG, le FGIS administre l’épargne nationale et doit être à même d’intervenir en cas de retournement de conjoncture. Par conséquent, sa stratégie doit être tournée vers le futur et des investissements à fort rendement. Est-ce le cas ? On peut en douter. Office pharmaceutique national (OPN), Société d’énergie et d’eau du Gabon (SEEG), Okoumé capital, Luxury Green Resorts, Société commerciale gabonaise de réassurance (SCG-Ré), Façade maritime du champ triomphal (FMCT), Gabon Power Company… On l’a vu prendre des participations dans des entreprises à capitaux publics, souvent à titre gracieux et par le fait du prince. Jamais, on ne l’a vu se déployer hors de nos frontières. Jamais on ne l’a vu intervenir dans des secteurs à forte rentabilité, notamment la finance, le mobile-banking, les technologies du futur, l’e-commerce…

Certes, eu égard à son mandat, le FGIS peut «prendre des participations dans des entreprises gabonaises», «soutenir (…) le développement des petites et moyennes entreprises gabonaises, dites de croissance», «stabiliser (…) le capital d’entreprises gabonaises présentant un caractère stratégique», «accompagner l’investissement des entreprises gabonaises et étrangères dans les secteurs stratégiques par leurs apports financiers»… Mais cela ne saurait expliquer pourquoi il se tient loin des poids lourds de l’économie nationale, notamment Gabon special economic zone (GSEZ), Gabon Telecom, les banques commerciales ou encore les filiales des majors pétrolières ou minières. Cela ne saurait non plus justifier pourquoi son champ d’intervention se limite aux frontières nationales. Ni pourquoi il s’est laissé entraîner dans la commercialisation de crédits-carbone, pourtant reconnue comme une grossière mystification.

Opacité et navigation en eaux troubles

Avant de créer un fonds souverain, il faut en définir les objectifs, simples et peu nombreux. Avant d’y nommer des gens, il faut être au clair sur sa gouvernance. Fonds d’épargne intergénérationnelle à l’origine, le Fonds pour les générations futures a subitement été transformé en fonds de développement. Entre 2010 et 2012, trois textes ont été adoptés à cette fin. Comme si le gouvernement ne savait pas où il voulait aller, la loi n°09/98 du 16 juillet 1998 a été remplacée par l’ordonnance n°020/PR/2010 du 25 février 2010 puis par l’ordonnance n°008/PR/2011 du 11 août 2011 et, enfin, par le décret n° 005/2012/PR du 13 février 2012 ! Comme on pouvait le prévoir, cette instabilité juridique a eu des répercussions institutionnelles et opérationnelles. Prévus par les textes, le conseil stratégique d’orientation du FSRG et le conseil d’administration du FGIS ne se signalent jamais. L’on se demande même s’ils se réunissent ou fonctionnent. Tout comme l’on se demande si des rapports d’activité sont produits ou si des audits sont conduits et selon quelle périodicité.

Pour en finir avec l’opacité et la navigation en eaux troubles, il faut tout repenser. Du champ d’intervention aux objectifs en passant par la stratégie d’investissement, la structure du fonds, la gestion et la répartition des actifs, tout doit être reprécisé puis aligné sur les standards internationaux. A travers le monde, des fonds souverains efficaces et vertueux existent, nombreux. Pourquoi le Gabon ne doit-il pas en prendre de la graine ? Pourquoi le directeur général d’une telle entité doit-il être nommé de façon discrétionnaire et pas suite à un appel public à candidatures ? Pourquoi le Parlement doit-il être tenu à l’écart de son fonctionnement ? La même question vaut pour les ministères en charge de l’Economie et des Finances. Faire du FGIS un modèle d’éthique, de transparence et de responsabilité : telle doit être l’objectif de la refonte, devenue une urgence.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Gayo dit :

    Ce que tu dis Roxane est difficile a comprendre pour Bilié Bi Nzé et Ali Bongo.

  2. Mezzah dit :

    @ Gabonreview, je ne comorends pas pourquoi les auteurs des articles ne revendiquent pas leur partinité.
    Un article comme celui-ci ne peut qu’être l’oeuvre d’un spécialiste, d’un fin connaisseur. C’est quelqu’un dont le pays peut avoir besoin, je lui tire mon chapeau. En même temps je comprendrai qu’il ne veuille pas exécuter les ordres des incompétents.
    Bravo l’artiste !

  3. Désiré NGUEMA NZONG dit :

    Bonjour Mme Roxanne BOUENGUIDI,

    Votre « paper review » est comme un pavé dans la mare. Vous avez écrit un article intitulé « Statut social du journaliste : Les termes du débat », datant du 4 mai 2023, sous la rubrique Société.

    Vous y soulignez avec vigueur et rigueur que  » … le rayonnement du journalisme dépend avant tout de la gouvernance politique. D’abord en raison de l’objet de ce métier: éveil des conscience et de défense de l’intérêt général. Ensuite, du fait de ses exigences : respect de la vérité, indépendance à l’égard de tous les pouvoirs, esprit critique et égalité des traitements. »

    Vous permettez que je fasse quelques rappels en matière de fonds souverains sans en être un spécialiste. Mais plutôt par souci de pédagogie.

    Les fonds souverains (« sovereign wealth funds », en anglais) sont des fonds publics d’investissement définis par le Fonds Monétaire international. Ils sont gérés ou contrôlés par un gouvernement national. Ils gèrent les actifs financiers (actions, obligations, etc.) dans une logique de plus ou moins à long terme. Leur politique d’investissement vise à atteindre des objectifs macroéconomiques précis, comme l’épargne inter-générationnelle, la diversification du PIB national ou le lissage de l’activité. Comme vous l’avez pointé, la particularité de notre fonds souverain est qu’il n’investit pas à l’étranger.

    Vous vous êtes posé une série de question qui ont grande valeur d’un point de vue de la gouvernance. Dans la mesure où il règne dans notre pays une forme d’opacité institutionnelle. En gros: « circulez, il y a rien à voir ». Ce pays appartient à tous les gabonais. Pourquoi nous mettre un bandeau sur les yeux? Et nous dire implicitement: c’est du domaine réservé de la PR.

    Non, la gestion des fonds publics doit être transparent et connue de tous (parlement, Ministère de l’économie et des Finances, Cour des comptes, CESS, etc.). C’est pourquoi, je pense que votre proposition allant dans le sens d’une refonte du fonctionnement de ces institutions est crédible. Toutefois, nos gouvernants sont-ils prêts à faire « un grand pas » vers l’économie de la transparence?

    Bravo pour votre article et bon continuation.

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