Sur fond de fac-similés, l’hebdomadaire La Griffe révèle le détournement de 20 milliards de francs CFA au ministère du Pétrole entre 2009 et 2011. Le scandale financier a pour acteurs l’ex-Premier ministre Paul Biyoghé Mba, le ministre du Pétrole d’alors, Julien Nkoghé Békalé, un directeur nommé Alilat Antsélévé Oyima et la BGFIBank.

Le ministère du Pétrole à Libreville. © AFP/Rieger Bertrand

 

L’hebdomadaire satirique La Griffe a publié, dans sa livraison du 20 février 2013, le fac-similé d’un «Acte portant griefs», adressé par la Commission nationale de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite (CNLCEI) à Alilat Antsélévé Oyima, directeur général des Hydrocarbures. Selon le document, les investigations de la CNLCEI, d’octobre 2009 à janvier 2011, concluent que le fonctionnaire indexé a usé de prises illégales d’intérêts, de fausses déclarations et de procédés illicites pour un abus de biens sociaux.

«Vous vous êtes rendu co-auteur de détournement de fonds publics d’environ 90 millions de francs CFA, avec Sieur Julien Nkoghé Békalé, ce dans le but d’acquérir les véhicules ci-après : 1 Land Cruiser VX immatriculé 2253 G1 Z dont vous êtes vous-mêmes le bénéficiaire ; 1 Land Cruiser VX immatriculé 1690 G 1 Z au profit de monsieur Nkoghé Békalé», écrit la CNLCEI à Alilat Antsélévé Oyima. Mieux, poursuit l’institution de lutte contre l’enrichissement illicite, «vous vous êtes fait complice du détournement de fonds publics d’environ 20 milliards de francs CFA, avec BGFIBank et Julien Nkoghé Békalé

Selon la note de la CNLCEI, Alilat Antsélévé Oyima a enfreint aux dispositions légales et règlementaires de la gestion des fonds public. D’abord en créant au sein de la Direction générale des Hydrocarbures une cellule spéciale destinée à l’assister «dans la gestion des fonds de soutien aux Hydrocarbures». Une cellule non prévue dans l’organigramme du ministère mais, surtout, une manière de déplacer la table à manger loin des regards indiscrets pour paraphraser l’expression du satirique La Griffe. Pour ce faire, selon l’hebdomadaire, il fallait qu’un compte soit ouvert à la BGFIBank. Mais l’établissement bancaire exigeait que le Premier ministre établisse un document autorisant l’ouverture d’un compte au nom du ministère du Pétrole. Ce que fera Paul Biyoghé Mba, alors chef du gouvernement, qui a été persuadé par son poulain Nkoghé Békalé que «ce sera leur sorte d’argent de poche», indique La Griffe.

Une autre série de fac-similés également produits par l’hebdomadaire et signés de Alphonsine Kavio Avaro Ambouroué, commissaire membre de la CNLCEI, porte sur les responsabilités des dépositaires de l’État mis en cause, Paul Biyoghé Mba, Julien Nkoghé Békalé et Alilat Antsélévé Oyima mais aussi de la BGFIBank.

On note que l’ex-Premier ministre est répréhensible pour avoir donné l’autorisation informelle à Nkoghé Békalé d’ouvrir un compte dans une banque privée, alors que selon les normes et procédures «il n’est pas habilité à poser un tel acte». Il est de ce fait complice et coauteur de ces malversations.

Pour avoir «dissimulé et détourné des fonds publics à son profit» au mépris des règles de gestion de l’argent public, Julien Nkoghé Békalé, principal acteur de ce scandale, est indexé pour «actes de fraude, de détournement des ressources et de biens publics, de corruption, de recel, d’abus de pouvoir, de trafic d’influence, de blanchiment». Selon La Griffe, les éléments de l’enquête indiquent qu’il est le bénéficiaire de 60 % des 20 milliards de francs CFA détournés.

Alilat Antsélévé Oyima qui pilotait la fameuse cellule spéciale de la direction des Hydrocarbures et qui a tenté de gruger les enquêteurs de la CNLCEI en soutenant qu’il n’était au courant de rien, pourrait être poursuivi pour «abus de pouvoir, trafic d’influence, conflit d’intérêts et complicité».

Enfin, concernant la BGFIBank, la note indique que «les documents du compte révèlent de graves irrégularités et négligence de la part de la banque. Les conditions d’ouverture du compte “Ministère du Pétrole” n’ont pas obéi à la réglementation bancaire. Les précautions exigées en matière de blanchiment d’argent ont été enfreintes. La BGFI oppose une résistance à produire l’ensemble des informations utiles à l’enquête. De plus, il est relevé que certains ordres de retrait en espèces portent la signature du gestionnaire du compte tandis que certains bénéficiaires ne sont pas identifiés». La banque devrait donc être poursuivie pour «abus de pouvoir, trafic d’influence, conflit d’intérêt et complicité ayant conduit à un détournement de fonds publics, blanchiment et enrichissement illicite».

S’il est communément admis que la CNLCEI ne s’atèle pas à ses missions, ces documents viennent prouver ce qu’a toujours indiqué son président, Vincent Lebondo Le-Mali : des choses se font même si elles ne sont pas forcément dévoilées ou mises sur la place publique. L’institution agit dans le secret comme le commande la loi. On peut cependant se demander quand ces quatre auteurs présumés de vols soient amenés à répondre de leurs actes. «C’est visiblement ce vers quoi on est en train d’aller puisque depuis 2012 que ce dossier aurait été transmis au parquet, il s’étouffe dans les tiroirs de nos impartiaux magistrats», regrette l’hebdomadaire satirique.

Pour mémoire, en décembre dernier, Julien Nkoghé Békalé était cité dans une affaire de détournement portant sur 500 millions de francs CFA environ du temps où il était au même ministère «juteux». Malgré le boucan de la presse et les nombreux conseils de ministres ayant eu lieu depuis lors, le député de Ntoum et actuel ministre de l’Agriculture, de l’Élevage, de la Pêche et du Développement Rural continue de nager dans cette béatitude que procure un portefeuille ministériel. Mais que fait donc le président Ali Bongo qui, le 16 octobre 2009 lors de sa prestation de serment, avait clamé «Je veux un Gabon exempt de la corruption et d’injustice. […] Je veux un Gabon où la justice est au service de tous» ?

 

 
GR
 

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