Mali : du printemps arabe à l’incendie ouest africain
La junte malienne fait face à une pluie de sanctions internationales qui ne lui laissent presque plus de marge de manœuvre. Dans ce trouble, elle convoque à partir de jeudi 5 avril une convention nationale, espérant par ce biais rétablir rapidement l’autorité de l’État, tout en menaçant le président déchu Amadou Toumani Touré (ATT) de poursuites judiciaires. Le point sur la situation et ses conséquences.
La junte militaire au Mali, commandée par le capitaine Amadou Haya Sanogo, a renversé le 22 mars Amadou Toumani Touré, lui reprochant son incompétence pour contrer les rebelles touareg et des groupes islamistes opérant dans le Nord du pays. Mais ce coup d’état improvisé ne vient pas de nulle part.
La mèche libyenne, allumée par l’OTAN
La chute du « Roi des Rois » libyen a déstabilisé une région déjà fragilisée. Riche et surarmée, la Libye en éclatant sous l’effet des bombardements de l’OTAN, a dispersé des armes de guerre en quantité phénoménale dans tout le Sahel. Les parachutages massifs et hasardeux d’armes modernes et de munitions par la France et l’Angleterre en particulier n’a fait que renforcer le phénomène, accentué encore par le retour des combattants touaregs ayant combattu jusqu’au bout aux côtés de Kadhafi. La sonnette d’alarme a été tirée de nombreuses fois, mais que faire dans ce désert échappant à tout contrôle étatique, abandonné depuis longtemps aux trafiquants en tout genre, aux rebelles touareg et aux islamistes d’al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) ?
Dans un rapport publié fin janvier, les membres du Conseil de sécurité de l’ONU soulignaient «leurs inquiétudes concernant la situation humanitaire et sécuritaire au Sahel», où la prolifération des armes et le retour de 400 000 migrants revenus de Libye «exacerbent des problèmes existants». Grenades, Kalachnikov, explosifs, lance-roquettes, batteries anti-aériennes et peut-être même missiles sol-air circulent sans entrave dans le désert. Et les trafiquants, rebelles et islamistes font leur marché. La conséquence de ce grand mercato de la terreur ne s’est pas fait attendre. Le nord du Mali s’est embrasé, avec la multiplication depuis le début de l’année des attaques du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et récemment des combattants islamistes de Ançar Dine.
Pouvoir dépassé et militaires excédés
A la mi-janvier des dizaines de militaires maliens avaient été retrouvés morts à Aguelhoc (région de Kidal), «froidement abattus» par le MNLA allié à al-Qaida au Maghreb islamique, selon le gouvernement malien. A la suite de cet événement – que les Maliens ont appris par leurs familles ou par les médias internationaux – de violentes manifestations menées par les familles de militaires avaient éclaté à Kati et Bamako, les 31 janvier et 1er février. Les biens de Touaregs avaient été détruits et des slogans hostiles au président avaient été scandés.
Tout est parti d’une rencontre qui a dégénéré entre le ministre de la Défense et les militaires le 21 mars. ces derniers se sont regroupés devant le camp, avant de prendre la direction de Bamako et du palais présidentiel de Koulouba, armés de mitrailleuses et devancés par plusieurs véhicules blindés dont au moins un char d’assaut. Des allers-retours entre Bamako et Kati ont eu lieu toute la journée du mercredi 21 mars, les militaires tirant en l’air “pour tester leurs armes”.
Le matin du 22 mars Bamako s’est réveillée sans son président de la République, élu en 2002, Amadou Toumani Touré. A la place, une junte, le Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDR), dont les responsables sont apparus dans la nuit à la télévision publique, envahie la veille. Par la voix du lieutenant Amadou Konare, porte-parole du CNRDR, les putschistes ont annoncé «avoir mis fin au régime incompétent et désavoué de Monsieur Amadou Toumani Touré». Ce qui avait d’abord été annoncé comme une mutinerie des militaires du camp de Kati (15 km de Bamako), s’est révélé être un coup d’état.
