Bois précieux au cœur d’un scandale retentissant en 2019, le kévazingo est de nouveau autorisé à l’exploitation. Issue du dernier conseil des ministres, la décision du gouvernement de transition ravive les inquiétudes écologiques et pourrait réveiller la frivolité du marché noir. Entre opportunités lucratives pour le pays et menaces pour la biodiversité, le sort de ce trésor du Gabon soulève en tout cas des questions déterminantes sur l’avenir environnemental du pays.

La découverte de 10 conteneurs de kévazingo, en novembre 2023 dans un entrepôt à Owendo, démontre la persistance du commerce illégal, malgré l’interdiction [sur les lieux, le ministre des Eaux et Forêts, le Colonel Maurice Ntossui Allogo, porteur du décret ici en question]. © D.R.

 

La décision marque absolument un tournant dans la politique environnementale du Gabon : à l’issue du Conseil des ministres du samedi 31 août, le gouvernement de transition a annoncé l’assouplissement des restrictions sur l’exploitation du kévazingo.

Raisonnement valable ? Revirement stratégique ?

Arbre emblématique, le kévazingo avait été placé sous protection stricte en 2018 par le gouvernement du président déchu Ali Bongo, en réponse à un trafic grandissant. La nouvelle réglementation, annoncée un an exactement après le coup d’État ayant porté les militaires au pouvoir, autorise désormais l’exploitation de cette essence dans des «concessions gérées durablement» et sous surveillance géoréférencée.

Porté par le ministère des Eaux et Forêts, le projet de décret portant autorisation et fixant les conditions d’exploitation du Kévazingo vise, selon le rapport du Conseil des ministres «à instaurer un cadre  réglementaire plus strict pour l’exploitation du kévazingo, une essence forestière précieuse et  menacée. Il limite l’exploitation à des concessions aménagées de manière durable, renforce la traçabilité grâce à un système de géoréférencement, et exige un permis CITES pour l’exportation des produits finis».

Cette décision intervient dans un contexte où le Gabon tente de concilier ses ambitions économiques avec son rôle de gardien du bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie. À travers le communiqué final du conclave gouvernemental, le Colonel Maurice Ntossui Allogo, ministre des Eaux et Forêts, a souligné que cette mesure vise à «stimuler le développement économique des régions forestières et créer de nouvelles opportunités d’emploi».

Enjeux et ‘’Kévazingogate’’

Prisé en Asie pour la fabrication de meubles de luxe et d’instruments de musique, le kévazingo représente un potentiel économique considérable. Un mètre cube de ce bois peut atteindre jusqu’à 3000 euros (près de 2 millions de francs CFA) sur le marché international. Mais sa rareté et sa croissance lente soulèvent des inquiétudes quant à la durabilité de son exploitation. La réouverture de son exploitation pourrait donc générer des revenus significatifs pour le Gabon, mais elle comporte des risques écologiques majeurs. Car, la «survie de cette espèce dépendra de l’efficacité des mesures de contrôle mises en place», estime un agent des Eaux et Forêts.

La décision de la junte rappelle inévitablement le scandale du ‘’Kévazingogate’’ ayant secoué le pays en 2019. La disparition de 353 conteneurs de kévazingo, d’une valeur estimée à plus de 45 milliards de francs CFA, avait conduit au limogeage du vice-président d’alors (Pierre Claver Maganga Moussavou) et du ministre des Forêts de l’époque (Guy-Bertrand Mapangou), révélant l’ampleur du trafic et la corruption qui gangrène le secteur forestier. Plus récemment, début novembre 2023, la découverte de 10 conteneurs de kévazingo dans un entrepôt du port d’Owendo a démontré la persistance du commerce illégal, malgré l’interdiction.

Une réglementation sous haute surveillance

Le nouveau décret prévoit des mesures strictes pour encadrer l’exploitation du kévazingo : d’abord l’obligation, pour l’exportation de produits finis, d’obtenir un permis CITES [Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction]. Ensuite, la mise en place d’un système de géoréférencement pour suivre chaque arbre exploité. Et, enfin, l’encouragement à la transformation locale pour maximiser la valeur ajoutée sur le territoire gabonais.

L’autorisation d’exploiter le kévazingo sous conditions est résolument un nouveau tournant dans la gestion des ressources naturelles du Gabon. Elle reflète les défis auxquels font face de nombreux pays riches en biodiversité : trouver un équilibre entre développement économique et préservation de l’environnement. De toutes façons, le succès de cette initiative dépendra de la rigueur dans l’application des régulations et de la capacité du gouvernement à résister aux pressions du marché noir. L’avenir du kévazingo, et plus largement de la forêt gabonaise, est désormais entre les mains de la junte militaire et de sa vision pour l’avenir écologique et économique du pays. Le Gabon pourra-t-il démontrer qu’une exploitation forestière responsable est possible, même pour les essences précieuses les plus convoitées ?

 
GR
 

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