En croyant bien faire, d’aucuns ont dévoyé le référendum, lui donnant malencontreusement une dimension trop personnelle pour les dirigeants actuels.

Là où on s’attendait à des échanges sur la durée du mandat présidentiel, la limitation du nombre ou les critères d’éligibilité à la présidence de la République, on a droit à des envolées sur le patriotisme et la «réappropriation du pays». © GabonReview

 

Par définition, les campagnes électorales sont des moments d’intenses débats, d’échanges francs et vifs, de confrontation des propositions et d’opposition d’arguments ou d’idées. Annoncée de longue date, celle comptant pour le référendum à venir devrait être assez singulière : tout en ne dérogeant pas à la forme, elle devrait être axée sur les avantages et inconvénients du régime politique choisi, l’organisation et le fonctionnement des institutions, les interactions entre elles, mais aussi les droits et libertés des citoyens. Pourtant, au train où vont les choses, elle peut malheureusement prendre une toute autre signification. En clair, deux risques d’égale gravité poignent maintenant à l’horizon : soit elle vire en un plébiscite, c’est-à-dire en une consultation destinée à légitimer le pouvoir du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) et à valider ses options stratégiques ; soit elle devient une question personnelle pour le président de la Transition.

Tout sur tout, sauf sur le texte

Depuis quelques semaines, en effet, il y a comme un glissement voire un changement d’enjeux. Même si d’aucuns feignent de ne pas s’en rendre compte, les appels répétés à un «oui» franc et massif ont totalement perverti le débat, poussant certains à se prononcer pour le «non». Or, il n’est pas inutile de le rappeler : ni les uns ni les autres n’ont eu accès au projet de texte, le Comité constitutionnel national étant toujours à pied d’œuvre. Sur quels fondements prennent-ils alors ces positions à la fois définitives et tranchées ? Sur quelles bases s’étripent-ils et construisent-ils leurs discours respectifs ? À en croire les uns et les autres, leur démarche se fonde sur deux éléments : d’une part, les conclusions du Dialogue national inclusif (DNI), d’autre part, les résultats du travail abattu depuis le 30 août 2023. Autrement dit, il n’est plus question de juger de la pertinence du texte, mais d’apprécier le processus en cours et les actions du CTRI.

Là où on s’attendait à des échanges sur la durée du mandat présidentiel, la limitation du nombre ou les critères d’éligibilité à la présidence de la République, on a droit à des envolées sur le patriotisme et la «réappropriation du pays». Là où on espérait avoir droit à des discussions sur les pouvoirs du président de la République, sa relation aux autres institutions, sa responsabilité politique et pénale ou son rôle dans l’administration de la justice, on est abreuvé de déclarations de soutien au président de la Transition ou de diatribes contre son action. Là où on croyait entendre des développements sur le bicaméralisme, on est inondé d’odes à la Transition ou de discours catastrophistes. Là où on entrevoyait des débats sur cette «séparation rigide des pouvoirs» tant proclamée, on entend des jugements de valeur sur la gouvernance du CTRI. Au final, on entend tout sur tout, sauf sur le texte, même pas sur les quelques éléments ayant fuité chez notre confrère Radio France internationale.

Eviter la «dérive plébiscitaire»

Même si on peut entendre les arguments sur la complexité du droit constitutionnel ou le «vote disqualifiant», toutes ces postures auraient été justifiables si elles étaient motivées par le contenu du texte.  Certes, il est effectivement «peu probable que chaque électeur soit en mesure de maîtriser tous les articles d’une Constitution pour prendre une décision éclairée». Certes, le citoyen peut se décider en fonction d’un point jugé rédhibitoire. Mais, le débat doit se focaliser sur des éléments susceptibles d’être gravés dans le marbre de la Constitution. En aucun cas, il ne peut porter sur les questions d’intendance, la place du 30 août dans le grand récit national, le bilan du CTRI ou des choses relevant de lois ordinaires voire de la pratique politique. Or, c’est exactement la voie empruntée par les tenants du «oui» et chantres du «non», si prompts à saluer «le coup de libération» et les travaux d’infrastructures ou à dénoncer la rétrocession de la gestion des élections au ministère de l’Intérieur.

Tôt au tard, le texte constitutionnel sera mis à la disposition des organes de la Transition. Un jour où l’autre, il sera connu du grand public. À ce moment-là, les élites politiques et intellectuelles devront recentrer le débat. Pour éviter la «dérive plébiscitaire», elles devront expliquer le contenu tout en invitant le peuple à se prononcer dessus. Surtout, elles devront se garder de tout rattacher au CTRI et au président de la Transition. Pour l’heure, en croyant bien faire, d’aucuns ont dévoyé le référendum, lui donnant malencontreusement une dimension trop personnelle pour les dirigeants actuels. À chacun de mesurer les dangers de la situation ainsi créée et d’agir en conséquence.

 
GR
 

3 Commentaires

  1. Hermann O. dit :

    Il y a une précision importante qui n’est pas univoquement mise en relief dans votre analyse, et qui est susceptible de justifier de la précipitation des uns et des autres: Le conseil constitutionnel s’appuie sur le rapport du DNI. Et celui-ci, sauf si on veut poser un regard benêt, a pavé la route pour ce qui est des principales dispositions de la future constitution, du moins dans son axe politique. Les autorités – à dessein??- entretiennent cette polarisation, en invitant à voter oui. Nul besoin d’être un grand clerc, pour comprendre qu’il s’agit là d’une précampagne, certaines d’entre elles étant certainement dans le secret des dieux. Pour finir, le temps est également un facteur crucial. Il en faut pour prendre connaissance du texte, le scruter, l’expliquer aux populations, susciter des débats de fond dans les médias, causeries politiques et autres, etc…Gageons qu’il ne soit pas présenté à seulement quelques jours du référendum, au risque de légitimer la posture des contempteurs du processus qui postulent que « les dés sont pipés »

  2. Cyr tiburce MOUNDOUNGA dit :

    Bjr. Tout en saluant l’intelligence de votre texte RB je suis désolé de vos interrogations car vous même vous en donnez les réponses dans le 2eme paragraphe. La dualité qui semble prendre forme entre le comité constitutionnel( garant du texte constitutionnel) et la « rue » constituée du oui ou non, à l’évidence est simple a décortiquée.

    Le microcosme politique gabonais n’as pas changé d’un iota depuis 1990 . Seule la forme s’impose (militaire au pouvoir). Sociologiquement le gabonais est conservateur, nonobstant une européanisation inintelligente. De ce point de vue pourquoi vous attendez vous à ce que je cite : » À ce moment-là, les élites politiques et intellectuelles devront recentrer le débat. Pour éviter la «dérive plébiscitaire», elles devront expliquer le contenu tout en invitant le peuple à se prononcer dessus.

    Depuis quand les « élites au Gabon éduque les masses. Sauf à ce mentir la rencontre entre le peuple et « élites » ce déroule rien qu’en période électorale, est ce un baromètre ou indicateur suffisant ? Amen.

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