André Bourgeot, anthropologue, directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste de l’espace saharo-sahélien, décrypte sur Slate Afrique les arguments de la junte qui a pris le pouvoir au Mali : «Les arguments avancés par le capitaine Sanogo, le leader de la junte, étaient de dire que l’armée malienne n’avait pas les moyens suffisants pour combattre les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), dont l’objectif est l’indépendance des régions du Nord-Mali et qui conduit à une partition territoriale du pays. Ils accusaient explicitement le chef de l’État et une partie de l’armée de ne pas se donner les moyens nécessaires pour lutter contre le mouvement de libération. L’absence de moyens militaires matériels, mais également le manque de nourriture, font défaut aux militaires en proie aux rebelles touaregs.»
«L’autre reproche, c’est un défaut de communication à l’intérieur de l’armée. Ils reprochent aussi au chef de l’État ATT de ne pas avoir suffisamment communiqué avec la population. Selon les mutins, le chef de l’État n’a pas eu de volonté politique pour exercer une lutte sans merci contre les rebelles, les mouvements djihadistes et contre les narcotrafiquants.»
Une analyse largement renforcée par les déclarations de Christian Rouyer, ambassadeur de France au Mali, dès le mois de janvier 2012 : «J’ai entendu que l’État n’a pas joué son rôle. En fait, la classe politique n’a pas joué son rôle ! Combien de débats à l’Assemblée nationale sur le Nord-Mali ? Combien même de questions orales ? (…) La classe politique a démissionné au nom d’un consensus de façade qui lui a fait perdre tout esprit critique.»
L’islamisation de la rébellion touareg
Connue depuis des décennie comme un fort mouvement autonomiste plus ou moins actifs suivant les époques, la rébellion touareg s’est endurcie et radicalisée ces dernières années. Il y a bien sûr Aqmi qui opère en Algérie, en Mauritanie et au Niger depuis ses bases dans le Nord-Mali. Le mouvement multiplie les enlèvements d’Occidentaux, notamment de Français, et exigent des rançons toujours plus élevées.
Il y a l’aile militaire du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) qui est le groupe le plus nerveux contre le gouvernement central. Il est composé de militaires touareg et supplétifs de l’armée libyenne, revenus dans leur pays d’origine après la chute du guide de la révolution libyenne. Ils ont des armes qui font d’eux l’une des armées les mieux équipées du Sahel.
Sur le terrain, l’autre groupe revenu de la Libye est composé de Touaregs loyalistes, qui acceptent d’intégrer le processus de paix, et qui ont même envoyé à Bamako une délégation pour faire allégeance.
Et puis, un tout petit groupe composé de Touaregs de la fraction des Irayakane. Un élu malien qui les avait rencontrés se souvient : «Ils n’étaient pas nombreux. Il y avait deux colonels, une dizaine d’hommes, mais surtout ils étaient avec Iyad Ag Ghaly». Figure emblématique des rébellions touareg, Iyad Ag Ghaly est récemment revenu sur le devant de la scène. Il est à la tête d’un groupe salafiste opérant dans le nord-est malien, Ançar Dine (défenseur de l’Islam en arabe) avec la volonté d’instaurer la charia (loi islamique). Avec un sens de l’hospitalité tout relatif «Quiconque n’est pas d’accord avec nous doit quitter nos terres», affirme-t-il, Ançar Dine fait penser aux «fous de Dieu» du mouvement islamiste nigérian Boko Haram qui veulent une application stricte de la charia dans tout le nord du pays le plus peuplé d’Afrique.
Il n’aura fallu que 3 jours, 72 heures, pour que ces groupes, finalement assez peu organisés et hétéroclites, s’emparent des trois régions du nord-Mali et accréditent l’idée, sinon d’une partition, du moins d’une autonomie large et difficilement évitable. Sans une véritable guerre contre les touaregs, dont personne ne peut affirmer qu’elle sera courte et facile à remporter, même par une armée structurée et correctement équipée, le Mali est aujourd’hui durablement divisé en deux.
