Le dernier prophète de notre siècle carbone

Il fut une voix à contre-courant des puissants, un pont entre les rives opposées du monde, un témoin lucide d’une époque qui vacille. Dans cette chronique empreinte de gravité et d’admiration, Adrien NKoghe-Mba* revient sur l’héritage moral et prophétique du pape François, disparu comme s’éteint une lampe dans une nuit trop longue. Ni ingénieur, ni militant, ni économiste, le souverain pontife avait pourtant saisi, mieux que beaucoup, l’urgence écologique et l’impasse civilisationnelle dans laquelle l’humanité s’égare. De Laudato Si à Laudate Deum, ses encycliques résonnent aujourd’hui comme des appels manqués – et peut-être comme notre dernier miroir.

Pape François. «Comme un prophète réalisant que ses avertissements n’ont pas été entendus, et que le monde file vers une zone de non-retour.» © GabonReview
Le pape François est mort. Et avec lui, s’est peut-être éteinte l’une des dernières grandes voix capables de parler à la fois à l’humanité et à sa conscience.
François ne fut pas seulement le chef d’une Église. Il fut une sorte d’interface — entre les pauvres et les puissants, entre le Nord et le Sud, entre la science et la foi, entre la Terre que nous exploitons et le ciel que nous ignorons.
Et c’est précisément dans ce rôle d’interface morale qu’il a lancé, en 2015, un texte que peu d’analystes ont pris au sérieux à l’époque : Laudato Si. Une encyclique. Autrement dit, un message lent, dense, ancien. Et pourtant, tout y était.
Avant même les COP fracassées, avant les enfants dans la rue, avant que les climatologues n’osent parler de «terres inhabitables», le pape François avait résumé le dilemme planétaire avec une clarté déconcertante : tout est lié. Le climat, la pauvreté, l’économie, la spiritualité. Il nous appelait à une «écologie intégrale» — pas seulement à une transition énergétique.
Mais voilà : les dirigeants ont préféré entendre les marchés. Les actionnaires ont préféré les dividendes. Et les citoyens, souvent, ont préféré ne pas regarder.
Alors en 2023, François a repris la plume. Et ce fut Laudate Deum. Cette fois, le ton était plus sombre. Plus urgent. Moins pastoral. Presque désespéré. Comme un prophète réalisant que ses avertissements n’ont pas été entendus, et que le monde file vers une zone de non-retour.
Il y écrivait : «Le monde qui nous accueille s’effrite et peut-être s’effondre.» Ce ne sont pas des mots anodins. Ce sont des mots qui, dans une bouche papale, sonnent comme une alarme incendie dans un monastère.
Laudate Deum n’est pas un texte religieux. C’est un cri politique. Un cri pour l’action multilatérale, pour la justice intergénérationnelle, pour une refonte du modèle de développement. Et ce cri vient d’un homme qui n’était ni ingénieur, ni économiste, ni activiste, mais qui avait compris mieux que beaucoup que la planète n’attendrait pas que nos idéologies se réconcilient.
Aujourd’hui, il est parti. Et nous restons, comme toujours, avec nos rapports du GIEC, nos sommets climatiques, nos promesses sans effets.
Mais peut-être — peut-être — que dans les mois à venir, on relira ses encycliques comme on relit aujourd’hui les lettres d’un ancien dissident : avec la honte de ne pas avoir écouté à temps.
Le pape François n’a pas essayé de sauver la planète. Il a essayé de sauver notre humanité.
Il ne nous reste plus qu’à décider si nous voulons encore en être dignes.
*Directeur général de l’Institut Léon Mba et président de l’association Les Amis de Wawa pour la préservation des forêts du bassin du Congo.

0 commentaire
Soyez le premier à commenter.