Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, n’est plus seulement un technocrate brillant des salles de marché. Depuis vendredi dernier, il a prêté serment en tant que Premier ministre canadien, un rôle qui l’amène à affronter un défi majeur : comment concilier l’économie et l’écologie dans un pays encore largement dépendant des énergies fossiles ? Adrien NKoghe-Mba* explore ici les implications de la nomination de Carney, un homme qui a su anticiper la «tragédie des horizons» et qui, désormais au sommet du pouvoir, devra prouver que la finance et le climat sont réellement inséparables.

Si les marchés ne réagissent pas à temps, la prochaine crise financière ne viendra pas d’un krach immobilier ou d’une bulle technologique, mais d’un effondrement climatique. © GabonReview

 

Mark Carney, le nouveau Premier ministre canadien, a prêté serment vendredi dernier lors d’une cérémonie à Ottawa. Oui, vous avez bien lu. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, l’homme des salles de marché et des politiques monétaires, s’apprête à diriger un pays. Et ce n’est pas une anomalie : c’est une évolution logique. Carney n’est pas seulement un technocrate brillant, c’est aussi l’un des rares économistes à avoir compris une vérité fondamentale de notre époque : la finance et le climat sont désormais inséparables.

Et si vous ne l’avez jamais entendu parler de politique, vous avez peut-être entendu son expression la plus célèbre : la tragédie des horizons.

Quand le court terme nous tue

En 2015, Mark Carney s’adressait aux assureurs londoniens. Mais au lieu de parler d’inflation ou de taux d’intérêt, il a mis sur la table un concept révolutionnaire : le plus grand danger économique de notre siècle ne vient pas des crises financières, mais du dérèglement climatique.

Le problème ? Le climat fonctionne sur des décennies, alors que nos systèmes politiques et financiers raisonnent en trimestres et en cycles électoraux. Les dirigeants d’entreprise maximisent leurs profits à court terme. Les politiciens veulent être réélus dans quatre ans. Mais les effets du changement climatique—ouragans plus violents, sécheresses prolongées, migrations forcées—se manifestent bien après ces échéances. Résultat ? Personne ne prend le problème à bras-le-corps.

C’est ça, la tragédie des horizons : nous sommes enfermés dans une logique où le court terme prime, alors que la menace la plus grave agit sur le long terme.

Une réalité brutale pour le Sud

Cette tragédie n’est pas abstraite. Si vous êtes en Amérique du Nord ou en Europe, elle se mesure en milliards de dollars de pertes pour les entreprises et les assureurs. Mais si vous êtes en Afrique, en Asie du Sud ou en Amérique latine, elle se mesure en vies humaines.

Car pendant que les grandes puissances temporisent, les pays du Sud vivent déjà la catastrophe. Les agriculteurs voient leurs terres devenir incultivables. Les villes côtières sont menacées par la montée des eaux. Les vagues de chaleur tuent des milliers de personnes chaque année. Mais les investisseurs hésitent à financer l’adaptation climatique, parce qu’elle ne rapporte pas assez vite.

Les banques prêtent encore pour des projets fossiles, car les profits sont immédiats. Elles refusent de financer massivement la transition verte, car le retour sur investissement est trop lointain. C’est le cœur du problème : le système financier mondial fonctionne avec des horizons trop courts pour voir venir la plus grande menace de notre siècle.

Carney, le banquier qui parle climat

Contrairement aux militants, Mark Carney ne joue pas sur l’émotion. Il parle la langue des marchés. C’est pourquoi il a passé ces dernières années à convaincre les investisseurs d’intégrer les risques climatiques dans leurs décisions. Il a aidé à créer la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), une initiative qui oblige les entreprises à déclarer leur exposition aux risques climatiques.

Son message est simple : un investissement fossile aujourd’hui est une perte demain. Les actifs pétroliers deviendront des « actifs échoués » (stranded assets), c’est-à-dire des investissements sans valeur. Si les marchés ne réagissent pas à temps, la prochaine crise financière ne viendra pas d’un krach immobilier ou d’une bulle technologique, mais d’un effondrement climatique.

Un Premier ministre face à l’histoire

Et maintenant, Mark Carney arrive au pouvoir. Il ne dirigera plus une banque centrale ; il dirigera un pays. Et ce pays, le Canada, est une puissance énergétique, encore largement dépendante du pétrole et du gaz.

La question est donc simple : ce banquier qui a passé une décennie à alerter sur les dangers de la tragédie des horizons pourra-t-il en sortir lui-même ? Pourra-t-il concilier l’économie et l’écologie dans un pays dont la richesse repose en partie sur les hydrocarbures ?

Carney a toujours dit que le climat et la finance étaient inséparables. À partir d’aujourd’hui, il ne pourra plus se contenter de le dire. Il devra le prouver.

*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

 
GR
 

1 Commentaire

Poster un commentaire