« Du village traditionnel au campement urbain ». Le nouveau livre de Guy Rossatanga-Rignault a été présenté le 11 juillet dernier. Dans cet « Essai d’anthropologie juridique et politique de l’environnement au Gabon », l’auteur analyse la confrontation entre deux logiques opposées de la gestion de l’environnement. Professeur à l’Université Omar Bongo de Libreville, où il enseigne le droit public et la science politique depuis, Guy Rossatanga-Rignault explique, dans cette interview accordée à Gabonreview, les axes de cet essai.

Guy Rossatanga-Rignault, dédicaçant un exemplaire de l’ouvrage. © D.R.

 

Gabonreview: Pourquoi cet essai sur l’environnement ?

Guy Rossatanga-Rignault : Cet ouvrage est venu d’une réflexion à partir d’un certain nombre de constats. Le premier, plutôt positif, tient à ce que depuis toujours, l’État a fait montre d’un engagement clair en matière environnementale. Je rappelle dans le livre que c’est dans les années 60 que le président Léon Mba a procédé à l’inauguration de la Mission biologique de Makokou qui deviendra l’Institut de recherches et d’études centré sur l’écologie tropicale. Omar Bongo s’engagera dans une politique similaire. La décision de sanctuarisation de plus de 10% du territoire national en parcs nationaux a été le moment majeur en matière de politique de préservation de l’environnement. Le régime actuel est allé encore plus loin en engageant le pays dans les processus de négociation internationaux en matière climatique et, il y a plus d’un an, par la création en mer des aires protégées marines.

Mais, le hiatus c’est la perception et la réception de ces politiques publiques au niveau de la société, que ce soit sur le plan rural ou dans l’espace urbain. Dans l’espace rural, cette contradiction se manifeste sous la forme du conflit homme/faune qui chez nous prend la dimension du conflit homme/éléphant devenu au fil des ans, un problème social, économique et politique. Sous ce regard, le maintien des parcs nationaux est un problème avec les populations riveraines.

J’ai emprunté au Pr Jean Émile Mbot le concept de «campement urbain» comme moyen explicatif d’un certain nombre de phénomènes que nous constatons dans nos sociétés. Dans la société traditionnelle gabonaise, le campement est l’opposé du village. Autant, le village a un ordre, a des normes et des systèmes de contrôle, autant le campement se caractérise pour l’essentiel par de normes et systèmes de contrôle moins affirmés. La forme principale c’est celui du campement de plantation, situé loin du village. À Libreville, on constate qu’on est plus en face d’un campement que d’un village. Le village c’est une permanence, c’est une solidité, c’est quelque chose qui est assis. Nos villes ne sont plus des villages, mais ne sont pas des villes non plus. Ce sont des campements habités par des campeurs et donc des gens qui n’ont pas de normes. On le voit au regard de l’état environnemental de nos cités.

Quel est l’intérêt de l’anthropologie juridique et politique dans la gestion de l’environnement ?

J’ai voulu comprendre ce qui faisait par exemple en sorte que des gens qui sont généralement propres dans leurs villages deviennent sales quand ils arrivent à Libreville. Il est rare de trouver de la saleté dans les villages. Dans les villages, on creuse des fosses dans lesquelles on jette les ordures. Lesquelles serviront d’ailleurs de fertilisant pour toutes les petites plantations autour. Comment se fait-il que le type qui savait le faire dans sa brousse, une fois installé à Libreville, jette tout dans les caniveaux et s’étonne de dégâts quand la saison des pluies arrive ? Voilà autant de questions qui justifient cet ouvrage qui apporte un certain nombre de réponses pour expliquer et comprendre cet écart de comportements.

Voulez-vous sacrifier à une mode ou proposez-vous une grille de lecture sur le développement durable ?

Je ne risque pas de sacrifier à une mode. Mon premier papier sur ces questions date de 1994. Et j’ai pendant longtemps fait de la consultation environnementale. Je pense être parmi les premiers à avoir eu ce statut de consultant en matière d’environnement dans ce pays. J’ai travaillé pour des organismes aussi variés que le WWF, le PNUD, la Banque mondiale, etc. Sur le plan institutionnel, j’ai été en charge ces dernières années de toutes les questions de négociations sur le changement climatique, notamment tout au long de la Cop 21 qui a cristallisé l’action climatique internationale.

Mon travail en tant que chercheur, c’est de constater les situations et essayer de les rendre intelligibles en essayant de comprendre pourquoi il y a tel ou tel comportement. Là-dessus, c’est à partir des outils de l’anthropologie que j’ai essayé de le comprendre. Le dernier chapitre est consacré à la question du développement durable sur la base d’une interrogation. La question que je me suis posée c’est de savoir si ce qu’on appelle développement durable aujourd’hui n’est pas qu’un autre nom de la gestion traditionnelle de l’environnement.

Vous ne trouverez pas dans une langue du Gabon un mot qui signifie nature, qui signifie environnement. Le génie des langues est fait qu’il n’y a pas de nécessité de nommer quelque chose de naturel. On nomme une réalité avec laquelle on peut «dealer» en permanence. Or, l’homme bantou traditionnel ne se concevait pas comme extérieur à une nature à laquelle il doit commander. Il se considère comme petit élément de cette nature avec laquelle il est obligé de négocier en permanence pour assurer sa propre survie. Dans un système de ce type, il ne peut pas protéger l’environnement.