Une réaction internationale tardive
Dans ce contexte, des voix s’élèvent dans le monde qui réclament le retour à l’ordre constitutionnel. Le département d’État américain a prononcé, mardi 3 avril, des restrictions de voyage vers les États-Unis à l’encontre des membres de la junte militaire responsables du putsch du 22 mars. Il réitère dans le même temps son appel au chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo, et à ses partisans, à «rétablir sans attendre un gouvernement civil au Mali».
L’ordre constitutionnel est également exigé par les pays de la région réunis au sein de la CEDEAO et dont les négociations sont menées par le médiateur ouest africain, le chef de la diplomatie burkinabé, Djibril Ibassolé. Ici on parle de l’organisation des élections anticipées et de la contre-offensive des rebelles touareg. C’est pour cela que l’organisation sous régionale a commis 2000 hommes pour servir de force d’intervention.
Après les récents affrontements, les mutins maliens, qui avaient pour objectif de repousser les rebelles touaregs, ont fini par reculer, au point que Tombouctou, une ville importante et historique située à 800 km de Bamako, est désormais sous contrôle rebelle. Cette ville est la troisième à passer sous le contrôle des Touaregs depuis le coup d’état.
«Nous invitons l’ensemble de la classe politique et tous les acteurs de la société civile à se faire représenter, sans exception aucune, à une convention nationale qui débutera le 5 avril 2012» dans le but de «décider de ce qui sera le bien de ce pays de façon consensuelle et démocratique en toute liberté», a déclaré le chef de la junte, le capitaine Amadou Sanogo. Et de préciser que «compte tenu des éléments dont nous disposons, M. Amadou Toumani Touré pourrait être l’objet de poursuites judiciaires pour haute trahison et malversation financière. Son dossier sera transmis aux autorités compétentes pour donner la suite appropriée.»
Le capitaine de la junte estime agir «pour une cause noble et salvatrice dans l’intérêt de la population. Mais par la suite (…) avec les sanctions de la CEDEAO, cette même population semble être punie par une structure qui devait au préalable promouvoir le bien du peuple malien. Notre action, au lieu d’être le premier jalon d’une indépendance démocratique tant souhaitée, devient une source de pression pour ce même peuple», a-t-il précisé, reconnaissant par ailleurs l’importance de la CEDEAO et leurs actes en faveur du dialogue et de plus d’ouverture : «Nous tenons néanmoins à réitérer toute notre confiance à la CEDEAO, et l’invitons à plus d’ouverture et de dialogue pour le bonheur du peuple malien».
Une catastrophe humanitaire devenue inévitable
Pour couronner le tout, la région entière est au bord d’une crise humanitaire majeure que les organisation humanitaires comparent déjà à la Somalie. Selon Oxfam, 8 millions de personnes y sont immédiatement menacées, 5 millions au Niger et plus de 3 millions au Mali. Comme le souligne l’ONG Action contre la faim, «la violence et le manque de nourriture sont un cocktail explosif» et dans certaines zones la période très sensible de soudure, où les greniers sont vides, a déjà commencé.
En raison des violences, plus de 200 000 personnes ont dû fuir leur habitation et se sont soit déplacés au Mali, soit réfugiés dans les pays voisins, notamment l’Algérie, le Burkina Faso et la Mauritanie. Cette situation dramatique n’a pas eu un grand écho, ni provoqué un grand élan de solidarité. Pourtant, près de 72 000 personnes déplacées vivent dans des «conditions d’extrême précarité», selon le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). L’aide humanitaire ne peut pas être correctement délivrée et est même impossible dans de nombreuses zones en raison de l’insécurité.
Alors que toute l’Afrique subit les conséquences cumulées d’une crise financière mondiale, des transitions politiques difficiles entre deux générations d’hommes que tout semble opposer, des pressions ultralibérales qui exacerbent les tensions économiques, des équilibres géostratégiques en pleine mutation et un réveil brutal et sanglant des fanatismes religieux, le Mali pourrait bien n’être que le premier domino d’une longue série, dont personne, et surtout pas l’ONU ou l’Union africaine, ne sait comment gérer la chute en limitant la casse.
Source principale : slateafrique.com
Rédacteurs : Thérence Essone Ntoutoume, Désiré-Clitandre Dzonteu, Luc Lemaire
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