Le Gabon protège la planète. Et alors ?

Faire de la forêt gabonaise non plus un emblème moral, mais un véritable actif géopolitique. La beauté des arbres ne paie plus les factures, en effet. Dans les coulisses de la diplomatie climatique, le Gabon s’est longtemps drapé dans sa vertu écologique, attendant une reconnaissance qui ne vient pas. Entre multilatéralisme agonisant et retour du rapport de force, Adrien NKoghe-Mba* place la puissance publique gabonaise face au miroir brisé des bonnes intentions. Sa proposition ? Transmuter l’or vert gabonais en arme géopolitique. Finies les suppliques, place à la négociation froide. Un manifeste pour que la forêt cesse d’être simplement admirée, mais enfin respectée.

Le Gabon n’a pas besoin d’être un élève modèle. Il doit devenir un acteur stratégique, souverain et exigeant. © GabonReview
Il y a une phrase que j’ai entendue mille fois dans les couloirs des grandes conférences climat : «Le Gabon est un élève modèle. Il protège ses forêts. Il absorbe plus de carbone qu’il n’en émet.» Et chaque fois, je me dis la même chose : et alors ?
Soyons honnêtes. Le monde d’aujourd’hui ne récompense plus les bons élèves. Il récompense les pays stratégiques. Ceux qui parlent la langue du pouvoir, pas de la vertu.
Pendant des années, des pays comme le Gabon ont cru que leur exemplarité environnementale leur vaudrait une reconnaissance automatique : financements, partenariats, prestige. Mais voici la dure vérité : ce monde-là n’existe plus. Il s’est effrité avec l’arrivée de Trump II et la fin du multilatéralisme annoncé ; il s’est dilué dans la montée du chacun-pour-soi ; il s’est évaporé dans le brouillard de la relance des dépenses militaires des pays européens.
Aujourd’hui, la planète est gouvernée par des intérêts froids, des calculs d’influence, et une géopolitique où les forêts ne valent rien si elles ne sont pas valorisées comme un levier de puissance. Le Gabon attend qu’on le récompense pour avoir préservé sa nature. Mais personne ne paie pour des bonnes intentions dans un monde en crise.
C’est pour cela que je lance cet appel : il est temps de changer de narratif.
Le Gabon n’a pas besoin d’être un élève modèle. Il doit devenir un acteur stratégique, souverain et exigeant. Il ne doit plus supplier pour de l’aide climatique. Il doit facturer pour un service vital à l’humanité : celui de maintenir les forêts debout dans un monde qui s’effondre.
Et cela change tout.
Cela veut dire que Libreville ne doit plus parler en termes de «justice climatique» seulement, mais aussi en termes de valeur stratégique d’actif naturel. Que le Gabon doit cesser de réclamer des partenariats et commencer à les négocier, comme le ferait un pays détenteur de ressources critiques. Que le carbone stocké dans les arbres gabonais ne doit plus être un argument moral, mais un produit stratégique, avec un prix, des conditions, et des règles du jeu définies à Libreville.
Car oui : protéger la forêt, c’est bien. Mais transformer cette protection en levier économique, diplomatique et politique, c’est vital.
Sinon, dans dix ans, le Gabon aura toujours ses arbres – mais personne ne les regardera plus. Et la planète y perdra. Encore une fois.
*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo

1 Commentaire
Superbe tribune. Make noise.