À l’inverse, la civilisation née de l’esprit occidental a quitté la tradition il y a plusieurs siècles et sur le plan philosophique, la question se résume à la dichotomie nature/culture. L’homme africain est dans la nature, l’homme occidental a quitté la nature pour entrer dans la culture en estimant que la culture était une coupure radicale avec la nature. Donc l’homme a la culture et parce qu’il a la culture, il doit dominer la nature. À force de dominer la nature, on encaisse un choc en retour qui s’exprime sous la forme de dégâts environnementaux.

Cette perception de l’homme bantou ne déresponsabilise-t-elle pas nos sociétés face aux enjeux actuels ?

C’est une bonne question. Mais ayons toujours à l’esprit que je parle du bantou traditionnel qui n’est ni vous ni moi. L’anthropologie c’est la recherche des causes originelles. Je rappelle comment le «premier» bantou gérait son environnement. Vous faites bien de poser la question parce que le bantou actuel n’est pas devenu un Occidental, il n’est plus véritablement un Bantou et c’est tout le problème. L’Afrique dans sa totalité n’émet même pas 10% des gaz à effet de serre qui sont à l’origine des troubles climatiques actuels. Ces émissions viennent du nord et de la Chine. Mais, penser que c’est parce que nous ne sommes pas à l’origine de la catastrophe que nous ne devons pas nous en inquiéter, c’est une grave erreur. Les effets des changements climatiques auront lieu au sud. Sur tout le trait de l’atlantique, la mer avance. Il y a des villages qui ont disparu au Bénin, au Sénégal, parce que l’océan a avancé et engloutit tous les villages. Aucun pays sur la côte atlantique ne peut y échapper. Ce n’est pas pour créer la panique, mais quand vous avez une ville comme Port-Gentil qui se trouve en dessous du niveau de la mer, il faut en prendre conscience en édifiant notamment des digues. Cela coûte extrêmement cher. Les pays du Nord ont les moyens de se protéger contre ces effets, ce qui n’est pas le cas des pays du Sud.

Guy Rossatanga-Rignault © D.R.

Concrètement, que propose cet essai à l’espace bantou pour parvenir à une gestion raisonnée de son environnement ?

Ce sont les politiques qui proposent des solutions de ce type. Le scientifique est là pour constater une situation, expliquer comment elle est arrivée et à partir de ce moment, c’est aux décideurs et l’ensemble de la société de ne pas faire ce qui a provoqué cette situation. Par ailleurs, la question de l’environnement ne peut pas se résoudre à des réponses locales. Une pollution n’a pas besoin de visa pour traverser des frontières. La catastrophe de Tchernobyl en URSS a eu des effets jusqu’en France. Nous avons l’Ogooué qui prend sa source dans les plateaux Batéké au Congo. Mais si les Congolais installent une usine chimique à côté de la source de l’Ogooué, tous les dégâts sont susceptibles d’arriver à Port-Gentil. Ce sont des questions transversales et les réponses ont intérêt à être intégrées dans une approche globale.

Pourquoi n’avoir pas opté pour un essai juridique pour un sujet en quête d’instruments juridiques contraignants ?

La question est intéressante, mais elle relève beaucoup plus du rêve. Le principe qui gouverne la société internationale c’est le principe de la souveraineté des États. C’est une force, mais c’est une faiblesse et c’est dommageable dans les questions de ce type. Même les mesures contraignantes dans la société internationale sont parfois contre-productives. Il vaut mieux plus la négociation que les principes qu’on doit déterminer comme contraignants. Il ne sert à rien de mettre une contrainte juridique qu’on n’est pas en mesure d’exercer. En matière d’environnement notamment en matière climatique, le mauvais exemple c’est le protocole de Kyoto. En voulant mettre des contraintes, on a tué le protocole. Il vaut mieux privilégier un cadre de concertation. En matière juridique, le bon est meilleur que le mieux.

Les gens doivent comprendre que la question de la protection de l’environnement est sérieuse et nous concerne tous. Il faut trouver des mécanismes qui permettent aux populations de s’intégrer dans ce processus. Ces mécanismes, c’est d’éviter d’imposer des choses sans concertation et de faire participer les populations villageoises dans tout ce qui est fait pour la protection de l’environnement. Exemple dans le cadre des parcs nationaux, prendre la main-d’œuvre villageoise au lieu d’imposer des fonctionnaires issus d’autres régions, pour éviter de faire croire qu’on est toujours dans la logique coloniale. C’et toutes ces petites choses qui font problème et qui renvoient aux centres urbains. Ceux qui habitent majoritairement à Libreville, ce ne sont pas des originaires de Libreville. Ils n’ont aucun rapport ni affectif ni sacré avec cette terre. Ils sont de passage, c’est ça le campeur. Quand ils ont fini de prélever l’objet du campement, ils repartent au village. C’est l’essentiel du contenu de ce livre.

Propos recueillis par Alix-Ida Mussavu

 
GR
 

1 Commentaire

  1. Mandzanga dit :

    Toutes mes félicitations au Pr. Rossantaga pour ce brillant texte !

    Il explore une piste inédite de la recherche recherche Africaine qui examine la société actuelle sur deux postulat (urbain et rural).

    RM.

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