Présidentielle 2023 : La sérénité face à l’initiative Matha
Ou le ministre de l’Intérieur connait déjà le verdict des urnes, au point de se projeter ; ou il entend confier le maintien de l’ordre à des individus sans formation aucune, quitte à semer le chaos et la désolation. Tout ceci ne semble pas conforme au fonctionnement d’un Etat démocratique.
Le triple scrutin n’a pas encore eu lieu, mais il fait déjà craindre le pire. A moins d’un mois de sa tenue, les institutions paraissent dépassées, pas du tout préparées et prêtes à user des moyens les plus déloyaux. Durant la remise du matériel électoral au président du Centre gabonais des élections (CGE), le 30 juillet à Libreville, le ministre de l’Intérieur a annoncé le recrutement imminent de 1 000 à 1 200 policiers. De deux choses l’une : ou Lambert-Noël Matha connait déjà le verdict des urnes, au point de se projeter au lendemain de la présidentielle ; ou il entend confier le maintien de l’ordre à des individus sans formation aucune, quitte à semer le chaos et la désolation. Dans un cas comme dans l’autre, tout ceci ne semble ni rassurant ni engageant. Et surtout pas conforme au fonctionnement d’un Etat démocratique.
Confiance érodée, méfiance enracinée
Comme à chaque présidentielle, le rôle des forces de sécurité, leur immixtion dans le jeu politique et le distinguo entre maintien de l’ordre et répression alimentent la chronique. Va-t-on vers un remake de 2009, quand les Bérets rouge sonnèrent la charge contre les populations et des candidats massés devant la Cité de la démocratie pour exiger la vérité des urnes ? Avance-t-on vers une réédition de 2016, quand une marche populaire fut brutalement réprimée sur le boulevard Triomphal avec, en prime, plus d’un millier d’arrestations sur l’ensemble du pays ? Ce recours inconsidéré à la «violence légitime » a certes permis aux animateurs d’institutions de demeurer en poste. Mais il les a coupés du peuple, rendant illusoire tout dessein collectif. Est-ce un hasard si, après 14 ans de pouvoir, le bilan d’Ali Bongo est jugé «médiocre» ?
Entre dirigeants et dirigés, la confiance s’est érodée au fil d’élections peu transparentes. Entre les forces de défense et le peuple, la méfiance s’est enracinée à force de répression. Ni les oukases ni la mise au ban de nombreuses personnalités ni les mains tendues n’ont permis de ramener la sérénité, d’assainir le climat social et de créer les conditions de travail. A l’orée d’une nouvelle présidentielle, la remise en cause des acquis du Dialogue national d’Agondjè est venu attester d’une chose : pour le pouvoir en place, les concertations politiques sont des jeux de dupes, des parties de poker menteur destinées à lui permettre ou de gagner du temps ou de cadenasser le jeu politique à son seul avantage. S’il venait à faire comme toujours, c’est-à-dire user de la répression avant d’appeler au dialogue, les autres acteurs auraient alors beau jeu de lui rappeler ses dernières volte-face puis de durcir le ton, au risque d’entraîner le pays dans une escalade à l’issue incertaine.
Le pays va «dans la mauvaise direction»
Au demeurant, l’initiative du ministre de l’Intérieur se justifie difficilement. Même s’il a tenté d’en livrer les fondements, aucun d’eux ne paraît pertinent : s’il n’y a pas eu de recrutement depuis 2015, rien ne l’obligeait à y remédier en plein processus électoral ; si des agents ont atteint l’âge de la retraite, aucune planification n’atteste du déficit en personnel ; si les recrutements à la Fonction publique ont été gelés pendant des années, les forces de sécurité constituent déjà plus de 36% des fonctionnaires, contre 21% pour les enseignants. D’ailleurs, l’enquête d’Afrobarometer 2021 est catégorique : la lutte contre le crime et l’insécurité arrive en 6ème position parmi les préoccupations des Gabonais, loin derrière le chômage, la santé, l’éducation, les routes et l’accès à l’eau potable. Par contre, pour plus de 90% de nos compatriotes, le pays va «dans la mauvaise direction».
N’en déplaise zélateurs de service, 42,3% des Gabonais disent n’avoir «pas du tout confiance» dans la police et la gendarmerie, 33,1% affirment avoir «juste un peu confiance». S’agissant des forces de défense en général, ces chiffres se situent respectivement à 38,5% et 31,8%. C’est dire si, au-delà des personnes appelées à sortir du chômage, le recrutement en cours ne rassure pas grand monde. Bien au contraire, la police s’étant toujours illustrée par des brutalités et abus envers les populations, notamment en période électorale ou durant les luttes pour les libertés publiques et droits économiques. S’il n’est pas mu par d’arrière-pensées bellicistes, Lambert-Noël Matha peut encore revenir sur ses pas pour laisser à son successeur le soin de procéder à un recrutement dans les règles de l’art et loin de tout soupçon.
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