One Forest Summit : Prétentions, gouvernance immature
«Où va se dérouler cette rencontre ?» Les incertitudes sur le site indiquent combien le pouvoir a trop facilement fait confiance aux hâbleurs et aventuriers de tout poil.
À chaque événement culturel, comme à chaque rendez-vous international, le constat s’impose : le Gabon ne dispose ni d’hôtels à enseignes prestigieuses, ni d’une salle de spectacle ni d’une salle de banquet dignes de ce nom. Encore moins d’une salle de conférence à la hauteur des prétentions de ses dirigeants. A un peu plus d’une semaine de l’ouverture du One Forest Summit, une seule question revient : «Où va se dérouler cette rencontre ?» Si tout le monde s’accorde à indiquer le palais de la présidence de la République pour la cérémonie protocolaire, le doute subsiste quant aux travaux en ateliers. Certains parlent de tentes devant être dressées sur le front de mer, sur le site jadis occupé par l’hôtel Dialogue. D’autres désignent l’Okoumé palace, à quelques encablures de là. Mais personne ne tire vanité de cette situation. Tout le monde s’en désole, revenant sur le destin de la cité de la Démocratie, détruit en 2013 à la demande d’Ali Bongo.
Jobarderie, sectarisme et tittytainment
En juillet 2012, l’Ordre gabonais des architectes (OGA) s’était pourtant prononcé pour sa restauration. Évoquant la nécessité de conserver «le patrimoine architectural», l’OGA mit en garde contre la tendance à «considérer que l’œuvre de la génération précédente est ringarde et ne mérite que la démolition et non la conservation». «Il s’agit de reconstruire la cité de la Démocratie pour la réadapter (…) Ça va demeurer un centre important des rencontres internationales, mais qu’il faut moderniser. (…) Il s’agit de réorganiser», rétorquait crânement Alain Claude Billie-By-Nzé, à l’époque porte-parole de la présidence de la République. Selon lui, il était alors question non pas de destruction mais de rénovation des trois principaux bâtiments et d’adjonction d’infrastructures sportives, notamment un parcours de golf et un circuit pour courses automobiles.
Dix ans plus tard, plus personne ne parle de ce projet, pourtant porté et vanté par l’omnipotente et désormais défunte Agence nationale des grands travaux (ANGT), alors dirigée par une personnalité disparue des écrans radar depuis. A la veille d’une conférence internationale coorganisée en partenariat avec la France, tout ceci pointe trois caractéristiques d’une gouvernance immature : jobarderie, sectarisme et tittytainment. En clair, les incertitudes sur le site du One Forest Summit indiquent combien le pouvoir a trop facilement fait confiance aux hâbleurs et aventuriers de tout poil. Tout en soulignant son refus d’écouter des sons discordants, elles rappellent aussi sa propension à inhiber toute critique au moyen du divertissement. Des noms, sigles et événements parsèment les conversations. Henri Ohayon ou Jim Dutton et l’ANGT, Richard Attias et le New-York Forum Africa, Lee White et Luxury green resorts voire Aman resorts, mais aussi course de motonautique, festival de samba, matchs de football, moto-show…
Destruction du patrimoine matériel ou immatériel
Derrière d’apparentes moqueries, l’opinion laisse éclater sa frustration. Au-delà d’un humour forcé, elle étale sa désespérance. Dans les esprits, de nombreuses promesses non tenues défilent. Les destructions, chantiers inachevés ou abandons aussi. Baie des rois, barrages hydroélectriques de Fé 2 et de l’impératrice Eugénie, aéroport d’Andem, universités d’Oyem, Mouila et Port-Gentil, programme africain d’échange d’étudiants, arbres devant chaque bâtiment public, lodges et hôtels de luxe à la Pointe Denis, Fondation Jeanne Ebori, hôtel Ré-Ndama… On glose aussi sur des décisions prises sans étude préalable, notamment au sujet de la rémunération des fonctionnaires et des fonds communs, voire sur la surdité aux suggestions faites par des personnalités à l’expertise reconnue comme les anciens premiers ministres Casimir Oyé Mba ou Raymond Ndong Sima… Au vu des thématiques à la mode, la marginalisation de gens comme Marc Ona Essangui ou l’interdiction d’exporter le bois en grumes nourrissent aussi des commentaires peu amènes.
Voulant à tout prix apparaître comme un «bon élève» en matière de lutte contre le réchauffement climatique et l’érosion de la biodiversité, le Gabon n’a cependant jamais brillé par une gouvernance porteuse de durabilité. Ni les besoins des générations présentes ni ceux des générations futures n’ont été au cœur de la stratégie des pouvoirs publics. Ni la transparence ni la participation ni la redevabilité n’ont été au fondement de leur pratique politique ou administrative. Bien au contraire. Des projets ont été annoncés. Rarement, on en a vu l’aboutissement. Jamais, des perspectives à moyen ou long terme n’ont été tracées. Quant aux forces sociales, elles ont été priées de la fermer, de ne pas fouiner dans les affaires publiques et de ne demander aucun compte. Dans un tel contexte, la destruction du patrimoine matériel ou immatériel, a été d’une facilité déconcertante. Idem pour le dynamitage d’édifices architecturaux, juridiques ou institutionnels.
Roxy
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