Oukase de la CEEAC à l’encontre du Gabon : L’intégration, au piège des peurs et faiblesses
La Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) a suspendu le Gabon. Or, pour en imposer, il faut développer des critères liés à l’Etat de droit, à la stabilité du système démocratique, à la régularité des élections et au rejet de toute forme de discrimination.
Elle croyait affirmer son autorité. Elle espérait envoyer un message de fermeté. Las. Sous le coup des peurs de certains dirigeants, la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) a étalé ses faiblesses et son peu de respect pour la règle de droit. Chaussant les bottes de son homologue d’Afrique de l’Ouest, elle a cru bon de dénoncer la prise du pouvoir par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI). Se réfugiant derrière une décision de l’Union africaine, elle a prononcé la suspension du Gabon de toutes ses activités «jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel», précisant : «Dans les plus brefs délais». Sans le vouloir, elle a suscité la comparaison avec une autre organisation sous-régionale : la Commission économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Involontairement, elle a poussé les opinions publiques à s’intéresser à son mandat et aux opportunités offertes par ses textes.
Doute
Comme l’appartenance de cinq de ses membres à l’Afrique orientale ou australe, le niveau des échanges commerciaux et la circulation des personnes sont désormais questionnés. Présentée comme une organisation d’intégration, la CEEAC fonctionne à la manière d’un instrument de coopération. Même si elle prétend rechercher une union entre les peuples, son existence ne remet nullement en cause la souveraineté de chacun de ses membres. Conformément aux dispositions du règlement intérieur, ses décisions sont prises «à l’unanimité, par consensus ou à la majorité des deux tiers». Or, ce texte est toujours en chantier : en mai 2023, un atelier s’était tenu à Libreville aux fins d’examiner la première mouture. Selon quelle modalité et sur quel fondement juridique, la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement s’est-elle alors prononcée ? Mystère et boule de gomme.
En agissant sans base légale, en haussant le ton, la CEEAC a ravivé le souvenir de son comportement au plus fort de la crise tchadienne, semant le doute sur ses intentions et la pertinence de sa démarche. En laissant l’Angola jouer les premiers rôles, elle a relancé le débat sur la viabilité d’une zone d’intégration de 6,6 millions km2. Après tout, 40 ans après sa création, les avantages escomptés se font toujours attendre. Les échanges commerciaux ? Ils sont limités du fait de la persistance des barrières non-tarifaires, notamment les lourdeurs administratives et les taux de change. Les investissements directs étrangers ? Ils se trouvent freinés par la faible convergence des politiques et législations, cinq des Etats membres n’ayant jamais adhéré à l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (Ohada). L’intégration politique ? Elle demeure contrariée par le refus de nombreux régimes de s’adapter aux règles démocratiques et normes de bonne gouvernance.
Agendas cachés
De l’avis général, la CEEAC est encore loin de ses objectifs. Au train où vont les choses, cette situation n’est pas près de changer. Sans une réforme en profondeur, sans une redéfinition de son périmètre, ses membres ne doivent rien attendre d’elle. Comme le dit Marc-Louis Ropivia, elle est prise au piège des «forces centrifuges qui entraînent un déficit d’intégration». En guise de remède, le spécialiste en géopolitique et géostratégie suggère «le recentrement sur la République démocratique du Congo». D’autres experts plaident pour une fusion avec la Cemac, dénonçant l’existence de «six monnaies différentes non convertibles entre elles». «L’adoption d’une monnaie commune est un accélérateur inclusif pour l’approfondissement de l’intégration, de la croissance et du développement économique», expliquait récemment Daniel Ona Ondo. Autrement dit, la CEEAC est invitée à se saborder et se laisser absorber. C’est dire si son apport reste à trouver.
En Afrique centrale, l’histoire de l’intégration est aussi celle des rendez-vous manqués, agendas cachés et autres coups de Jarnac. Contre le Gabon ou tout autre pays, toute volonté d’affirmation pourrait se heurter à une réalité : l’existence d’une Cemac disposant de critères de convergence relatifs au solde budgétaire de base, au taux d’inflation annuel, à l’encours de la dette publique et, à la non-accumulation d’arriérés intérieurs et extérieurs. Pour en imposer, il faut développer des critères politiques. Il faut plaider pour le renforcement de l’Etat de droit, la stabilité du système démocratique, la régularité des élections et l’élargissement de l’espace civique. Or, de notoriété publique, la CEEAC est peu acquise à ces notions, perçues comme des entraves à la confiscation du pouvoir par des clans. Sauf à mettre un terme définitif au rêve d’une sous-région politiquement intégrée et économiquement dynamique, l’organisation sous-régionale a intérêt à le comprendre et le méditer.
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