«La séparation rigide des pouvoirs» n’est pas une incantation. Méticuleusement, elle se conçoit. Froidement, elle s’élabore. Au terme de travaux du Congrès du Parlement, de nouveaux arbitrages pourront être effectués.

«Il faut d’abord consacrer l’indépendance et la spécialisation de chaque pouvoir, puis les doter d’outils pour freiner les abus des autres.» Or, «on est loin, très loin même de cette ‘séparation rigide des pouvoirs’ annoncée durant le Dialogue national inclusif.» © GabonReview

 

Quand ils sont verrouillés à l’excès ou conduits avec intransigeance, les processus débouchent toujours, aux mieux, sur des innovations difficilement explicables et, au pire, sur des curiosités intellectuelles. Depuis la fuite du «projet de loi portant Constitution de la République gabonaise», de nombreux observateurs se trouvent interloqués. À la lecture de ce texte, ils affichent doute et circonspection. Pêle-mêle, leurs interrogations portent sur la nature du régime, la responsabilité politique et pénale des futurs élus, et le maintien des acquis démocratiques, fussent-ils minimes. Pour éluder ces questions de fond, certains choisissent de botter en touche, usant d’une rhétorique aux relents politiciens pour proclamer leur soutien au président de la Transition ou exalter l’action du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI).

Un mécanisme déséquilibré et peu fonctionnel

Pourtant, depuis la mise en place du Comité constitutionnel national (CCN), on avait alerté sur les risques d’élaboration d’un mécanisme déséquilibré et peu fonctionnel. «Il faut se garder d’instiller la confusion», mettions-nous en garde, il y a quelques semaines, nous efforçant de présenter les piliers de deux régimes bien connus : présidentiel et semi-présidentiel. Manifestement, nous n’avons pas été entendus. «La probité morale et intellectuelle et le bon sens cartésien ne peuvent me laisser insensible devant ce que je qualifie d’hérésie  [et de] myopie politique», a asséné Alfred Nguia Banda, dès après la remise du projet de texte au président de la Transition. «Si nous voulons être dans un régime présidentiel, on aurait pu faire en sorte que le prochain président soit élu avec son vice-président de la République et ce serait plus clair», a lancé le député de la Transition Gérard Ella Nguéma, lors de l’audition du Premier ministre.

Aux termes du projet en cours d’examen, le président de la République est à la fois chef de l’État et chef du gouvernement. Il dispose ainsi d’importants pouvoirs : la présidence du Conseil des ministres ; les promotions discrétionnaires aux emplois supérieurs, civils et militaires, de l’État ; l’initiative et la promulgation des lois ; la dissolution de l’Assemblée nationale ; la présidence du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et, partant, la nomination des magistrats ; la désignation de six (6) des neuf (9) membres de la Cour constitutionnelle… Si le Parlement peut théoriquement user des moyens traditionnels de contrôle, il ne peut renverser le gouvernement par une motion de censure. Au mieux, il peut «prendre une résolution pour faire des recommandations au président de la République». Quant à la justice, elle se retrouve inféodée à l’exécutif. On est loin, très loin même, de cette «séparation rigide des pouvoirs» annoncée durant le Dialogue national inclusif (DNI).

Question prégnante

Depuis le 30 août 2023 et même avant, on a énormément disserté sur l’équilibre des pouvoirs et les moyens d’y parvenir. On a longuement évoqué la nécessité de construire un mécanisme endogène de poids et contrepoids. Rendue prégnante par les conclusions de la sous-commission «Politique et institutions» du DNI, cette question fait toujours débat. Et pour cause : «la séparation rigide des pouvoirs» n’est ni un slogan politicien ni une incantation. Méticuleusement, elle se conçoit. Froidement, elle s’élabore. D’abord, en consacrant l’indépendance et la spécialisation de chaque pouvoir. Ensuite, en identifiant leurs responsabilités respectives et en dotant chacun d’outils pour freiner les abus des autres. Enfin, en imaginant des mécanismes pour lever les obstacles, surmonter les blocages ou contraindre les acteurs à la négociation. Dans cet exercice, il faut aussi tenir compte de la prééminence des fonctions électives sur celles attribuées par nomination.

Si, au lieu de parcourir des constitutions écrites pour d’autres peuples, le CCN avait été guidé par ces principes, il serait certainement parvenu à autre chose. Il aurait peut-être réussi à construire un système où les pouvoirs s’équilibrent, où l’exécutif et le législatif sont condamnés au compromis. Est-il trop tard ? Loin de tout optimisme débridé, les carottes ne sont pas encore cuites. Même si l’article 3 du décret instituant la Constituante réduit ses conclusions à un «avis motivé», rien n’est définitivement perdu. Au terme de travaux du Congrès du Parlement, le CTRI et le gouvernement pourront procéder à de nouveaux arbitrages, sous l’autorité du président de la Transition. Ils auront même la latitude de composer un comité de relecture, quitte à y inclure d’autres organes de la Transition, jusque-là cantonnés au statut de spectateur. On pense singulièrement au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et à la Cour constitutionnelle. C’est dire si tout reste possible …

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Cyr tiburce MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. le sursaut qualitatif qui nous permettrait d’effectuer cet idéalisme tant souhaité est très hypothéqué du fait anthropique et sociologique gabonais. le fait marquant de ce conditionnement demeure le culte de la personnalité reconnu au chef de famille. De sorte que même au mbandja lieu démocratique par essence chez nous, il y toujours un dernier qui tranche même après débats.

    Transposé dans le contexte politique cet ancrage est exacerbé par la politique politicienne et ses nombreux avatars. Espérer donc un espace institutionnel assainie( indépendance et spécialisation des pouvoirs, liberté d’expression, etc.) commande un renoncement de soi et de chacun. Tout est possible et ça le DROIT de l’être au nom d’un GABON libéré des perfides trompeurs. Amen.

Poster un commentaire